Réplique de Louis-Hippolyte Lafontaine au discours de Louis-Joseph Papineau du 22-23 janvier 1849


Réplique au discours de Louis-Joseph Papineau du 22 janvier 1849
24 janvier 1849




Discours reproduit dans Antoine Gérin-Lajoie. Dix ans au Canada, pp. 529-537 à partir des transcriptions des journaux de l'époque. Est également reproduit dans Debates of the Legislative Assembly of United Canada, Volume VIII, Part I (1849), p. ???? et Joseph Royal. Histoire du Canada, pp. 271-281



Je ne suivrai pas l'honorable membre [M. Papineau] sur le terrain des personnalités qu'il semble avoir parcouru avec tant de satisfaction pour lui-même: le respect que je porte à cette Chambre, le respect que j'ai pour mon propre caractère, le respect que je suis obligé de porter à la qualité de représentant de l'honorable membre, me font un devoir de m'abstenir d'imiter sous ce rapport celui dont les déclamations acerbes et virulentes n'ont pas duré moins de trois heures.

J'ai vu avec plaisir que, dans la pensée de mieux diriger ses attaques, l'honorable membre a remonté à 1842, époque à laquelle vous et moi, M. l'orateur, nous sommes entrés dans l'administration. Cela me fournit l'occasion, non seulement de venger ma propre conduite, mais encore celle de mes amis politiques, si injustement attaqués par l'honorable membre, puisque ce n'a été qu'à leurs pressentes sollicitations que, en 1842, j'ai consenti à accepter une place dans le ministère. Supposant que j'aie en cela commis une faute, à qui cette faute a-t-elle le plus profité? N'est-ce pas à l'honorable membre lui-même? sans cette faute, il ne serait pas aujourd'hui dans cette Chambre pour déverser à pleines mains, comme il le fait, l'injure contre ses anciens amis politiques; il serait encore sur la terre de l'exil.

Si c'était une faute, je n'en dois pas seul porter la responsabilité; cette responsabilité, mes amis politiques, dont plusieurs siègent encore dans cette enceinte, doivent la partager avec moi. En 1841, je n'avais pas de siège dans cette Chambre. La violence m'en avait privé. Un comté du Haut-Canada protesta contre cette violence, en me choisissant pour le représenter au parlement. Je ne pris mon siège qu'à la session de 1842. À cette époque, je refusai les offres de sir Charles Bagot, lorsqu'elles me furent faites pour la première fois, quelque bienveillantes, quelqu'honorables qu'elles fussent pour moi. Je refusai alors, comme en plusieurs occasions, j'avais autrefois refusé les charges les plus élevées que d'autres gouverneurs m'avaient offertes et pouvaient offrir à un Canadien. Et si, au lieu de me rendre, en 1842, aux vives instances de mes collègues, au nombre desquels se trouvait alors celui auquel l'honorable membre a hier, avec tant de profusion, prodigué la louange et l'adulation [son parent, l'honorable D.-B. Viger], je n'avais écouté que mes goûts et mon intérêt personnel, j'aurais persisté dans mon refus, j'aurais préféré ma tranquillité aux soucis, aux troubles de la vie ministérielle; mais aussi l'honorable membre ne serait pas où il est aujourd'hui.

J'ai dû céder aux instances de mes collègues, ayant, plus que qui que ce soit, le sentiment de la vaste responsabilité qui pesait alors sur ma tête. Et quand je pense aux avantages immenses que mes compatriotes en ont recueillis, je n'ai pas lieu de m'en repentir; mon pays m'a approuvé, l'honorable membre lui-même, à la veille de l'élection générale, a dit aux électeurs de St-Maurice qu'il m'approuvait! avec quelle sincérité et dans quel but faisait-il cette déclaration dans son trop célèbre manifeste? Je laisse à cette Chambre et à ses électeurs d'en faire l'appréciation.

L'honorable membre, se mettant en contradiction flagrante avec cette déclaration, que ses électeurs ont dû dans le temps croire être sincère, nous dit aujourd'hui que c'était une faute, un crime, pour un Canadien français, que d'accepter le pouvoir en 1842. Il nous a dit quelle devait être, suivant lui, la ligne de conduite, le système d'opposition, que nous aurions dû adopter à cette époque et suivre constamment depuis. Il fait contraster ce système avec le nôtre. À ce point de vue, j'accepte avec plaisir la discussion, et n'en redoute aucunement le résultat. La question ainsi posée, voyons quelles ont été pour nos compatriotes les conséquences de notre système, et quelles auraient été celles de celui de l'honorable membre.

Ce n'est pas, je pense, lui faire injure, que de qualifier son système de système d'opposition à outrance; c'est ainsi que lui-même l'a qualifié en plusieurs occasions. Je donne à l'honorable membre tout l'avantage d'une déclaration que j'ai faite souvent, et que je répète aujourd'hui: Dans la pensée du gouverneur qui l'a suggérée, dans la pensée de celui qui en a rédigé l'acte, l'Union des deux provinces devait écraser les Canadiens français! Ce but a-t-il été atteint? La pensée de lord Sydenham a-t-elle été réalisée? Tous mes compatriotes, à l'exception de l'honorable membre, répondront d'une voix unanime: Non! Mais ils diront aussi, et tout homme sensé le dira, que si système d'opposition à outrance que préconise l'honorable membre eût été accepté, il aurait accompli déjà à présent le but de lord Sydenham: les Canadiens français seraient écrasés! Voilà où nous aurait conduit le système de l'honorable membre, et oỳ il nous conduirait infailliblement encore, si les représentants de peuple étaient assez peu judicieux pour le suivre.

L'on a cité dernièrement, en lui donnait un sens qu'il ne comportait pas, le passage d'un discours que je prononçais à Kingston en 1842, et dans lequel je disais que l'Union avait été faite pour nous anéantir; nous Canadiens français, mais que, malheureusement pour ses auteurs, et heureusement pour nous, les moyens que l'on avait adoptés pour parvenir à ce résultat n'étaient pas complets. En effet, il eût fallu, pour réussir, ou ne pas donner du tout aux Canadiens français une part dans la représentation, ou donner au Haut-Canada un nombre de représentants plus considérable que celui du Bas-Canada. Et ce n'est pas ce qui a été fait; et c'est ce nombre égal de représentants pour chacune des deux sections de la province qui nous protège aujourd'hui. Quoique placée en minorité comme Canadien français, notre part dans la représentation a encore été assez forte pour nous permettre, avec l'acte d'Union même, en faisant usage de cet instrument fabriqué pour causer notre perte, de lui faire produire un résultat tout opposé à celui qu'en attendait son auteur. Mais si, vous et moi, M. l'orateur, nous n'avions pas accepté la part qui nous fut faite en 1842 dans l'administration des affaires du pays, où en seraient aujourd'hui nos compatriotes? où en serait notre langue que, contre la fois des traités, un gouverneur avait fait proscrire par une clause de l'acte d'Union? Cette langue, la langue de nos pères, serait-elle aujourd'hui réhabilitée, comme elle vient de l'être de la manière la plus solennelle, dans l'enceinte et dans les actes de la législature? Si, en 1842, nous avions adopté le système d'opposition à outrance de l'honorable membre, aurions-nous été dans une position à solliciter, presser, comme nous l'avons fait, le retour au pays de nos compatriotes exilés? Si nous n'avions pas accepté une place dans l'administration en 1842, aurions-nous été dans une position à obtenir, pour l'honorable membre en particulier, la permission de rentrer dans sa patrie? permission pour l'obtention de laquelle je n'ai pas hésité, pour vaincre des refus réitérés de la part de sir Charles Metcalfe, à offrir ma démission des emplois largement rémunérés que je possédais alors? Voilà cependant l'homme qui, obéissant à son ancienne habitude de déverser l'injure et l'outrage, ose, en présence de ces faits, m'accuser, moi, ainsi que mes collègues, de vénalité, d'amour sordide des emplois, de servilité devant le pouvoir! À l'entendre, lui seul est vertueux, lui seul est courageux, lui seul a du dévouement à la patrie! Je ne lui demande pas de reconnaissance; je n'en demande à personne; mais puisqu'il se dit si vertueux, je lui demande d'être juste, et rien de plus. Est-il capable de l'être?

Si j'avais adopté son système d'opposition à outrance, où serait l'honorable membre aujourd'hui? Il serait encore à Paris, fraternisant sans doute avec les républicains rouges, ou les républicains blancs, ou les républicains noirs, et approuvant tour à tour les constitutions qui se succèdent si rapidement en France.

L'honorable membre nous dit aujourd'hui que c'était accepter l'acte d'Union avec toutes ses défectuosités et ses injustices, que de prendre part à son fonctionnement. S'il en est ainsi, chacun de nous, l'honorable membre lui-même, en acceptant le mandat qui nous a été confié, et en venant siéger dans cette Chambre, doit être censé avoir accepté l'acte d'Union avec toutes ses injustices; chaque habitant du pays, en votant aux élections, doit donc aussi être censé l'avoir accepté de même. Si les accusations que la passion et le dépit lui font proférer étaient fondées, ne pourrait-on pas les diriger contre lui-même, et avec bien plus de force encore? L'honorable membre tient à passer pour ce qu'il appelle consistant. Dans ce cas, pour soutenir la position qu'il a prise, n'aurait il pas dû porter les conséquences logiques de son raisonnement un peu plus loin et dire, comme l'avait fait, en 1841, un citoyen respectable, qui a depuis reconnu son erreur, que les Canadiens français, lorsque l'acte d'Union a été mis en force, n'auraient pas dû prendre part aux élections des membres de cette Chambre, ni accepter de siège dans l'autre branche de la législature?

L'honorable membre, dont l'imagination est si vive et si féconde, ne voit, et ne veut voir autre chose, qu'une approbation de l'acte d'Union et de cet acte d'Union seul, dans le mot « institutions », qui se trouve dans ce passage du discours du gouverneur, dans lequel Son Excellence parle de l'attachement du peuple de ce pays à ses institutions. Vraiment, il faut que l'honorable membre partage le sentiment exprimé dans cette Chambre par les deux Canadiens français qui faisaient partie du ministère, et dont l'un était son frère, et l'autre son proche parent, et que, comme eux, il ne voie dans l'acte en vertu duquel nous sommes assemblés ici, qu'une simple charte d'incorporation et qu'en dehors de cette charte, le peuple canadien n'a aucun droit, aucune institution quelconque qui lui fasse préférer la tranquillité au trouble, à l'agitation liberticide où l'honorable membre voudrait l'entraîner. Mais s'il est vrai que le mot « institutions » dans le passage en question ne doive pas avoir d'autre sens que celui que l'honorable membre s'efforce en vain de lui donner, et que par conséquent il comporte une approbation de toutes les clauses de l'acte d'Union, ne pourrait-on pas rappeler à l'honorable membre qu'il n'est pas sous ce rapport exempt de blâme lui-même, et que nous pourrions à plus juste droit lui faire les reproches qu'il nous adresse aujourd'hui? N'avons-nous pas eu le gouvernement représentatif avant la passation de l'acte d'Union? N'avons-nous pas eu l'acte constitutionnel de 1791? L'honorable membre, qui est entré dans la Chambre d'assemblée du Bas-Canada plus de vingt ans avant moi, a-t-il oublié que, dans maintes et maintes occasions aussi solennelles que celle-ci, sous l'opération de cet acte de 1791, il a lui-même préconisé et fait l'éloge de l'attachement du peuple à ses « institutions, sa langue et ses lois »?

Et quand l'honorable membre et ses collègues, qui nous ont précédés dans la carrière parlementaire, s'exprimaient ainsi et employaient le langage que je viens de citer, ne pourrait-on pas dire que lui et ses collègues approuvaient par là toutes les clauses de l'acte de 1791, depuis celle qui avait pour principe éminemment aristocratique de créer en Canada des titres de noblesses, jusqu'à celle de la constitution d'un Conseil législatif, contre laquelle, dans les derniers temps, la voix éloquente de l'honorable membre a si souvent fait retentir les voûtes de la Chambre d'assemblée du Bas-Canada? Il faut assurément que l'honorable membre soit doué d'une imagination bien vive, et que cette disposition actuelle de tout blâmer, de tout condamner, qui le caractérise, soit bien grande pour qu'il ne veuille voir dans ce mot « institutions » qu'une approbation de toutes les clauses de l'acte d'Union.

L'honorable membre a cité la protestation faite en termes généraux par les membres de cette Chambre dans la session de 1841, contre les clauses injustes de l'acte d'Union; il a lu les noms de plusieurs qui siègent encore sur ces bancs, et les a interpellés de se joindre à lui pour protester toujours et sans cesse. Mais si l'honorable membre l'a oublié, lui, ceux qu'il interpelle ainsi n'ont pas oublié, eux, que les clauses injustes contre lesquelles ils protestaient plus particulièrement en 1841, celles qui proscrivaient notre langue et appropriaient nos deniers publics sans le consentement des représentants du peuple, ne font plus partie de l'acte d'Union, qu'elles en ont été retranchées. Ils savent également que, si nous avions suivi le système d'opposition à outrance de l'honorable membre, ces clauses n'auraient jamais été abrogées, et que ce serait en vain qu'ils auraient persisté à résister.

Mais, nous dit l'honorable membre, il existe encore, dans l'acte d'Union, une disposition bien injuste, bien vicieuse, selon lui: c'est celle qui fixe le quorum de cette Chambre à vingt. Était-ce patriotisme ou servilité de la part de l'honorable membre et de ses collègues dans la Chambre d'assemblée du Bas-Canada, que d'avoir fixé pendant un si grand nombre d'années le quorum à vint et un; donnant ainsi, pour me servir du langage de l'honorable membre, à une minorité, en l'absence de la majorité, le droit de faire des lois? Et lorsque, étant 84 membres en Chambre en 1831 ou 1832, nous avons élevé le quorum à 42, la Chambre s'est-elle trouvée souvent au grand complet, comme celle-ci l'est presque toujours, quoique le quorum ne soit que de 20? Pourquoi donc se récrier, déclamer contre une clause dont de fait il n'est encore résulté aucun inconvénient? Faut-il donc que, parce que le quorum de cette Chambre est fixé à 20, les Canadiens français renoncent à la protection que leur assure leur participation à l'administration des affaires publiques, et qu'ils livrent cette administration aux mains de leurs adversaires politiques, qui sont devenus aujourd'hui, à notre grand étonnement, l'objet des louanges de l'honorable membre?

Une autre disposition de l'acte d'Union, contre laquelle l'honorable membre s'est récrié avec cette forme de langage qui lui est particulière, est celle qui donne à chacune des deux sections de la province un nombre égal de représentants dans cette Chambre. Lorsqu'il a été question de l'union des deux provinces, et qu'en effet l'on prétendait ne faire des deux Canadas qu'une seule province, il était bien naturel, au premier abord, de crier à l'injustice qui semblait résulter du principe que l'on consacrait en donnant au Haut-Canada, dans la représentation, une part égale à celle du Bas-Canada, quoique la population de celui-ci fût alors beaucoup plus considérable. Et comme d'autres, j'ai souvent moi-même signalé cette injustice; je l'ai fait à chaque fois que l'on a prétendu que l'acte de lord Sydenham avait pour objet d'opérer une union des deux provinces. C'Est à ce point de vue, je n'en ai aucune doute, que nos amis protestèrent, en 1841, contre cette injustice de l'acte d'Union. Cependant il arrive aujourd'hui que c'est cette même disposition, contre laquelle on s'est tant récrié dans le passé et que l'honorable membre voudrait faire disparaître, qui protège le Bas-Canada, et plus particulièrement les Canadiens français.

Le protêt de 1841 a eu une portée qu'il faut savoir apprécier aujourd'hui; mais à mes yeux, le refus du gouvernement et de la majorité des membres du Haut-Canada d'accéder à ce protêt en a eu une bien plus grande encore. Ce refus a établi, en fait et en droit, que l'acte d'Union n'avait pas fait des deux Canadas une seule et même province, mais qu'il n'avait fait que réunir, sous l'action d'une seule et même législature, deux provinces, jusqu'alors distinctes et séparées, et qui devaient continuer de l'être pour toutes autres fins quelconques: en un mot, qu'il y avait eu, à l'exemple de nos voisins, une confédération de deux provinces, de deux États. C'est après cette appréciation des faits, fondée sur l'opération de l'acte d'Union, tel que le Haut-Canada l'a interprété lui-même lorsqu'il fut appelé à le faire par les membres libéraux du Bas-Canada dans leur protêt de 1841, que j'ai réglé ma conduite politique en 1842. C'est en me fondant sur le principe de ne voir dans l'acte d'Union qu'une confédération de deux provinces, comme le Haut-Canada l'a déclaré lui-même en 1841, que je déclare ici hautement que jamais je ne consentirai à ce que l'une des deux sections de la province ait, dans cette Chambre, une nombre de membres plus considérable que celui de l'autre, quel que soit le chiffre de sa population. Pour ceux qui ne se laissent pas aveugler par leurs passions politiques, il doit être évident que, avant que nous soyons appelés à faire une nouvelle élection générale, le Haut-Canada aura une population plus forte que celle du Bas-Canada. Et c'est en présence de ce fait dont la réalisation n'est que trop prochaine, que l'honorable membre du comté de St-Maurice vient nous demander de consacrer en fait et en droit un principe qui doit nous placer pour toujours dans un état d'infériorité, et dont l'adoption serait, plus que tout ce qu'il nous reproche, une ratification, une approbation irrévocable de cet acte d'Union qu'il prétend condamner!

Mais l'honorable membre, dont l'amour pour les intérêts politiques de ses compatriotes semble être sans bornes, nous dit que la représentation doit être basée sur la population; et par conséquent peu lui importe que ce principe, mis en action, donne au Haut-Canada, dans la représentation, une part plus forte que celle du Bas-Canada. Justice absolue, dit-il, c'est tout ce que je demande. Il peut déclamer ainsi, lui, dont la maxime est: « Périsse la patrie plutôt qu'un principe! » ET moi je lui réponds que ma maxime, bien différente de la sienne, est: « Que je périsse, s'il le faut, mais que mes compatriotes soient sauvés! »


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