Plan de la République canadienne

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Plan de la République canadienne
dans Le Fantasque, le jeudi 13 décembre 1838, p. 286-290.




RÉSUMÉ : Plan d'une utopique république «canadienne» avec beaucoup d'humour. SUR L’ŒUVRE : [1], [2] EN LIGNE : banq.qc.ca



S'il fallait en croire les mille-et-un badauds qui font métier de propager les plus douteuses nouvelles, on pourrait follement penser que la paix est déjà rétablie, ou sur le point de l'être. Corbleu ! je ne veux pas qu'il en soit ainsi ; je vais y mettre bon ordre et tâcher de perpétuer l'agitation, car sans cela nous courrions [le] risque de mourir bien vite d'ennui et de malaise. Non, non il est impossible que les choses se tranquillisent ainsi ; je vais me mettre à la tête du mouvement ; alors, j'ose croire, cela ne se terminera pas si promptement que sous la déplorable direction de cet infortuné docteur Nelson. Il fallait vraiment que ce pauvre docteur ait oublié sa raison quelque part pour avoir conduit sa révolution comme il l'a fait, car rien n'était plus facile que de faire réussir une pareille entreprise ; mais il fallait s'y prendre autrement. Comment voyons-nous qu'il a combiné ses plans ? Il publie une déclaration d'indépendance qui n'a pas seulement le mérite de l'originalité et dont la mise à exécution ne nous rendrait ni plus sages ni plus heureux ; puis conseille de se défaire du gouvernement anglais ; tandis qu'il fallait faire tout le contraire ; rien n'eût été plus facile ; il n'y avait qu'à chasser le gouvernement, puis déclarer l'indépendance. Hélas ! tous les malheurs qui accablent le pauvre Canada viennent, comme on le voit, de ce qu'on a jusqu'ici tout fait à rebours du bon sens. Une autre faute importante qu'a commise le président de la république canadienne est de n'avoir pas mis à la tête de ses forces un état-major plus effectif que celui qu'il a employé. En effet on y voit pour tout potage ; d'abord un président qui ne s'est encore distingué que par une rapidité de conception à prévoir le danger pour l'éviter et une énergie dans les jarrets, qui ferait pâlir un cerf, puis un grand-aigle qui ne fait usage de ses serres que pour griffonner une proclamation et de ses ailes que pour se mettre hors de portée des coups du sort et des coups de canon ; puis un brigadier-général qui fait consister le sublime de l'art militaire à briser son sabre sous ses pieds et à offrir ses services à l'ennemi en qualité sans doute aussi de brigadier-général, afin d'expier ainsi la faute de s'être laissé prendre. Et l'on voulait opposer un pareil assemblage à une petite armée à la tête de laquelle on pouvait voir briller tout simplement un gouverneur-général avec état-major ; un major-général, commandant des forces de Québec, avec état-major ; un autre major-général commandant celles de Montréal avec état-major ; puis une petite nuée de lieutenants colonels, majors, capitaines qui se rendaient, en amateurs, à l'incendie et au pillage de quelques pauvres villages comme à une partie de plaisir. Vraiment la république canadienne a du malheur. L'affaire est manquée, il faut la remettre à une autre fois.

Puisque nous ne pouvons jouir pour le présent de la réalité, tâchons de nous faire illusion en imaginant des plans de conduite pour l'avenir. Voici, en attenant mieux, comment je proposerais de constituer la république canadienne aussitôt que nous en serons les maîtres ; c'est le fruit de longues années de réflexions sur les causes de la ruine des empires et l'on verra que mon gouvernement se rapprocherait de la véritable démocratie bien autrement que ce lui de nos voisins qui n'est qu'une absurdité d'un bout à l'autre, et serait admirablement fait pour rendre tous les citoyens bons, heureux et justes.

Voici à peu près comment je suis arrivé aux diverses conclusions que je pose comme les bases d'un gouvernement sain et stable. J'ai remarqué que la lutte la plus ordinaire provient de ceux qui n'ont pas contre ceux qui ont, dont l'ambition est, à leur tour, d'acquérir davantage afin d'écraser plus aisément encore leurs ennemis. De là les interminables querelles, de là les guerres civiles, de là les guerres extérieures, de là les armées de paresseux, de là les frais considérables, de là les taxes, de là les mécontentements, de là les révoltes, de là les invasions, la chute, la ruine, la destruction des plus florissantes puissances. En conséquence, voici comment je remédierais à tous ces inconvénients ; je commence d'abord par les arrangements sociaux, puis après on trouvera l'organisation du gouvernement chargé de la sûreté de l'État et des affaires en général. D'abord pour avoir droit à être citoyen, il s'agirait tout simplement d'avoir cent louis de rente mais pas plus. Pour arriver à ce résultat on retrancherait le surplus à tous ceux qui ont davantage et on le donnerait à ceux qui ont moins, si cela n'établissait point encore l'égalité on chasserait hors du pays ceux qui n'auraient pas la qualité requise par la loi.

Comme le jour que l'on parait aimer le mieux est le dimanche, on abolirait tous les autres jours en sorte que chacun pourrait ainsi passer agréablement sa vie ; les jeunes gens auraient éternellement congé, les jeunes filles iraient journellement se faire voir à l'église et à la promenade avec leurs plus belles parures et le soir on se rassemblerait autour d'une table, on jouerait aux cartes et l'on médirait sans cesse des absents ; alors il n'y aurait pas moyen de s'ennuyer.

Lorsqu'un différend s'élèverait entre deux parties, au lieu d'avoir recours au jugement lent, coûteux et incertain des hommes on se confierait à la justice de Dieu ou du hasard. On tirerait au sort celui qui doit avoir raison. Il y aurait donc économie de lois, de juges et d'avocats, ce qui serait un pas immense vers la civilisation ; on abrégerait ainsi les procédés des cours de justice qui le plus souvent ne sont que des loteries.

Lorsqu'une personne tomberait malade on l'empoisonnerait immédiatement afin d'abréger ses souffrances, attendu qu'un membre souffrait de la société est à charge aux autres et à lui-même. On conçoit que par cet arrangement on ferait aisément l'ouvrage des docteurs et des pharmaciens qui seraient remplacés par un officier ayant la charge d'empoisonneur public.

Comme les journaux ont causé les plus grands malheurs en répandant de fausses nouvelles et des opinions outrées on les retranchera tous, à l'exception seulement du Fantasque, attendu qu'il est la seule publication qui ne soit point d'esclave d'un parti, qui ne s'occupe point de politique, qui s'embarrasse fort peu des nouvelles et qui cherche à corriger en amusant ; mais comme il est quelquefois agréable et même souvent utile de connaître ce qui se passe, une personne sera chargée par le gouvernement de répandre en toute hâte les événements qui pourront intéresser le public. On conçoit que cette charge appartiendra de droit à la femme la plus bavarde de la république. Cette place sera emplie indubitablement sans autre rémunération que le plaisir de parler.

Les prisons seront abolies, attendu qu'elles ne servent qu'à rendre méchant ou malheureux et qu'elle sont en opposition directe avec les premiers principes de la liberté. Ceux qui commettraient quelque meurtre, vol, faux ou autres crimes auront les doigts coupés afin d'être hors d'état de récidiver. Les calomniateurs auront la langue tranchée. Les débiteurs seront obligés de travailler pour leurs créanciers jusqu'à l'extinction de leur dette. Ceux qui seraient trouvés coupables de haute trahison seraient condamnés à épouser une femme laide, stupide et méchante, punition la plus terrible qui puisse être infligée dans ce bas monde.

toutes les religions qui n'enseigneront point l'hypocrisie seront tolérées ouvertement.

La législature se composera de tout citoyen et citoyenne ayant l'âge de raison ; c'est-à-dire, pour les hommes mariés, six mois après leur mariage ; pour les célibataires, à soixante ans et pour les femmes, après la mort de leur troisième époux. Il n'y aura pas de président vu que ce serait un pas vers l'aristocratie.

Les lois et autres mesures gouvernementales seront passées à la minorité des voix, attendu qu'il y a toujours bien moins de sages que d'insensés.

La justice criminelle et correctionnelle sera administrée par des philosophes seulement ; ce tribunal sera le pouvoir suprême, attendu que la devise de notre gouvernement sera, la loi fait sa force : et que l'on considérera comme un jour de calamité publique celui où il faudrait dire, au contraire : la force fait sa loi.

Le ministère des finances sera confié au négociant qui se sera le plus habilement relevé du plus grand nombre de faillites. Il ne sera pas contracté de dette publique vu que nous n'avons point la stupide idée de dire qu'une dette nationale insolvable est une richesse publique.

Le ministère de la marine appartiendra à l'homme qui aura failli se noyer au moins trois fois en sa vie.

Celui des affaires intérieures sera donné à la meilleure ménagère de la république.

Il n'y aura pas de ministre des colonies, attendu que nous n'aurons pas de colonies ; c'est une richesse trop éphémère ; d'ailleurs nous pensons qu'il est absurde vraiment de vouloir faire des lois, des dépenses pour d'autres ; de se donner du casse-tête pour des ingrats, afin d'avoir la simple satisfaction de se débarrasser avantageusement de quelques nobles pauvres, inhabiles et paresseux.

La diplomatie sera entièrement laissée entre les mains des jolies demoiselles. Ce sera un moyen infaillible de mener par le nez les agents des autres pouvoirs.

L'armée sera exclusivement composée de femmes aimables et belles, ce qui épargnera naturellement l'effusion du sang et les dépenses inutiles et onéreuses de munition de guerre. On conçoit que, dans un siècle comme celui-ci, où l'on parle tant de galanterie, nos ennemis ne pourront s'empêcher de mettre bas les armes devant de pareils corps.

Dans le cas fort improbable où une rébellion éclaterait dans quelque partie turbulente de notre république, nous ne l'attribuerions nullement à tous le pays, de crainte de rendre le bouleversement général ; nous tâcherions de rendre le peuple assez heureux pour extirper le souvenir même de ses maux et nous éviterions au-dessus de toute chose de piller, voler, incendier, démolir afin de ne point éterniser la révolte en en perpétuant les causes ; Nous n'arrêterions personne sur soupçon vu que c'est contre le droit des gens et que la haine de l'homme, aigri par des mauvais traitements non mérités, est infiniment plus dangereuse et plus invétérée que chez le coupable.

Nous éviterions avec un soin particulier d'avoir aucune police, si ce n'est cependant pour surveiller à la sûreté des citoyens en arrêtant, de nuit, les tapageurs, et de jour, les chiens enragés ; mais, loin d'encourager la délation, nous ferions tous nos efforts pour faire consister la force du gouvernement dans l'estime, le respect et la reconnaissance, plutôt que dans une crainte, une terreur qui se changent rapidement en haine secrète puis en révolte ouverte.

Tout homme aurait droit à la protection paternelle du gouvernement, fût-il anglais, français, grec, arabe, écossais même. Les places seraient données à ceux qui les mériteraient selon la loi, en sorte qu'en évitant ainsi une partialité toujours révoltante, le peuple devrait du respect à ses officiers qui en auraient eux-mêmes pour le peuple et le gouvernement qui, n'accordant point d'absurdes privilèges exclusifs, ne saurait attendre, de protégés indépendants, une lâche complaisance à commettre des actes que la justice et l'équité n'approuveraient pas.

Comme on le voit ma république n'aurait aucun des défauts qui se peuvent remarquer aujourd'hui dans d'autres gouvernements, en sorte qu'il n'y a pas de doute que le bonheur et la prospérité lui seraient infailliblement assurés. — Mais, dira-t-on, votre première condition de naturalisation suffirait à assurer le bonheur. Détrompez-vous, chers lecteurs, je veux la modifier, la changer, je crois même que j'y renoncerai absolument comme propre à rendre tout le monde malheureux en détachant les citoyens les uns des autres, tandis que la prospérité et la sécurité viennent d'une obligation et de services mutuels. Mais, ce qui nous vaudrait, à tous, plus de cent louis de rente, avouez-le, ce seraient des droits égaux à la considération, d'être traité selon son mérite, de n'avoir point sous les yeux d'injustice criante, de n'entendre point constamment des injures révoltantes, de ne point voir parader sans cesse une ignoble police dont l'œil fauve et inquiet voit partout des coupables, de ne point apprendre chaque jour de ces désastres dont l'humanité n'ose envisager l'horreur, de ne point se heurter à chaque instant contre une hautaine, grossière et ignorante soldatesque dont la tâche éternelle et bien pesée semble être de faire des mécontents et des ennemis.

Nous n'aurions plus d'avocats sans causes ni de docteurs sans patients, de manière que la classe remuante de la société, se trouvant métamorphosée en artisans laborieux, en négociants utiles, en citoyens satisfaits, on n'aurait plus à l'accuser d'entraîner le peuple dans des démarches toujours fâcheuses lorsqu'elles sont infructueuses. Enfin chacun serait heureux selon son mérite et sa destinée, voilà le véritable but du gouvernement.

Il ne nous reste plus maintenant qu'à établir et mettre en force mon système. Chacun croira qu'il faut d'abord des choses inouïes, des armées innombrables, des sommes incalculables ; qu'il faudrait répandre des fleuves de sang, sacrifier des milliers de vies pour venir à ce résultat. Non mes amis ; que l'Angleterre nous donne ici des hommes indépendants, fermes et justes et l'on ne tarderait pas à voir réaliser ces plans qui paraissent aujourd'hui chimériques, mais que l'on accepterait bien vite avec bonheur après les rudes temps d'épreuves auxquels nous sommes actuellement soumis.



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