L'histoire oubliée

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L'histoire oubliée
Montréal, 25 août 2001




Notes de l'allocution d'Yves Michaud, Section Ludger-Duvernary, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, 25 août 2001.[1][2]



Décriées par les déracinés, les hâbleurs de la société marchande, les nations sont nécessaires à l’équilibre du monde.

« Le courage », écrivait Jean Jaurès, « c'est de chercher la vérité et de la dire ; ce n'est pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe »[1]. Par les temps qui courent, le mensonge triomphant est l'adulation d’un nationalisme amnésique, à la mémoire occultée, amputé de ses racines, scellé par le reniement de ceux et celles qui, avant nous, sont restés sourds au chant des sirènes de l'assimilation. Bref, la "vieille ethnie canadienne-française", matrice de nos origines, que d’aucuns et d’aucunes s'acharnent à jeter dans les poubelles de l'Histoire. Le peuple québécois n'arrivera jamais à ce que Senghor appelait « l'universel rendez-vous du donner et du recevoir »[2], en prenant congé de ses repères avec des citoyens de l'ère du vide, déphasés dans leur appartenance, honteux d'être eux-mêmes, précurseurs d'une société sénile, oublieuse de ses fondements identitaires.

Au risque de subir une fois de plus les foudres des révisionnistes et des négationistes du "vieux" nationalisme de mes pères, de me faire coller l'étiquette à la mode de "raciste", puis-je rappeler les définitions que Lionel Groulx donnait à la nation et à la patrie?

Nation: « Une nation est une société politique historiquement constituée par une communauté d'origine, de langue, de traditions, d'aspirations, d'intérêts, et animée de sentiments communs résultant de la vie collective ».

Patrie: « Réunion et synthèse de tous les éléments précédents mais animés par le vouloir-vivre collectif, éléments réunis et associés au fait de l'habitat sur un même territoire ».[3]

Raciste et antisémite, Lionel Groulx quand il écrivait, sous le titre LES JUIFS DE L'AMÉRIQUE :

« En pensant à notre petit nombre et notre dangereuse dispersion, j'ai affirmé qu'on ne saurait trouver à travers le monde, qu'un seul peuple vivant dans une situation ressemblant à la nôtre: le peuple Juif, quand j'ai dit qu'à certains égards, nous sommes les Juifs de l'Amérique ? Mais, de cette situation, de ce péril, possédons-nous quelque conscience, une conscience éveillée, nette ? Si la situatiuon des Juifs et la nôtre offrent de troublantes similitudes, pouvons-nous nous targuer de posséder comme les Juifs leur âpre volonté de survivance, leur invincible esprit de solidarité, leur imbrisable et orgueilleuse armature morale? »[4]

Si nous étions les « Juifs de l’Amérique », la question nationale du Québec serait résolue depuis au moins un demi-siècle.

C'est cet homme que René Lévesque tenait dans la plus haute et admirable estime, incarnation de la résistance de nos ancêtres à l’assimilation, dont la mémoire a été salie et outragée par le B'Nai Brith qui a suggéré que l'on débaptise le nom de la station de métro et l’avenue qui honorent et sa personne et son oeuvre immense.

C’est beaucoup dire et affirmer que les Québécois ne veulent pas devenir maîtres chez eux. Le RIN a obtenu en 1966, 6% du suffrage populaire : Le Parti québécois, 23% en 1970, 30% en 1973, 40% en 1980 et 49,5% en 1995. Bien fûté le devin qui pourrait lire dans une boule de cristal ce qui arrivera demain, dans un an, dans cinq ans, dans cinquante ans ? L’aspiration à la souveraineté se transmet de génération en génération, tantôt molle, tantôt indifférente, tantôt conquérante. Je fais le pari qu’un jour le peuple québécois, aujourd’hui plus instruit, plus aguerri, moins frileux, cessera de se prélasser entre le confort et l’indifférence et décidera d’entrer en possession des outils de son développement. Je ne sais quelle forme prendra la maturité politique du Québec: union confédérale, États associés, souveraineté-association, tout cela m’indiffère quelque peu tant il est vrai que la souveraineté ne sera jamais que la pleine capacité pour un peuple de décider lui-même des conditions de son interdépendance.

Une société incapable de prendre le « beau risque » de la liberté est menacée de sclérose et de ruine. Je comprends le désenchantement, la lassitude, la fatigue des épuisés qui sont tentés de baisser les bras. Je comprends le nonchaloir de l’opinion publique appelée à toutes les quinzaines ou presque à surfer sur les vagues des sondages, ballottée par l’écume des jours et endormie par le terrible ennui du débat constitutionnel. Un peuple trop longtemps soumis à une domination, fut-elle de velours, en vient à préférer le confort de la soumission au risque de la liberté. Il hésite à briser les chaînes dans lesquelles il s’est lui-même enfermé. Encore trop de nos compatriotes se complaisent dans une servitude avilissante, mais en même temps apaisante, rassurante, chloroformante. D’autant qu’il est dans la nature de certains de vénérer la main qui les opprime et qui aiment mieux croupir dans leur peur que d’affronter l’angoisse d’être eux-mêmes. Ce que Serge Cantin appelle « la conscience de soi »[5]. La conscience de soi c’est être, s’assumer comme peuple, ne pas se sentir coupable d’exister et de vouloir se constituer en État-nation. Un peuple sans terre qui lui appartient devient une terre sans peuple. Tout au plus un agglomérat d’électrons libres sans cohésion sociale, de citoyens égoïstes préoccupés du chacun pour soi et indifférents aux autres. Que l’on me comprenne bien : dans les « autres » il y a des descendants des Améridiens, des Français, des Canadiens, des Canadiens-français, des Anglais, des Anglo-québécois, des Québécois d’aujourd’hui, des anciens et des nouveaux arrivés de toutes provenances, origines, cultures et croyances, qui ont enrichi et continuent d’enrichir le patrimoine collectif. Nous sommes tous des « autres », sans pour autant impliquer que la reconnaissance de l’autre n’implique le renoncement de soi.

Ce serait renoncer à soi s’il fallait disqualifier l’espérance. Notre entêtement, notre enracinement, notre résistance séculaire à l’assimilation, sont les conditions de la permanence et de la prospérité en terre américaine de la deuxième civilisation de langue française du monde. « Il n’y pas de nations mineures, il n’y a que des peuples fraternels »[6], disait André Malraux à l’ouverture de notre délégation générale en France, en octobre 1961. Petites et grandes nations sont la richesse commune de l’humanité associant la singularité à l’universel. Les chantres de la mondialisation se fourvoient s’ils croient que la loi du marché, qui n’est que la loi de la jungle et la loi du plus fort, verra le triomphe d’un néolibéralisme, destructeur des identités nationales. Car la nation, décriée par les obsédés de l’avoir, les errants de nulle part ou les faux citoyens du monde, demeure le lieu naturel de la démocratie, laquelle est indissociable de la souveraineté nationale. C’est sur des communautés humaines comme la nôtre, incrustées dans une même histoire et une volonté de vivre un même destin collectif, que se fondent les nations, lieu privilégié et irremplaçable d’une solidarité d’hommes et de femmes qui partagent les mêmes valeurs, les mêmes repères historiques, qui parlent la même langue et vivent la même culture.

Le libre échange et certains aspects de la mondialisation ont certes des vertus, comme l’ouverture des grands marchés à des petites nations, mais il ne faut pas qu’elles se traduisent par l’éclatement des cadres nationaux, des références culturelles et historiques qui leur sont propres et qui entendent préserver leur unité et leur singularité. Verrons-nous demain des États-nations serviles à la mémoire interdite, composés de citoyens atomisés entrant dans l’ère du vide ? Décriées par les déracinés, les hâbleurs de la société marchande, les nations sont nécessaires à l’équilibre du monde. Au nom de quel obscurantisme, de quel multiculturalisme de ghettos, de quel communautarisme dévoyé, de quelle divinisation du marché, perdrions-nous l’héritage des suites de nos pères ? À ceux qui veulent faire table rase de notre histoire, il faut répondre que l’avenir du Québec est son passé. A chaque nation sa muraille de Chine ! La nôtre n’est pas faite que de pierres et de monuments mais elle est aussi faite d’une terre ensanglantée dans laquelle reposent des patriotes qui ont payé de leur vie leur insoumission au conquérant. Cette terre rappelle nos lieux fervents de mémoire. Notre muraille est surtout faite de la langue de nos ancêtres, parlée et transmise de génération en génération, ciment indestructible de notre identité nationale. Lorsqu’un peuple est envahi dans son territoire, il n’est que vaincu : s’il est envahi dans sa langue il est fini![7] J’ai fait de la défense et de l’illustration de la langue de mes pères le combat de ma vie et ne regrette rien des blessures que cet engagement m’a infligées. Blessures encore ouvertes alors que mon honneur a été récemment jeté en pâture à des hyènes enragées.

Je ne suis pas peu fier d’avoir été, avec quelques militants et militantes du Parti québécois, à l’origine de la résolution demandant de réviser l’article 72 de la Charte de la langue française de sorte que l’enseignement se donne en français jusqu’aux cégeps inclusivement, exception faite des droits historiques de la minorité anglo-québécoise au maintien de son réseau d’enseignement. Je persiste et je signe, nonobstant tous les discours ramollis et les rapports à l’eau de rose, qui ne voient aucun danger à l’anglicisation de la moitié des jeunes immigrants en terre québécoise. Pour la Commission des états généraux sur la langue française, « le libre choix de la langue d’enseignement n’est pas à remettre en question ». Il n’y a qu’ici où une politique de l’enseignement puisse se fonder sur une telle hérésie.

Le 13 décembre 2000, je rappelais lors de ma comparution aux États généraux de la langue française qu’il y a plus de 31 ans, en novembre 1969, l’on me rebattait les oreilles tant et plus sur les vertus de l’incitation, de l’attentisme, de la gentillesse, de l’apaisement, de la persuasion, et autre procrastination de même farine, alors que je fus le premier député à démissionner de son parti pour combattre l’infâme loi 63. La ritournelle recommence. Ce genre de discours, inspiré de la vulgate coloniale, fédéraliste et assimilatrice, nous reproche presque d’exister et nous culpabilise d’être ce que nous sommes. Il nous invite infailliblement à remettre à des lendemains incertains et toujours de plus en plus lointains des mesures d’urgence qui doivent être prises aujourd’hui. Les assimilateurs se réjouissent de nous voir tomber dans le piège de la mollesse et de l’insouciance. Pour eux, l’avenir dure longtemps. Ils espèrent nous avoir à l’usure. L’histoire bégaie. Aux craintifs et timorés qui nous repassent le vieux film de l’incitation et rembobinent la cassette usée de la « bonne entente », aux incurables indécis qui entonnent les éternels refrains d’une mendiante et plaintive tolérance à sens unique, il faut rappeler que la minorité anglo-québécoise représentant à peine 8% de la population du Québec assimile encore aujourd’hui plus de la moitié de nos immigrants. Cela n’est pas normal et ne le sera jamais. Sur les champs de bataille de la langue ou des territoires occupés des compétences souveraines du Québec, chaque fois que j’entendrai la voix plaintive de ma patrie menacée, pour autant que la fatigue des ans n’épuisera pas mes énergies et que vie me sera prêtée, j’endosserai l’uniforme du troupier qui répond à l’appel aux armes. Aujourd’hui plus que jamais, au moment où le centralisme canadien n’a jamais été à ce point aussi impérial, totalitaire, prédateur, envahisseur, rageur, naufrageur, tricheur, niveleur. Nous sommes à l’heure du « fédéralisme extrême », dont la logique de ce type d’organisation politique est de nier les peuples et les nations pour les fondre dans un tout unitaire, dépossédés des attributs de leur souveraineté, dociles et soumis à la suprématie du pouvoir central.

Ne nous y trompons pas. C’est là le but ultime que les bruyants ténors du fédéralisme outaouais poursuivent, en dignes héritiers de Lord Durham qui voyait le salut des pauvres Canadiens-Français dans leur assimilation à la race supérieure anglaise[8]. Foin des États fédérés! Entendez-les éructer le mot PROVINCE, appellation réductrice à des entités administratives sous la coupe réglée d’un gouvernement supérieur, autorité de tutelle imposant sa loi. Ils n’auront de cesse que lorsque nous aurons capitulé. Leur but ultime est l’occupation du territoire québécois dans tous les champs de notre vie nationale. Regardez-les déployer leur grossière et lourde infanterie sur les plages de débarquement de nos compétences : la santé, l’éducation, la langue, la culture. Regardez-les affamer les États fédérés et imposer leurs normes dites « nationales » en violant la constitution de leur « plus beau pays du monde » . Nous devons entrer en lutte plus que jamais, au moment où le centralisme canadien n’a jamais été aussi envahissant et destructeur, aussi arrogant et frondeur, aussi peu disposé à négocier dans « l’honneur et la dignité »[9], un statut honorable au peuple québécois, au moment où des chants de sirènes s’élèvent pour nous inviter à ramper sous une porte étroite et à supplier nos maîtres de nous accorder des miettes de pouvoirs. Certains révisionnistes nous invitent à jeter notre passé à la poubelle et à brûler nos souches dans le feu de la Saint-Jean pour mieux entrer dans l’avenir. « Lorsque le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres »[10], écrivait Tocqueville. Mieux encore ces vers admirables de Groulx :

«Ils gardent l'avenir ceux qui gardent l'histoire Ceux dont la souvenance est sans mauvais remords Et qui près des tombeaux où sommeille la gloire À l'âme des vivants mêlent l'âme des morts ».[11]

Et que dire de ce lucide et prémonitoire constat de Léon Dion : « Depuis 1763, nous n’avons plus d’Histoire, sinon celle, à réfraction, que nos conquérants veulent bien nous laisser vivre, pour nous calmer. Cette tâche leur est d’autant plus facile que nous sécrétons nos propres bourreaux. »[12]

Pour tout dire, je sens monter la colère lorsque l’on repasse les plats réchauffés du fédéralisme renouvelé, de la société distincte, du statut particulier « unique », sorte de souveraineté des pauvres, dont cinquante ans d’observation de notre pré carré ont révélé l’insignifiance et l’inadéquation aux valeurs de notre peuple et de notre société. « Dans l’histoire du monde, les troisièmes voies ont toujours servi de fourrier à la victoire du plus puissant », écrit Guillebaud dans La Refondation du monde. Une barricade n’a que deux côtés : celui d’un pouvoir central qui se proclame et se veut le référent absolu de la sphère politique, et de l’autre une nation qui aspire à se doter des pleins pouvoirs d’un État.

J’ai choisi ce deuxième côté de la barricade et j’emploie à dessein le beau mot de partisan souverainiste dont la niaiserie du discours politiquement correct ne retient que l’acception négative. Dans mon pays, les gens se taisent un peu trop, dorment sans souci au creux de leurs lits douillets, et une partie d’entre eux a préféré jusqu’ici la tranquillité de l’obéissance au risque de la liberté. À ceux et celles qui sont fatigués d’entreprendre, qui sont tentés de confisquer l’espoir et de rendre les armes, d’accepter une reddition sans condition devant un adversaire qui nous paraît grand parce que nous sommes à genoux[13], il faut dire, redire et répéter, pour la suite du monde et l’honneur de nos gens, qu’un peuple n’entre jamais dans l’histoire à la dérobade par des portes de secours. C’est pour éviter cela que je continuerai tant qu’il me restera un souffle de vie de combattre au nom de tous les miens, de durer, de rester, de tenir, de garder le cap, quelle que soit la volatilité des opinions et les frissons de l’éphémère. Afin que se réalise la promesse de mon ami Gaston Miron : celle d’un peuple qui dira enfin OUI à sa naissance. [14]

La promesse de l’aube d’un Québec souverain, je la retrouve dans le mémoire du Forum jeunesse du Bloc québécois aux États généraux de la langue française. Ce mémoire est lumineux de clarté, de bon sens et de fidélité à la nation. Ceux et celles qui le conspuent sont prisonniers d'un discours de rectitude politique niais, réducteur, ravageur pour la cause souverainiste. Doit-on leur pardonner car ils ne savent pas ce qu'ils font?[15] De Gaulle disaient de ceux qui crient Europe ! Europe! Europe! qu'ils se comportaient comme des "cabris"! (Allusion au petit de la chèvre qui saute et caracole). L'image est assez juste pour les haut-parleurs d'un nationalisme civique! civique! civique! Le nationalisme est l'amour de la patrie. Un point, c'est tout ! Lui coller des étiquettes est l'amoindrir, le rétrécir, le dévaluer, quand ce n'est pas le prostituer à des fins disciplinaires et revanchardes par des états-majors partisans.

Les jeunes du Bloc comme ceux du Parti québécois, avec tous les garçons et les filles du Québec qui entrent dans l’avenir, reçoivent en héritage un pays légué par des suites de pères et de mères. Il leur appartient de l’enrichir, de rejeter le discours imposé et totalitaire d'un nationalisme "civique", amnésique, fossoyeur des repères identitaires du peuple québécois. Mes voeux accompagnent les jeunes Québécois et Québécoises qui travailleront à faire fructifier l’héritage laissé par des générations de résistants à l’assimilation. S’ils veulent bien recevoir l’appui d'un "dinosaure" - aimable épithète dont m'a affublé le B'nai Brith -, je serai à leurs côtés sur simple appel tout le temps que vie me sera prêtée par le Grand Horloger. Je ne puis rester insensible à des jeunes qui se tiennent debout et qui prennent des risques. Il n'y a que les rampants qui ne trébuchent jamais. Les jeunes militants et militantes de la souveraineté feront naître le pays tant attendu. Il appartient maintenant à la génération du blé en herbe qui annonce l’abondante moisson des fruits de la souveraineté. Elle verra ce que mes yeux ne verront peut-être pas : la vieille promesse réalisée d’un Québec enfin assis à à la table des nations. Ce jour-là, la politique deviendra une idée neuve dans une Amérique dont nos ancêtres ont été les premiers défricheurs d’une terre inconnue. Une terre où il fera bon vivre sous le grand soleil d’une liberté responsable et pleinement assumée.

Notes