Lettre de Jacques-Yvan Morin à René Lévesque - 21 mai 1985

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À Monsieur René Lévesque, Premier ministre, Gouvernement du Québec.
Le 21 mai 1985



Monsieur le Premier ministre,

Au mois de décembre, vous avez bien voulu me demander d’entreprendre la rédaction d’un document destiné à préparer la discussion sur l’opportunité de doter le Québec d’une constitution formelle. Dès le dé but de l’année, conscient des exigences d’une telle tâche, j’ai demandé et obtenu l’aide de MM. Jean-K. Samson, Jules Brière, David Payne et Jules-Pascal Venne. Nous avons de la sorte constitué un comité officieux, auquel s’est joint M. Guy Versailles, représentant M. Pierre Marc Johnson, ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes.

Le Comité s’est réuni à huit reprises depuis le 5 février et a ébauché les textes que nous présenterons sous la forme d’un avant-projet de Constitution. Nous nous sommes inspirés de plusieurs sources (instruments internationaux, constitutions étrangères, programmes politiques), en ayant soin de les adapter le mieux possible aux réalités québécoises. Dans sa forme actuelle, que nous avons voulu la plus concise possible, elle donne un aperçu du genre de société que le gouvernement pourrait proposer aux Québécois.

Dans notre esprit, un tel projet socio-économique et culturel peut non seulement être une instrument de progrès pour notre société, mais également un facteur d’identité. C’est pourquoi nous avons placé les chapitres consacrés aux droits, libertés et devoirs de la personne avant ceux qui traitent des institutions; et parmi les droits fondamentaux, nous avons mis au premier plan les droits socio-économiques ainsi que les droits linguistiques et culturels de la majorité et des minorités.

Avons-nous réussi à rédiger un document propre à inspirer les Québécois et à mobiliser les éléments les plus dynamiques de notre société? Nous sommes trop « collés » au projet pour pouvoir en juger. Nul mieux que vous peut décider si l’exercice a été utile et s’il vaut la peine de le pousser plus loin. Nous n’avons pas tenté d’atteindre la perfection technique à ce stade. Nous aimerions d’abord savoir de vous si nous sommes sur la bonne voie et si l’effort en vaut la chandelle. Vous noterez que certains articles ou certains fragments d’articles ont été placés entre crochets en vue de marquer les hésitations du comité devant la rédaction retenue.

Un projet de cette envergure aurait encore bien des étapes encore à franchir. Avant même d’être soumis au conseil des ministres, il conviendrait sans doute d’élargir un peu et confidentiellement la consultation à partir de l’avant-projet. L’étape du conseil serait suivie de nouvelles corrections, toujours sous le sceau de la confidence (si possible…). Si l’exercice est concluant, il faudrait alors décider dans quelles conditions le projet serait rendu public.

Quoiqu’il en soit de la stratégie retenue, l’Assemblée nationale devrait sûrement être appelée, tôt ou tard, à débattre du projet. Dans mon esprit, elle se trouverait même au centre de toute la démarche ultérieure visant à sensibiliser la population des régions aux grands objectifs proposés. Peut-on imaginer - ce n’est pas la première fois qu’on en parle – une commission parlementaire itinérante? Enfin, au terme de cette démarche, nous proposons dans le projet lui-même, son approbation par le moyen d’une consultation populaire, la Constitution n’entrant en vigueur qu’une fois « ratifiée » par le peuple.

Cependant, tout cet effort suppose que nous avons quelque chose à proposer qui sort des lieux communs habituels. Avant d’aller plus loin, nous souhaitons vivement que vous nous fassiez part de vos commentaires et suggestions. Vous pourriez également vouloir confier à d’autres personnes la suite du projet, de manière à le renouveler. Ce serait là, à nos yeux, une démarche parfaitement légitime, si elle permettait au projet d’aboutir et d’être utile.

Je rentrerai de voyage vers le 18 juin et me permettrai de communiquer avec vous dans les jours qui suivront pour connaître vos intentions ou suivre vos instructions. Les membres du comité m’ont demandé de vous faire savoir qu’ils sont disponibles pour travailler de nouveau au projet en juillet et août, si vous le jugez utile.

Je vous prie d’agréer, monsieur le Premier ministre, l’expression de mes sentiments les plus cordialement dévoués.

Jacques-Yvan Morin

J-Y.M./cdb