Discours de Daniel O'Connell à la Chambre des communes britannique le 6 mars 1837
Daniel O'Connell intervient ici en réaction à la présentation, par le secrétaire d’État au département de l’Intérieur John Russell, de dix résolutions concernant le Bas-Canada. Pour lire l'original : Daniel O'Connell's Speech in the British House of Commons on March 6th, 1837
L'hon. gentilhomme qui vient de s'asseoir a laissé échapper quelque chose qui m'incite à saisir l'opportunité de livrer quelques mots pour expliquer mes opinions sur la question.
L'hon. député vient de dire à la Chambre qu'il est un homme aux opinions libérales, mais l'hon. député a la manière la plus étrange que j'ai jamais connu de faire montre de sa libéralité, particulièrement dans la présente occasion, quand, se levant pour prendre la parole, il se sert d'un langage d'une dureté aussi excessive que celle qu'on vient d'entendre à l'endroit des Canadiens.
Bien qu'il soit ex officio un parti intéressé, il se permet de parler de l'audace de l'autre parti, un parti constitué des représentants de la nation, assemblés en leur capacité législative : en vertu de son privilège de député de la Chambre, il se permet de traiter avec un tel langage des hommes, ses égaux en toute chose, et, je crois, ses supérieurs en beaucoup d'autres. Pourquoi a-t-il employé le mot « audace » ou « audacieux »?
Les hommes à qui ce langage est réservé sont des hommes élus, non par tromperie, corruption, intimidation ou par le pouvoir de l'aristocratie, mais par le peuple, des hommes qui représentent les volontés du peuple, et ont persévéré, contre tous les obstacles, dans une conduite honorable pour préserver les droits et les privilèges de leurs constituants. L'hon. député est lui-même un des griefs dont les colons se sont plaints. Il est, par conséquent, excessivement de mauvais goût de la part de l'hon. gentilhomme de se montrer leur antagoniste; et j'ajoute, que la compagnie dont l'hon. gentilhomme est le président parait être en violation directe des principes qui doivent gouverner les Canadiens et les privilèges dont ils doivent également jouir. Par conséquent, je crois qu'ils sont justifiés de s'y opposer.
Ayant disposé de cette partie du sujet, je désire exprimer mon profond regret d'avoir entendu les propositions émanant du noble seigneur. Je pense qu'elles contiennent certains des plus mauvais principes des plus mauvais temps du gouvernement Tory. Elles comportent des principes qui durant des siècles ont été la source abondante de la guerre civile, de la dissension et de l'égarement en Irlande.
L'analogie entre le Canada et l'Irlande est plus grande que ne veut l'admettre l'hon. gentilhomme. En fait, elle est complète; et s'ils en viennent aux noms, lorsqu'ils parlent de Papineau ils n'ont qu'à y substituer un autre nom commençant par la lettre O. Les cas sont précisément similaires.
La Chambre de ce Parlement s'apprête à prendre l'argent prélevé par les Canadiens, les représentants canadiens n'étant autorisés à exercer seulement qu'une fonction, prélever les subsides, mais non à en autoriser la dépense. Mais ces deux fonctions ne peuvent être séparées l'une de l'autre. C'est une pure moquerie que de leur donner le pouvoir de lever une somme d'argent pour leur enlever cet argent par la suite. C'est précisément ce à quoi les Américains ont résisté — et, Dieu soit béni! ils ont résisté et la conséquence en a été la diffusion de ce principe démocratique qu'on voulait ignorer, et qui se devait d'être ignoré par ceux qui le détestaient et sentaient qu'ils avaient quelque chose à perdre dans sa croissance. L'esprit même de la résistance, alors, se trouve dans les résolutions.
L'hon. gentilhomme qui est président ou directeur de la compagnie en question, a parlé de la nécessité de faire ceci ou cela. Mais c'est la nécessité que plaident toujours les tyrans. N'est-ce pas la nécessité qui a fait introduire le Coercion Bill en Irlande? Y a-t-il eu une seule personne, parmi ceux qui proposaient et soutenaient ce bill, qui n'a pas parlé de sa nécessité? L'excuse de la nécessité peut tout justifier. Et bien, quelle est la nécessité dans ce cas-ci? Que lui a-t-elle enseigné?
Essayez au moins de faire quelque chose pour le Canada — la justice pour le Canada! Laissons les avoir une assemblée législative telle qu'ils la désirent et s'ils doivent persister dans leurs appels à cette Chambre, j'espère qu'ils seront protégés contre la privation de leur argent par une majorité considérable. Je proteste contre les résolutions et j'espère que l'amendement de l'hon. député de Bridgewater sera adopté.
L'hon. gentilhomme (M. Robinson) a parlé du Parti canadien. N'est-ce pas ce qu'a fait le Parti orangiste en Irlande? Le Parti canadien est le peuple du Canada. Quelle est la preuve de ça? Et bien, ils ont réélu une proportion de 80 députés sur 88. Est-ce que c'est un parti ça? Quoi! un parti qui a élu une majorité aussi écrasante de la législature? L'hon. gentilhomme peut bien appeler ça un parti si ça lui plaît; et il s'assoit lui-même dans un siège qui, il n'y a pas si longtemps, était occupé par un gentilhomme qui appelait la nation irlandaise « un parti » précisément de la même façon. La nation irlandaise est opposée au Parti orangiste et ce parti parle de la nation comme d'un parti.
Mais alors il sera objecté que la question de la religion ne se pose pas autant au Canada qu'elle ne se pose en Irlande. Non, mais la misérable distinction de parti elle se pose de la même façon; et si les dissensions religieuses ont été évitées jusqu'à présent, je ne crois pas, d'après certains indices qui ont ressortis, que le Canada en sera libre encore longtemps. Il semble, d'après les derniers rapports authentiques, que les positions élevées et les postes importants soient comblés par des personnes de naissance britannique et qu'il n'y en ait que 40 qui soient occupés par des Canadiens. Je ne puis dire quelle est la proportion à l'heure actuelle, je ne le sais pas précisément, mais j'ai des raisons de croire que la proportion des personnes de naissance britannique dans les postes d'influence et d'émolument est excessivement grande comparée à celle des Canadiens.
En bref, le Parti de la cour, si je peux l'appeler ainsi — le Parti britannique, est le Parti orangiste du Canada. Je suis très navré de percevoir dans le rapport des commissaires qu'ils semblent être en faveur du Parti britannique. Il y a à peine un mot employé par l'hon. gentilhomme de l'autre côté de la Chambre qui n'eut pu sortir de la bouche d'un Orangiste lorsqu'il parle de l'Irlande. En fait, j'ai entendu que les Orangistes qui sont allés s'établir dans les Canadas se sont joint au parti que l'hon. gentilhomme appuie. Quand je l'ai entendu, j'ai dit à mes informateurs : « c'est exactement la même chose qu'en Irlande, il y a un Parti orangiste là-bas. »
L'hon. gentilhomme affirme que si nous protégeons le Canada, il est tenu de nous donner son allégeance. Ne peut-il pas se protéger lui-même alors? Qu'est-ce que l'Amérique a perdu en se protégeant? À New York la propriété se vend à 45 years' purchase alors qu'au Canada elle ne va chercher que 20 years' purchase. Pour quelle raison? Parce qu'il y a un système de gouvernement indépendant dans le premier pays et pas dans le deuxième.
Pourquoi le Canada ne pourrait-il pas avoir son propre gouvernement législatif? Que peut-il y avoir de plus misérable que d'être gouverné par son actuelle Chambre des Lords? Pourquoi un corps irresponsable doit-il être placé au dessus de sa tête par la Couronne? Est-ce nécessaire à la protection de la Couronne? Certainement pas. Ce n'est pas la façon de garantir l'autorité de la Couronne. L'hon. gentilhomme se souvient-il que durant la guerre américaine un officier s'est présenté dans cette Chambre et a dit : « Donnez moi une armée? Non, je n'en veux pas. Donnez moi les vieux gardiens de la ville, et je marcherai d'une extrémité à l'autre de l'Amérique. » Quel était le fait? Quelques uns des meilleurs grenadiers à être jamais sortis de nos rangs ont ensuite été envoyés là-bas et quelques uns d'entre eux seulement sont revenus, mais sans porter les lauriers de la victoire. C'est du vent de dire qu'un peuple peut être outragé impunément. J'espère que la Chambre se joindra en disant : « Donnez plus de privilèges constitutionnels aux Canadiens. »
En réponse aux affirmations de l'hon. gentilhomme concernant les griefs des Canadiens, je lui demanderai s'il a déjà entendu parler de l'octroi de terres à certaines personnes une demi-heure avant le moment du vote?
[M. Robinson : ça a été fait par une Chambre d'assemblée remplie frauduleusement.]
Ah! bien sûr. Une Chambre d'assemblée remplie frauduleusement! Mais l'hon. député devrait plutôt déclarer que tous les députés ont été élus on ne peut plus régulièrement. La grande question, cependant, qui doit être considérée est de savoir si le Canada doit être gouverné pour les seuls intérêts de la Grande-Bretagne. Nous ne devons pas le retenir un seul instant et nous ne pouvons pas désirer le retenir pour de futiles avantages pécuniaires dérivés de lui. Et en ce qui concerne nos intérêts commerciaux, le commerce, au lieu d'être diminué, augmenterait si le Canada était libéré. Il n'y a pas un homme dans cette Chambre qui ne mépriserait l'idée de prélever toute contribution sur les Canadiens. Que leurs intérêts soient présentés équitablement et entièrement devant cette Chambre, et s'il se trouve quoi que ce soit qui entre en contradiction entre nos principes fixes de gouvernement et le bien-être de ces hommes, laissons les généreusement partir et disons leur que si nous ne pouvons les gouverner pour leur propre avantage, alors nous ne les gouvernerons pas du tout.
Mais j'implore la Chambre de ne pas simplement donner son aide — de ne pas laisser le Canada aux seules mains d'un parti — de ne pas l'abandonner à un système d'agiotage contrôlé par des gens qui ne désirent qu'en retirer du profit. Qu'elle ne laisse pas se créer un parti, qui, quand vint le test des élections a vu son influence réduite; qu'elle ne soutienne aucun parti en pillant le peuple. Qu'elle sache distinguer entre le vol et la rectitude, entre le pillage et la justice. Que la Chambre prouve qu'elle gouverne le Canada pour le bien des Canadiens ou alors qu'elle cesse de prendre l'argent du peuple canadien.
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