Tendances de l'assimilation linguistique des allophones dans la région de Montréal

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Tendances de l'assimilation linguistique des allophones dans la région de Montréal
dans L'Action nationale, septembre 1998, pp.55-68



Les importantes modifications apportées à la politique linguistique québécoise dans la foulée de la Révolution tranquille, et la grande diversité de sa population immigrante arrivée depuis la Deuxième Guerre mondiale, font de la région de Montréal un cadre de choix pour l'étude du phénomène d'intégration linguistique des immigrants. L'intérêt spécifique de Montréal comme champ d'observation à cet égard se trouve encore rehaussé par la coexistence de deux sociétés d'accueil sur son territoire, l'une de langue anglaise, l'autre de langue française.

À partir de 1971, soit tout juste avant le nouveau régime linguistique introduit par les lois 22 et 101, les recensements canadiens offrent les renseignements utiles pour mesurer l'assimilation linguistique des allophones, c'est-à-dire l'adoption éventuelle soit de l'anglais, soit du français comme langue d'usage à la maison, à la place de la langue maternelle d'origine. Ce n'est là qu'un aspect du processus plus global d'intégration des allophones, et la plupart d'entre eux conservent leur langue maternelle comme langue d'usage à la maison durant toute leur vie. Mais c'est un aspect vital pour la démographie des deux sociétés d'accueil que touche de façon égale la sous-fécondité qui caractérise aujourd'hui les pays dits développés.

C'est dans cette perspective que nous tentons une première ébauche quant aux tendances de l'assimilation linguistique des allophones dans la région métropolitaine de recensement de Montréal, telle que délimitée par Statistique Canada aux recensements de 1971 et 1976. Au dernier recensement, le territoire en question était considérablement plus étendu qu'en 1971 et comptait au total 3 287 645 résidents permanents, soit près de 47 % de la population du Québec et près de 90 % de sa population allophone. Un examen des tendances de l'assimilation parmi la communauté de langue maternelle italienne servira comme entrée en matière quant aux enseignements que l'on peut tirer des données de recensement sur la langue maternelle et la langue d'usage à la maison.

Le détournement des Italiens vers l'anglais

Au moyen des recensements antérieurs à la Révolution tranquille, la Commission Laurendeau-Dunton avait noté que parmi la population immigrante de Montréal, la francisation, c'est-à-dire l'adoption du français comme langue principale à la maison, était surtout le fait des immigrants d'origine italienne, dont plusieurs avaient épousé des francophones. Cependant, en 1968, la crise linguistique de Saint-Léonard confirmait à quel point les Italiens tenaient eux aussi, tout comme les autres parents allophones, à envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Ce choix découlait en toute logique de la perception générale de l'anglais comme langue dominante dans le milieu du travail à Montréal.

Presque aussitôt, le recensement de 1971 laissait entrevoir l'incidence de la scolarisation en anglais sur l'assimilation linguistique. Alors que, à la faveur en particulier de mariages mixtes avec des membres de la majorité francophone, 60 % des Italiens adultes qui avaient délaissé l'italien comme langue d'usage à la maison avaient opté pour le français, 70 % des adolescents italiens qui délaissaient leur langue maternelle choisissaient plutôt de s'angliciser.

Vingt-cinq ans plus tard, le recensement de 1996 nous permet d'apprécier l'avantage à plus long terme que l'anglais a tiré de l'orientation scolaire des jeunes Italiens. Tandis qu'au recensement de 1971 la région de Montréal comptait encore, sur un total de 131 000 Italiens (langue maternelle), 14 000 anglicisés contre autant de francisés et 103 000 qui conservaient l'italien comme langue d'usage à la maison, les données de 1996 indiquent, sur un total de 133 000 Italiens, pas moins de 48 000 anglicisés en regard de quelque 15 000 francisés.

Ce bilan... représente environ 34 000 Italiens anglicisés de plus en 1996 qu'en 1971 alors qu'à toutes fins utiles, le nombre de francisés n'a pas bougé. On peut supposer que si les parents italiens avaient, dans les années 1950 et 1960, choisi plutôt l'école française pour leurs enfants, la région de Montréal compterait aujourd'hui près de 50 000 Italiens francisés, au contraire du résultat actuel...

Dès avant les lois 22 et 101, l'arrivée des francotropes compense la prédilection des Italiens pour l'anglais

Toutefois, tandis que les Italiens se détournaient du français au profit de l'anglais, la région de Montréal commençait à accueillir un nombre croissant de nouveaux immigrants de langue latine et, donc, potentiellement francisables. Les premiers sont les Portugais, en provenance surtout des Açores. Leur arrivée en nombre débute en pleine Révolution tranquille, et leur lecture de la situation linguistique à Montréal, marquée à cette époque par la volonté manifeste de la majorité francophone de franciser le milieu du travail, diffère sans doute de celle de leurs prédécesseurs italiens.

Suivent au cours des années 1970 d'autres importants contingents de langue latine, comme les Latino-Américains, de langue espagnole. Et d'autres à affinités françaises en vertu de l'histoire, soit ceux de langues créole, vietnamienne, khmère, laotienne et arabe. Ceux-ci sont originaires, de façon générale, d'anciennes colonies ou d'anciens protectorats français comme Haïti, l'Indochine, le Maroc, l'Égypte, le Liban. S'ajoute enfin depuis tout récemment, un nouveau contingent de langue latine en provenance de Roumanie.

Par analogie avec l'héliotrope, plante qui, comme le tournesol, s'oriente vers le soleil, regroupons sous le terme général de francotropes ces composantes de l'immigration allophone qui sont toutes, en vertu de leur langue ou de leur histoire, portées en quelque sorte naturellement vers le français. Il s'avère, effectivement, que les membres de chacune de ces composantes de l'immigration allophone choisissent en majorité de s'intégrer à la société d'accueil francophone et, le cas échéant, adoptent plus souvent le français que l'anglais comme langue d'usage nouvelle à la maison.

Au total, la région métropolitaine ne comptait en 1971 que 30 000 francotropes, essentiellement de langue portugaise, espagnole ou arabe, dont pas plus de 5 000 pratiquaient le français comme langue d'usage à la maison. Toutefois, le poids des francotropes, déjà en hausse au sein de l'immigration allophone depuis le début des années 1960, atteint 50 % parmi les allophones qui arrivent au Québec au cours de la période 1971-1975, et se maintient au-dessus de 50 % par la suite ... Si bien que le recensement de 1996 a énuméré dans la région montréalaise près de 235 000 francotropes dont environ 55 000 francisés, en regard de quelque 17 000 anglicisés...

Dès avant les lois linguistiques, donc, l'arrivée des vagues successives de francotropes a compensé en quelque sorte l'anglicisation des Italiens de Montréal. Précisons qu'en 1996, plus de trois francotropes francisés sur quatre sont, par ordre d'importance, de langue maternelle créole, espagnole ou arabe.

Néanmoins, outre son succès auprès des Italiens, la société d'accueil de langue anglaise a recruté plus largement que celle de langue française parmi de nombreuses autres communautés allophones. À l'instar des Italiens, on peut de ce fait les considérer comme anglotropes. Parmi ceux-ci figurent les groupes allemand, grec, yiddish, polonais, chinois, punjabi, tamoul, philipino, et ainsi de suite. Les premiers se sont installés à Montréal pour l'essentiel avant la Révolution tranquille, d'autres sont arrivés plus récemment...

... Établies depuis longtemps dans la région de Montréal, plusieurs communautés anglotropes comptent beaucoup plus de membres nés au Québec que les groupes francotropes. Cela invite à analyser l'assimilation des allophones en fonction du lieu de naissance. C'est pourquoi nous distinguerons à l'occasion les allophones immigrés de ceux qui sont nés au Québec.

Enfin,... les résultats pour l'ensemble de la population allophone à Montréal. Du bilan global de la situation qu'il nous propose, retenons que malgré les lois 22 et 101 et l'arrivée en force des francotropes, la part du français dans l'assimilation de la population allophone totale ne s'élève tout de même qu'à 40 % en 1996.

Tendances de l'assimilation des immigrés

En ce qui concerne plus spécifiquement les allophones immigrés proprement dits, (nous mettons) en relief de façon saisissante la croissance du poids des immigrés francotropes selon la période d'immigration, et son effet d'entraînement sur la part du français dans l'assimilation des cohortes successives d'immigrés. Cette part du français dans l'assimilation est calculée, ... en rapportant pour chaque cohorte le nombre d'allophones francisés au nombre total d'allophones anglicisés ou francisés.

Retenons de cette figure une autre constatation importante. Elle montre que la progression de la part du français dans l'assimilation des cohortes successives d'immigrés allophones s'est réalisée en majeure partie avant le milieu des années 1970, soit avant le nouveau régime linguistique instauré par les lois 22 et 101. Rappelons que les dispositions scolaires de la loi 22 ne sont entrées en vigueur qu'en septembre 1975, et que la loi 101 est survenue seulement en 1977. De toute évidence, c'est l'arrivée en nombre des francotropes qui a haussé la part du français dans l'assimilation au-dessus de la barre de 50 % dès la cohorte de 1971-1975.

Signalons enfin que sur les vingt dernières années d'immigration, la figure 1 indique un plafonnement de la part du français dans l'assimilation des immigrés allophones à un niveau légèrement inférieur à 70 %. À toutes fins utiles, ce niveau fut atteint dès la période d'immigration 1976-1980. Le plafonnement du français comme langue d'assimilation des nouveaux arrivants était visible dès le recensement de 1986 et a déjà été confirmé par les résultats du recensement de 1991. Nous avons eu l'occasion d'en témoigner devant la Commission Bélanger-Campeau et la Commission parlementaire chargée en 1996 d'étudier le projet de loi 40. Il est assez étonnant que le bilan de la situation du français au Québec, réalisé récemment pour la ministre Louise Beaudoin, ne fasse aucune allusion à ce plafonnement.

Deux sociétés d'accueil en compétition : les succès de l'anglais

Entre 1971 et 1996, la société d'accueil de langue anglaise a profité davantage que celle de langue française de l'assimilation des allophones nés au Québec. En effet, parmi les allophones nés au Québec ou au Canada, le recensement de 1996 a compté dans la région de Montréal quelque 35 000 anglicisés de plus qu'en 1971, alors que le nombre de francisés n'a augmenté que d'environ 9 000.

Par contre, parmi les allophones immigrés, le nombre de francisés a augmenté d'environ 54 000 à Montréal durant le quart de siècle à l'étude, en regard d'une hausse de 24 000 dans le nombre d'anglicisés.

À première vue, ce jeu de souque-à-la-corde se solde par une sorte de match nul. Au total, ces résultats indiquent en effet que chacune des sociétés d'accueil en lice, l'anglaise et la française, aurait recruté entre 1971 et 1996 un nombre à peu près égal de nouveaux locuteurs du point de vue de la langue d'usage soit, de part et d'autre, environ 60 000 allophones anglicisés et quelque 63 000 francisés. Le même bilan ressort de la dernière partie du tableau 1, qui cumule les résultats pour l'ensemble de la population allophone à Montréal.

Il faut cependant ajouter à ce bilan un nombre suffisant de nouveaux locuteurs pour remplacer les allophones anglicisés et francisés, tels qu'énumérés en 1971 mais qui sont décédés avant 1996 et qu'on peut estimer à environ le quart des effectifs, soit quelque 20 000 pour l'anglais et 7 000 pour le français. Cela donne en fin de compte quelque 80 000 allophones anglicisés à Montréal durant le quart de siècle en cause, en regard d'environ 70 000 francisés.

Nous verrons ci-dessous que cela sous-estime encore le succès de la société d'accueil de langue anglaise relativement à celle de langue française dans leur compétition en matière d'assimilation linguistique de la population allophone.

Le rôle moteur de l'école française : seules les dispositions scolaires des lois 22 et 101 ont haussé davantage la part du français dans l'assimilation

Nous avons vu que la majeure partie de la hausse de la part du français dans l'assimilation des allophones immigrés s'expliquait par un changement fondamental dans la composition de l'immigration, soit l'arrivée en nombre des francotropes, qui a eu pour effet de pousser la part du français dans l'assimilation au-dessus du seuil de 50 % parmi la cohorte d'allophones immigrés en 1971-1975, et au-dessus de 60 % dès la cohorte arrivée en 1976-1980. Il reste à expliquer la partie supplémentaire de la hausse qui, dans la figure 1, a porté la part du français dans l'assimilation à presque 70 % parmi les allophones arrivés après la mise en place des lois 22 et 101.

La figure 2 démontre le caractère déterminant de la langue de scolarisation en matière d'orientation linguistique vers l'une ou l'autre des sociétés d'accueil à Montréal. En partant des allophones immigrés avant 1961, on voit que l'augmentation du poids des francotropes dès la cohorte d'allophones arrivés en 1961-1965, illustrée dans la figure 1, n'entraîne dans la figure 2 une hausse de la part du français dans l'assimilation que parmi les membres de la cohorte 1961-1965 âgés de 15 ans ou plus à leur arrivée au Québec. En toute vraisemblance, il faut attribuer à l'engouement pour l'école anglaise l'évolution contraire des membres de la même cohorte arrivés à l'âge scolaire ou préscolaire, c'est-à-dire âgés de 0 à 14 ans. Qu'ils soient francotropes ou anglotropes, leurs parents ont sans doute choisi par la suite, en règle générale, de les inscrire à l'école anglaise.

La croissance continue du poids des francotropes parmi les immigrés a cependant mis fin à cette divergence dès la cohorte suivante, pour finalement hausser la part du français dans l'assimilation des 0 à 14 ans à l'arrivée au-dessus de 40 % parmi la cohorte 1971-1975, soit à l'aube des lois 22 et 101.

La hausse subséquente de la part du français dans l'assimilation des 15 ans ou plus à l'arrivée en 1976-1980, qu'on peut estimer à environ 8 points de pourcentage à partir de la figure 2, est du même ordre que la hausse du poids des francotropes au sein de la même cohorte, visible dans la figure 1. En revanche, la hausse de la part du français dans l'assimilation des 0 à 14 ans à l'arrivée en 1976-1980 est deux fois plus importante, soit d'un peu plus de 16 points de pourcentage selon la figure 2, ce qui porte cette part au-dessus de 60 %. Cette poussée peut difficilement s'expliquer uniquement par la hausse nettement moins marquée du poids des francotropes, et serait en partie attribuable au régime scolaire des lois 22 et 101.

Il faut rappeler ici que le régime d'accès à l'école anglaise que la loi 22 a instauré en septembre 1975 était plus permissif que celui de la loi 101. La contestation des lois linguistiques a aussi conduit certains parents allophones à envoyer illégalement leurs enfants à l'école anglaise. Enfin, le régime scolaire plus restrictif de la loi 101 n'a fonctionné qu'à partir de septembre 1977. Par conséquent, il n'a pu faire sentir son plein effet que sur la cohorte quinquennale arrivée en 1981-1985.

Voilà ce qui explique sans doute la hausse subséquente de la part du français dans l'assimilation jusqu'à tout près de 80 % parmi les 0 à 14 ans à l'arrivée de la cohorte 1981-1985. Pour la première fois, il s'agit d'un niveau nettement supérieur à la part du français dans l'assimilation des membres de la même cohorte arrivés à 15 ans ou plus, qui comprend leurs parents.

Notons qu'en même temps que le poids des francotropes a cessé à toutes fins utiles de croître, la part du français dans l'assimilation du segment des 15 ans ou plus à l'arrivée au sein de ces mêmes cohortes est demeurée à peu près constante. À en juger par la stagnation subséquente de cet indicateur parmi les 15 ans ou plus à l'arrivée, visible à la figure 2, les dispositions des lois 22 et 101 visant la vie adulte à Montréal, telle la francisation de la langue de travail, ne semblent guère avoir réussi, du moins de façon directe, à hausser la part du français dans l'assimilation.

Il n'y a plus d'évolution par la suite. La figure 2 montre que la part du français dans l'assimilation des cohortes 1986-1990 et 1991-1996 demeure à environ 80 % parmi les allophones âgés de 0 à 14 ans à l'arrivée et reste inférieure aux deux tiers parmi ceux qui sont arrivés à 15 ans ou plus. Puisque le segment des 0 à 14 ans à l'arrivée compte pour moins du quart d'une cohorte donnée, la part du français dans l'assimilation des cohortes tous âges confondus demeure, après 1976-1980, légèrement inférieure à 70 %, comme le fait voir la figure 1.

De ce point de vue, le recensement de 1996 n'apporte rien de neuf en regard de celui de 1991 ni même de celui de 1986. Depuis maintenant quinze ou vingt ans, la loi 101 semble avoir fait sentir tous ses effets en ce qui concerne la réorientation de l'assimilation des immigrés. Les données de 1996 confirment simplement que la partie de la hausse de la part du français dans l'assimilation qui serait directement attribuable aux lois 22 et 101 semble entièrement tributaire du nouveau régime scolaire.

Nous ne voulons pas dire que les autres mesures visant la promotion du français ont été inutiles. Au contraire, sans elles, la part du français dans l'assimilation aurait probablement régressé parmi les allophones arrivés à Montréal à l'âge adulte, et ceux qui ont immigré à l'âge scolaire ou préscolaire seraient sans doute moins portés à adopter un comportement francophone au delà de leur passage à l'école.

Une comparaison faussée en faveur du français

Nous avons estimé ci-dessus à quelque 80 000 le nombre d'allophones anglicisés dans la région de Montréal entre 1971 et 1996, et à environ 70 000 le nombre de francisés. Il s'agit, pour au moins deux raisons, d'une surestimation du nombre de francisés en regard du nombre d'anglicisés.

Statistique Canada a introduit en 1991 un nouveau questionnaire qui a créé une forte distorsion dans les données sur l'assimilation. Le tableau 2 montre que dans la région de Montréal, cela s'est traduit par une hausse invraisemblable des pertes du groupe allophone par voie d'assimilation, qui sont passées de 102 000 en 1986 à 180 000 en 1991. Le tableau montre également que cette distorsion a profité surtout au pouvoir d'assimilation du français et, dans une moindre mesure, à celui de l'anglais. Plus globalement, il ressort de l'ensemble du tableau 2 que nous avons affaire à deux séries distinctes de données, celles de 1971 à 1986, d'une part, et celles de 1991 à 1996, d'autre part, et que la seconde série privilégie nettement la part du français dans l'assimilation en regard de la première.

Tableau 2

Évolution du solde de l'assimilation linguistique, anglais, français et autres langues, région métropolitaine de recensement de Montréal (en milliers)

 	1971 	1976 	1981 	1986 	1991 	1996

Anglais 87 n.d. 99 106 137 143 Français 2 n.d. 1 -3 43 61 Autre -89 n.d. -100 -102 -180 -204

Notes : Le solde de l'assimilation pour une langue donnée égale son effectif selon la langue d'usage à la maison moins celui selon la langue maternelle. Pour les recensements de 1981 à 1996, les cas de multilinguisme ont été répartis de façon égale entre les langues déclarées. La question sur la langue d'usage à la maison n'ayant pas été posée en 1976, le solde n'est pas disponible pour ce recensement.

Source : Recensements de 1971 à 1996.

Nous savons également que les allophones anglicisés sont nettement plus portés que les francisés à quitter le Québec pour une autre province. Nombre d'allophones anglicisés dans la région de Montréal depuis 1971 échappent ainsi à l'observation du fait qu'ils se trouvent en 1996 dans une autre province. C'est là une deuxième raison pour laquelle notre estimation du résultat de la compétition entre l'anglais et le français dans l'assimilation des allophones entre 1971 et 1996, soit d'environ 80 000 anglicisés en regard de quelque 70 000 francisés durant le quart de siècle en cause, exagère la hausse du pouvoir d'assimilation du français relativement à celui de l'anglais à Montréal.

La part souhaitable du français

Faisons maintenant le point. La part du français dans l'assimilation des allophones immigrés a progressé parmi les cohortes arrivées durant les années 1960 et 1970 grâce à la venue des francotropes et, dans une moindre mesure, aux dispositions scolaires des lois 22 et 101. Mais parmi les cohortes arrivées après 1980, la part du français paraît bloquée en dessous de 70 % (figure 1).

Pour ceux qui se préoccupent de l'avenir du français, il est réconfortant, voire émouvant, qu'une part aussi élevée des allophones récemment arrivés à Montréal préfèrent adopter éventuellement le français au lieu de l'anglais comme nouvelle langue d'usage à la maison. Cependant, beaucoup d'immigrés allophones sont venus s'établir avant la Révolution tranquille, de sorte que la part du français dans l'assimilation n'atteint que 50 % parmi l'ensemble des immigrés allophones dans la région de Montréal en 1996. Nous avons vu aussi que l'assimilation à l'anglais règne en maître au sein des allophones nés au Québec, parmi lesquels se trouvent de nombreux Italiens. Comme résultat, la dernière partie du tableau 1 indique que dans la population totale de quelque 600 000 allophones de la région de Montréal, tous âges et lieux de naissance confondus, la part du français dans l'assimilation n'est passée que de 26 % en 1971 à 40 % en 1996.

Cela soulève une question de fond : dans la mesure où une partie de la population allophone choisit éventuellement d'adopter l'anglais ou le français comme langue d'usage à la maison, quelle serait la part raisonnable de chaque société d'accueil dans cette assimilation linguistique ? Devant le bilan de l'assimilation des allophones sur les 25 dernières années, il paraît clair que l'anglais attire toujours une part disproportionnellement élevée d'allophones. La société d'accueil de langue anglaise ne compte en effet, quant à la langue maternelle, que pour quelque 15 % de la population totale de la région de Montréal tandis que celle de langue française compte pour 70 %. Pour que l'assimilation des allophones ne perturbe pas ce rapport, il faudrait que la part du français dans l'assimilation se situe au-dessus de 80 %, seuil égal à 70 % divisé par la somme de 70 % plus 15 %. Comme nous l'avons vu, ce niveau de 80 % n'est atteint que parmi la petite fraction d'allophones qui ont immigré à Montréal à l'âge de 0 à 14 ans, après la loi 101, fraction qui représente moins de 10 % de la population allophone totale.

Puisque la part du français dans l'assimilation reste bloquée sous les deux tiers chez les allophones immigrés à 15 ans ou plus tandis que l'anglais domine dans l'assimilation des allophones nés au Québec, le français n'atteindra jamais sa part souhaitable de 80 % dans l'assimilation de l'ensemble des allophones à Montréal. C'est mathématiquement impossible, à moins que survienne un changement d'aussi grande envergure que l'arrivée des francotropes ou la mise en place des dispositions scolaires de la loi 101. Jusqu'à nouvel ordre, dans son ensemble, le phénomène d'assimilation des allophones contribuera ainsi, au fil des générations, à angliciser la région de Montréal par l'affaiblissement du poids de la société d'accueil de langue française relativement à celui de la société d'accueil de langue anglaise.

Précisons que si l'on évaluait la part souhaitable du français selon le poids respectif des deux sociétés d'accueil dans l'ensemble du Québec, où celle de langue française représente plus de 80 % de la population en regard de moins de 10 % pour celle de langue anglaise, c'est 90 % des allophones qui devraient choisir le français plutôt que l'anglais comme éventuelle langue d'assimilation. Et ce serait 100 % si l'on élargissait le cadre d'évaluation à l'ensemble du Canada, vu qu'à l'extérieur du Québec, l'assimilation des allophones (et des francophones) profite exclusivement à l'anglais.

Or, des personnalités politiques, à commencer par Victor Goldbloom et Stéphane Dion, voudraient voir le gouvernement du Québec élargir les modalités d'accès des enfants immigrés à l'école anglaise et interviennent publiquement en ce sens. Cela contribue à subvertir le bien fondé de l'unique mesure de la Charte de la langue française qui a réalisé un équilibre souhaitable à Montréal en matière d'assimilation.

Il y aurait lieu de réclamer du gouvernement du Canada qu'il modifie sa politique linguistique de façon à contribuer au processus de francisation de Montréal, au lieu de le subvertir.

(http://web.archive.org/web/20050313170304/http://www.action-nationale.qc.ca/culture/castonguaylangue.htm)