Utilisateur:Liberlogos/Québec: Good Neighbor in Transition

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Québec: Good Neighbor in Transition

René Lévesque à l'Economic Club de New York
25 janvier 1977

Transcrit par Benoît Rheault de:

Microforme de la Bibliothèque nationale du Québec



Il y a deux mois, jour pour jour, un nouveau gouvernement était assermenté à Québec.

Issu d'un jeune parti politique en ascension depuis trois élections, ce gouvernement a comme objectif fondamental l'accession de la collectivité québécoise à la souveraineté politique. Un tel événement, prévisible chez nous depuis plusieurs années, devait tout naturellement éveiller, hors de nos frontières, unintérêt et une curiosité non dépourvus, chez certains, d'inquiétude et de méfiance.

Car qu'est-il ce Québec si proche par la géographie et si loin parfois par la connaissance qu'on en a?

200 ans après les USA

Le Québec est né en même temps que les premi;eres colonies américaines. Son histoire est intimement liée à l'histoire de ces treize communautés qui, après cent cinquante ans de régime colonial, se sont unies pour former les Etats-Unis d'Amérique.

Nos ancêtres, véritables découvreurs et commerçants, ont, les premiers, exploré l'Amérique du Nord jusqu'aux Rocheuses et la Louisiane. Détroit, la Nouvelle-Orléans et Milwaukee ont été fondés par des Québécois. Vers 1830, le Missouri vivait encore à la française. Un fils de Montréalais, John-Charles Frémont, a commandé les troupes qui, en 1846, ont conquis la Californie, dont il est devenu gouverneur. Plus tard, plusieurs milliers de Québécois, à cause de conditions économiques difficiles au nord, se sont établis dans votre grand pays, principalement en Nouvelle-Angleterre. Faut-il souligner que depuis toujours, avec vous, nous partageons le goût des nouvelles frontières, la soif des grands espaces, le besoin de surmonter des obstacles, de relever des défis parfois surhumains, de créer de nouveaux modes de vie.

Or, en fait, le Québec aurait très bien pu, l'an dernier, participer avec vous, en tant qu'Etat fondateur, à la célébration du bicentenaire américain s'il avait choisi, comme il avait été invité à le faire, de se joindre à l'Union américaine. Peut-être cet anniversaire a-t-il même suscité de la nostalgie dans le coeur des Québécois. Car, comme vous, nous avons le sentiment de former une nation. Nous en avons toutes les caractéristiques: territoire bien défini, histoire, langue et culture communes, vouloir-vivre collectif, identité nationale.

Et voilà que, deux cents ans presque exactement après son voisin du sud, le Québec a, lui aussi, décidé d'amorcer le processus de son accession à l'indépendance.

Similitudes

A ce propos, je dois vous confier à quel point j'ai été frappé par la similitude que j'ai retrouvée entre le climat psychologique que l'on sent aujourd'hui au Québec et celui qu'ont décrit les nombreuses publications qui ont rappelé l'état d'esprit qui régnait ici, il y a deux siècles. A cette époque, un grand nombre parmi les habitants des treize colonies était loin d'être convaincu du bien-fondé du projet d'indépendance. Les délégués au Congrès de Philadelphie, en 1775, hésitaient à rompre avec la Grande-Bretagne. D'aucuns prophétisaient la catastrophe économique, le tarissement des investissements, l'effondrement de la monnaie. Pourtant, cette indépendance était si naturelle, si évidemment inscrite dans la géographie, l'histoire et la dynamique des peuples qu'elle se fit. Et elle s'est exprimée dans des termes si simples et si profonds à la fois que ce n'est pas sans émotion qu'un Québécois peut les lire:

"When in the Course of human events, it becomes necessary for one people to dissolve the political bonds which have connected them with another, and to assume among the powers of the earth, the separate and equal station to which the Laws of Nature and of Nature's God entitle them, a decent respect to the opinions of mankind requires that they should declare the causes which impel them to separation".

Cette première phrase de la Déclaration d'indépendance, j'en aurais volontiers fait la première phrase de mon discours, tant elle exprime bien les sentiments que je ressens quand, comme aujourd'hui, je viens expliquer le Québec dans la capitale du monde.

Quelques quinze années avant l'indépendance américaine, le Québec, jusque-là colonie française, a été conquis par les armes britanniques. Cette conquête priva notre société d'une grande partie de son élite, repartie en France, et remit la gouverne de notre vie politique et économique en des mains étrangères. Du coup, la collectivité québécoise devint une plante fragile, dans un environnement inhospitalier. Il fallait donc tout mettre en oeuvre pour la protéger et assurer sa survie: ce fut une époque de repliement sur soi. Il aura fallu les efforts d'une douzaine de générations pour nous mener au seuil de notre maturité.

C'est ainsi que de tous les peuplements européens qui se sont implantés en Amérique au dix-septième siècle, l'espagnol, le portugais ou l'anglo-saxon, seul le français n'a pas encore atteint sa pleine autonomie politique.

Aujouord'hui, le Québec est une société développée. Sa population dépasse six millions d'habitants, dont près de 82% sont d'ascendance, de culture et de langue françaises. Sa métropole, Montréal, est la deuxième ville française en importance dans le monde. Son produit national brut le place au vingt-troisième rang des nations du monde et son revenu national per capita, au onzième rang. Quant à son territoire, il constitue une assise solide tant par l'étendue que par l'importance des ressources.

L'indépendance du Québec est donc devenue aussi naturelle, aussi normale, je dirais presque aussi inévitable que l'était l'indépendance américaine il y a deux cents ans. Notre indépendance politique est déjà inscrite dans l'histoire et la sociologie, puisque notre jeunesse y est déjà massivement acquise. Il serait insensé de tout faire pour retarder l'aboutissement d'un processus aussi naturel qu'irréversible. Touos les efforts, au contraire, doivent tendre à l'aménagement rationnel des rapports futurs du Québec avec ses voisins.

Vers la "quiet independence"

Pour moi, la question qui importe — celle qui doit préoccuper tous ceux qui portent intérêt au Québec et au Canada — ce n'est pas de savoir si le Québec deviendra ou non indépendant, mais de connaître comment les Québécois assumeront la pleine maîtrise de leur vie politique.

A ce propos, je crois quel e passé augure bien de l'avenir. D'une part, les Québécois sont déterminés à procéder aux changements qui s'imposent en recourant uniquement et strictement aux voies démocratiques. Dans ce sens, l'élection d'il y a deux mois se préparait depuis longtemps. Toute notre histoire est là pour démontrer que les Québécois n'aiment pas bousculer les choses, pas plus qu'ils n'aiment être bousculés. Nous sommes un peuple tenace, fidèle à lui-même, aimant la continuité. Nous avons appris à naître, à survivre et à progresser malgré les obstacles, parce que nous sommes constants, prudents et aussi déterminés. Nous ne procédons pas par bonds, mais par transition. Nous pouvons être pour le changement, pas pour le désordre. Tous les extrémistes nous répugnent naturellement.

D'ailleurs, depuis 1960, le Québec a connu une époque de changements accélérés qui ont complétement modifié ses structures sociales sans popur autant créer les désordres et les traumatismes qui ont affligé plusieurs autres pays. A tel point que l'on a qualifié cette période de "quiet revolution". Or, depuis sept ou huit ans, le Québec est engagé dans un processus similaire sur le plan constitutionnel. Une fois de plus, cette évolution se fait essentiellement dans le calme, les quelques heurts des débuts ayant complètement cédé le pas au patient travail démocratique. De sorte qu'après la "quiet revolution", nous aurons bientôt la "quiet independence".

Le référendum

Un des éléments clés de cette "quiet independence", c'est notre engagement clair et ferme de ne jamais bousculer les Québécois dans des changements constitutionnels fondamentaux qu'ils n'auraient pas clairement acceptés au préalable. Et comme base de cet engagement, nous avons donné à nos concitoyens l'assurance de tenir, sur la question de l'indépendance, un référendum qui permettra à tous les Québécois en âge de voter, sans distinction d'origine, de se prononcer sur l'avenir du Québec. Ce référendum se tiendra au cours de notre mandat actuel, qui est de cinq ans, et la date en sera annoncée suffisamment à l'avance pour qu'un véritable débat puisse avoir lieu. Cette façon graduelle et démocratique de procéder fait que la Québec a toujours été et continue d'être une des sociétés les plus stables au monde, en plus d'être l'une des plus riches et des plus productives. En effet, dans nos sociétés d'aujourd'hui, la stabilité se définit bien davantage comme la capacité de s'adapter au changement que celle d'y résister. Car aucune de nos sociétés modernes n'est à l'abri du changement: si on y résiste, on ne fait que préparer pour l'avenir des changements plus violents et plus radicaux. Or, c'est précisément cette capacité qu'a toujours manifesté le Québec d'aménager dans la continuité les changements les plus fondamentaux qui constitue le gage le plus rassurant de sa stabilité économique et sociale

C'est dans ce même esprit que notre projet de souveraineté politique s'accompagne d'une proposition d'association économique avec le Canada.

Car l'économie québécoise est fortement intégrée à celle du Canada. Jamais les Québécois n'ont voulu ou cru pouvoir vivre seuls, isolés, dans une sorte d'autarcie stérilisante. Autant que tout peuple, nous sommes conscients des exigences de l'interdépendance des nations et des entités économiques. C'est pourquoi nous proposons au reste du Canada un nouveau type d'association, qui permettra aux anglophones et aux francophones de vivre en harmonie, côte à côte, sans se nuire mutuellement. Nous sommes ouverts au dialogue et notre objectif est d'associer et de mettre en commun sur le plan économique, ce qui doit l'être pour l'avantage du Québec et du Canada.

Ce nouveau "partnership" pourra prendre la forme d'un marché commun, d'une union douanièere, permettant la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, à la manièere des pays de l'Europe occidentale. Si le désir est réciproque, nous sommes même prêts à aller au-delà, vers une union monétaire qui permettrait aux deux communautés de procéder au changement de statut constitutionnel avec le minimum d'incertitude pour les agents économiques.

Une "social-démocratie"

[À transcrire...]

Les dépenses publiques

[À transcrire...]

Les investissements privés

[À transcrire...]

Les interventions de l'Etat

Notre gouvernement n'est donc pas hostile aux capitaux étrangers et n'a pas l'intention de lutter contre l'entreprise privée. Le Parti Québécois a adopté une approche pragmatique. Le recours à l'entreprise publique n'est pas pour nous un principe général d'ordre idéologique, il est un moyen à utiliser avec précaution quand les circonstances concrètes démontrent clairement que ce recours est indiqué.

Ces interventions suivront le modèle déjà bien établi par notre Société générale de financement, et nos autres sociétés d'Etat. Elles permettront d'associer le gouvernement québécois et les capitaux privés, aussi bien autochtones qu'étrangers, à de grands projets d'investissement. C'est ainsi que récemment, notre sidérurgie SIDBEC s'est associée à U.S. Steel et à la British Steel pour lancer le projet de Fire Lake, qui nécessitera des investissements de $545 millions. Ou encore que notre Société générale de financement s'est associée à une société canadienne, B.C. Forest, et à une société française pour construire à Saint-Félicien, une usine de pâtes et papier de quelque $300 millions. Et je ne parle par de SOQUEM que j'ai créée en 1965, pour développer notre secteur minier et qui s'est associés à des dizaines d'entreprises, avec, disons-le fièrement, de plus en plus de succès.

Bref, nous voulons construire au Québec une société et un milieu qui conviennent à notre originalité et à notre goût. Cela ne signifie pas que nous rejetions les valeurs sociales, les structures économiques ou les institutions politiques propres au milieu nord-américain. Quel que soit le statut du Québec, celui-ci sera toujours le voisin du Canada et des Etats-Unis. Nous tenons absolument aux liens de coopération et d'amitié avec ces voisins. Ils nous sont imposés tant par l'histoire et la géographie que par des intérêts complémentaires et des échanges nombreux et variés. Votre grand pays est issu d'un mouvement d'affirmation collective semblable à celui qui anime présentement le Québec. Il nous paraît normal d'attendre de vous compréhension et sympathie.

L'équipe en place

Enfin, je voudrais souligner le fait que notre nouveau gouvernement comprend plusieurs personnes qui ont une solide expérience administrative et parlementaire.

L'équipe qui vient d'être portée au pouvoir au Québec est pleinement consciente de toutes les exigences auxquelles elle fait face. Ces exigences sont souvent contradictoires, ce qui ne facilite pas les choses. Les citoyens réclament des services dont on ne peut pas nier qu'ils soient nécessaires. En même temps, il faut faire correspondre le volume des dépenses publiques aux moyens de notre économie; et, en outre, prendre soin que, ce faisant, l'on combatte quand même le chômage et les inégalités personnelles et régionales. Dans tout cela, il y a une sorte de quadrature du cercle. Je me console un peu en pensant que tous les gouvernements sont dans le même cas, mais c'est là une bien piètre consolation

Si on tient compte de notre détermination et du sens des réalités dont nous voulons faire preuve, si on tient compte également du caractère éminemment démocratique de notre parti politique, de la qualité des hommes en place, de l'esprit positif et raisonnable avec lequel nous abordons l'exercice de nos responsabilités, des potentialités économiques québécoises que vous connaissez bien, en somme si on observe et mesure tous ces facteurs, je me permettrais de dire que nous n'avons pas le droit de ne pas réussir.

René Lévesque
New York
25 janvier 1977

Note

1. Ce texte, tel qu'imprimé par La Presse, Limitée, est disponible sur microforme à la Bibliothèque nationale du Québec.

2. Ce discours fut livré en anglais à l'Economic Club de la ville de New York.

Catégorie:États-Unis d'Amérique