Qui sommes-nous? Où allons-nous?
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Élu chef du Parti Québécois en 1988, Jacques Parizeau a porté son parti au pouvoir lors des élections de 1994. Un an plus tard, il remplissait sa promesse de tenir un référendum sur l'avenir politique du Québec, dont c'est aujourd'hui le premier anniversaire. Pour la première fois depuis son retrait, en janvier dernier, de la vie publique, M. Parizeau revient sur le résultat de cette consultation populaire. Dans ce texte dont il a réservé la primeur aux lecteurs du Devoir, il en fait le bilan, dégage quelques perspectives en vue d'une prochaine consultation et analyse la stratégie du gouvernement Bouchard.
À l'occasion du premier anniversaire du Référendum du 30 octobre, on m'a beaucoup sollicité pour présenter mes commentaires et mes impressions. J'ai choisi Le Devoir pour cela et je remercie la direction de m'ouvrir ses pages.
Ce texte n'a rien d'académique. C'est celui d'un homme dont la carrière politique est terminée mais qui reste engagé. La souveraineté du Québec me paraît nécessaire pour le peuple québécois. Il a besoin d'être responsable de lui-même. Les citoyens doivent être responsables de l'avenir de leur pays.
Il faut que nous entrions dans la mouvance internationale si prometteuse à la fin de ce siècle et qui fait que des pays petits par leur population et par la taille de leur économie peuvent se développer, prospérer, s'épanouir, à la condition d'appartenir à de très grands marchés. La thèse selon laquelle les nationalistes québécois se referment sur eux-mêmes est une vue de l'esprit qui retarde. Le repli à notre époque n'est pas possible. On voyage trop, on est trop branché sur les réseaux de communication internationaux, on est trop ouvert sur le commerce, nord-américain en particulier, pour que même une nostalgie de repli puisse perdurer. Nous n'avons vraiment pas le choix. Et cela tombe bien. Nous arrivons de mieux en mieux à pénétrer le village global. Des gens d'affaires aux artistes, les réussites se multiplient.
Être ouvert aux autres ne veut pas dire que l'on ne s'occupe pas de ses propres intérêts. Les règles de comportement internationales ont évidemment réduit, à juste titre d'ailleurs, l'éventail des instruments d'intervention des gouvernements. Mais cela ne les laisse pas désarmés pour autant. Les peuples, les nations, les États, ont des intérêts à protéger. Chacun apporte au monde quelque chose qui lui est propre sur le plan culturel, sur celui des orientations sociales ou sur celui des modes d'organisation de son économie. Défendre ses intérêts, les promouvoir, ce n'est pas une option, c'est tout à fait naturel.
Je ne veux pas aborder de façon précise ou détaillée les événements qui se sont produits sur la scène politique depuis un an. Je dois dire cependant que chaque fois que j'entends parler d'un «Plan» destiné à faire interdire un prochain référendum au Québec, je souris. Si on tient absolument à nous imposer une élection référendaire... Mais venons-en aux choses sérieuses.
Il faut revenir à deux questions fondamentales, essentielles : «Qui sommes-nous?» et «Où allons-nous?».
Le référendum d'il y a un an a beaucoup clarifié les choses : 61 % des francophones ont voté OUI. Sur l'île de Montréal, 69 % ont voté OUI. Les francophones représentent 83 % de la population du Québec. Pour une fois, la réponse est claire; elle n'est pas unanime, mais dans une démocratie, il faut se méfier des unanimités. Donc, la majorité des Québécois francophones veulent que le Québec devienne un pays. Ils ont choisi leur identité et leur pays.
Quant aux Québécois autres que francophones (17 % de la population), presque tout le monde a voté NON. Il y a eu des exceptions, bien sûr, et certains ont voté OUI avec plus de ferveur encore que bien des francophones. Dans beaucoup de communautés, le pourcentage de NON semble avoir été supérieur à 95 %. Des records absolus ont été atteints. Dans plusieurs bureaux de scrutin de l'Ouest de Montréal, il n'y a eu aucun OUI.
À l'appel de leurs leaders et de leurs organisations, tous ces gens ont réclamé de rester Canadiens. Pour certains groupes, c'est tout à fait compréhensible. Ils préfèrent continuer de faire partie de la majorité canadienne plutôt que de devenir une minorité au Québec. Leur intérêt leur dicte cette attitude. Jusqu'à ce qu'un référendum soit gagné, ils seront tels qu'ils ont été. Par la suite, ils s'adapteront. Jusque là, ils sont Canadiens et fiers de l'être.
Alors qu'en est-il du peuple québécois? Il est constitué essentiellement de francophones (quelle que soit leur origine) qui partagent une culture qui leur est propre. Des minorités s'y ajoutent et ont indiscutablement enrichi la culture québécoise. À part les autochtones qui forment des nations distinctes, Canadiens anglais de souche ou immigrants de diverses dates, s'ils cherchent, dans leur presque totalité, à demeurer Canadiens, une fois la souveraineté réalisée, ils devraient s'intégrer, et à leur rythme, au peuple québécois. En tout cas, on le souhaite. Est Québécois qui veut l'être.
Où allons-nous? Il y a dans le cheminement de notre gouvernement des orientations qui provoquent des interrogations et qui, je pense, doivent être abordées avec une certaine candeur.
Que le gouvernement ne parle plus que rarement de la souveraineté du Québec n'est pas en soi étonnant. On peut avoir comme tactique pendant un temps de laisser les gens respirer. Après tout, ils ont eu quatre scrutins en quatre ans sur la souveraineté. Sans doute, puisque la souveraineté continue d'être attaquée, et n'est plus défendue, l'appui populaire glisse dans les sondages. On a bien connu cela dans le passé. Cela se renverse. Mais il ne faudrait pas attendre trop longtemps. Plus le glissement se prolonge, plus il est difficile à renverser.
De même, le nouveau gouvernement veut, c'est naturel, chercher à faire la paix avec les anglophones, surtout avec les gens d'affaires anglophones. Ce n'est pas le premier gouvernement à faire cela; il ne sera pas le dernier non plus. J'ai moi-même trop essayé pour ne pas comprendre. Habituellement, il ne sort pas grand chose de tout cela : les intérêts sont trop divergents. Il ne faut simplement pas trop donner en échange de promesses à venir. L'épisode Galganov, à la fois ridicule et symbolique, suivant le discours du Centaur, a cette fois calmé le jeu.
Tout ce qu'il faudra éviter, c'est de croire que l'amélioration des rapports avec la communauté anglaise de Montréal est une sorte de condition nécessaire à la création d'emplois et au rassemblement de capitaux. Cela fait longtemps (trente ou quarante ans) que ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, le développement de l'économie du Québec n'est plus conditionné par les réactions de quelques centaines de personnes installées dans le Golden Square Mile ou à Westmount.
Ce que je trouve le plus inquiétant pour la suite des événements, c'est l'objectif budgétaire que le gouvernement s'est fixé : ramener le déficit à zéro.
La situation est étrange. Quand le Parti québécois est élu en 1994, il est, comme tous les gouvernements, préoccupé par sa situation budgétaire. Sans doute beaucoup de petites provinces canadiennes sont-elles en train de faire disparaître leur déficit, mais compte tenu de la nature de leurs opérations et de l'absence de certaines responsabilités, il leur est plus facile d'arriver à diminuer le déficit qu'en Ontario, par exemple, au Québec ou même en Colombie-Britannique.
Dans l'ensemble, les gouvernements de nos jours sont assez peu commis à faire disparaître complètement leurs déficits. Les signataires de Maëstricht ont fixé à 3 % du PIB leur objectif de déficit pour adhérer à la monnaie commune et ils ont beaucoup de difficulté à y arriver. Monsieur Chrétien s'est fait élire sur la promesse de ramener le déficit du gouvernement fédéral canadien non pas à zéro, mais à l'équivalent de 3 % du PIB. Les États-Unis ont adopté une loi anti-déficit qu'ils se sont hâtés d'oublier; c'est la reprise de l'économie surtout qui réduit le déficit depuis quelques temps.
L'Ontario traverse une formidable transformation budgétaire où on sabre dans certaines dépenses pour financer des baisses d'impôts. Ce n'est pas le déficit qui est au centre des préoccupations (il n'a été réduit, après tout, que de 15 % par rapport aux beaux jours de Bob Rae), c'est une vision de la relance de l'économie. Cela n'est pas très en accord avec les idées sociales-démocrates de beaucoup d'entre nous, mais enfin c'est une politique.
À Québec, en prenant le pouvoir en 1994, on avait promis d'éliminer le déficit des opérations courantes, c'est-à-dire les emprunts pour payer l'épicerie, mais pas le déficit qui découle des investissements. L'économie était trop faible pour cela. Et après tout, il n'est pas déshonorant d'avoir une hypothèque sur sa maison. Une fois l'objectif atteint, il resterait donc un déficit de 2 milliards de dollars, soit un peu plus de 1 % du PIB.
Mon gouvernement ne s'est pas mal débrouillé. L'année 1994-1995 s'est soldée par un déficit de 5,7 milliards, et, l'année suivante, de 3,9 milliards, soit la moitié de son objectif. Pendant une année référendaire! Pas mal du tout! Et tout cela dans une sérénité relative.
On avait indiqué cependant aux électeurs que les compressions fédérales nous frapperaient de plein fouet en 1996-1997 si le vote au référendum nous empêchait de sortir du Canada. Même l'objectif restreint à l'égard du déficit serait difficile à maintenir.
Au début de 1996, le gouvernement du Québec change d'objectif, le durcit en quelque sorte. On viserait maintenant l'élimination complète du déficit, sur un horizon de temps un peu plus long que l'échéancier original. C'était placer la barre bien haut.
Pour permettre de réaliser le nouvel objectif budgétaire, il a fallu se débarrasser du cadre budgétaire qui avait été élaboré l'année précédente et qui avait donné de bons résultats (enveloppes fermées, coupures sélectives).
Le ministre des Finances avait préparé les projections de revenus sur la base d'une croissance de 1 %, ce qui semblait alors très conservateur. Aujourd'hui, ces projections semblent exagérées. On risque d'entrer dans la spirale connue : on coupe, les revenus prévus tombent, on recoupe, ils tombent encore. Je crois qu'à vouloir en faire trop, on affecte la santé de l'économie.
On dit en anglais «la paille qui cassa le dos du chameau» en parlant des charges énormes que l'on peut faire porter à l'animal jusqu'à ce qu'il s'effondre.
Je n'aime pas, ces jours-ci, les compliments que certains «grands hommes d'affaires» (à ce niveau, il n'y a pas de femmes), adversaires traditionnels de la souveraineté, adressent au gouvernement du Québec.
Je n'aime pas non plus voir un représentant du syndicat financier qui distribue les obligations du Québec occuper un poste important dans le triangle de protection que forme, pour nous maintenir à l'abri des pressions financières, le ministères des Finances, la Caisse de dépôt et Hydro-Québec.
On peut résister, on le sait maintenant, à la propagande économique et aux campagnes de peur. Elles ont toujours visé les francophones et ils ont voté très majoritairement OUI il y a un an.
Mais il faut faire attention de ne pas se faire mal à soi-même, de ne pas nuire à sa cause et de ne pas faire perdre espoir à ceux dont l'avenir en dépend.
Il y a tant à faire dans ce chantier que devrait être l'économie du Québec. Il y a tant de choses que l'on peut amorcer, quitte à les développer quand nous serons enfin sortis du système et que nous aurons enfin le contrôle de nos moyens.
La morosité est mauvaise conseillère. Il faut, tous ensemble, se redonner le goût de bouger. Il y a des obstacles, bien sûr. Il y en a toujours chaque fois que l'on veut changer quoi que ce soit. Il ne faut pas les minimiser, mais il ne faut pas les exagérer non plus.