Papineau. Son influence sur la pensée canadienne/Introduction

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Papineau

Son influence sur la pensée canadienne

essai de psychologie historique
Introduction




Table des matières | Dédicace | Introduction | Chapitre I | Chapitre II | Chapitre III | Chapitre IV | Chapitre V | Chapitre VI | Chapitre VII | Chapitre VIII | Chapitre IX | Chapitre X | Chapitre XI | Chapitre XII | Chapitre XIII | Chapitre XIV | Chapitre XV | Chapitre XVI | Chapitre XVII | Chapitre XVIII | Chapitre XIX | Chapitre XX | Chapitre XXI | Chapitre XXII | Conclusion


Louis-Joseph Papineau, chef du Parti patriote, président de l’Assemblée législative du Bas-Canada.

C’est une pratique qui ne manque pas de sagesse que de vouloir mettre ordre à ses affaires dès l’approche de la vieillesse : le soir de la vie doit être employé à liquider ses comptes. C’est pourquoi, à l’occasion du centenaire de Papineau[1], nous voulons faire un examen de conscience nationale.

Dans ce coup d’œil rétrospectif sur un passé déjà aboli — bien qu’il soit si près de nous — nous voulons embrasser d’un coup d’œil l’histoire politique du siècle qui vient de s’écouler pour nous rendre compte où nous en sommes, si nous avons marché sur les traces de ces hommes de bien qui ont frayé si péniblement leur chemin dans un pays neuf, qui ont triomphé malgré l’acharnement des éléments dévoués à notre perte. On devrait faire pour la vie de l’intelligence ce que l’on fait pour la vie des intérêts : établir un bilan de notre situation politique, peser les événements qui ont hâté ou enrayé notre évolution. Nous avons à rechercher la philosophie des faits que les historiens ont enregistrés dans nos annales après les avoir mutilés pour le besoin de leur cause.

Nos chroniqueurs ont une fausse naïveté dont il faut se défier. Ils sont arrivés trop vieux dans un monde trop jeune, la plupart de leur récits portent l’empreinte du pouce déformateur.

Nous avons à rechercher l’emploi du temps de ceux qui prirent en mains nos destinées pour savoir s’ils « ont bien rempli leur journée », comme disait Titus, à partir du moment où Papineau leur mit un monde nouveau entre les mains. Nous avons à établir la balance des services qui nous ont été rendus par les grands libéraux et dont nous aurons demain oublié les noms comme leurs belles actions, si nous n’entreprenons pas de les sauver de l’oubli. Nous avons à déterminer la valeur de leurs actes qui, par le recul du temps, nous apparaissent aujourd’hui en leurs justes proportions car ces héros sont nos créanciers, nous leur devons notre reconnaissance, puisque notre génération, par couardise ou par indifférence, n’a rien tenté pour perpétuer la gloire de ceux qui méritent les hommages de tout un peuple.

Cette reconstitution est nécessaire et c’est la tâche que nous avons voulu nous imposer. Pieusement, nous essaierons d’exhumer, de mettre en valeur la pléiade libérale qui a contribué aux pages les plus glorieuses de notre histoire depuis la conquête.

C’est dans le passé qu’il faut descendre pour retrouver le véritable libéralisme.

Étrange chose. Les siècles semblent reproduire dans leur cours les invariables et éternelles phases de l’existence humaine. Plus que jamais, cette vie en est sous toutes ses formes à la vieillesse et au déclin, à l’épuisement de toute sève libérale et généreuse, après avoir eu sa jeunesse pleine d’éclat et une forte maturité, il y aura près d’un siècle, à l’époque où Papineau avec un groupe de patriotes enthousiastes s’insurgeaient contre la tyrannie anglaise qui s’apprêtait à faire du Canada une nouvelle Irlande.

Rien ne faisait prévoir la période de veulerie et d’indifférentisme que nous vivons aujourd’hui. Qui aurait cru que ces hommes granitiques enfanteraient cette génération de flancs mous que nous subissons, en nous demandant si nous sommes au moment critique de la transition, au tournant de notre histoire; si ce fléchissement des caractères, cette dépression des intelligences est une crise que nous traversons : celle des oiseaux qui muent avant que leur plumage ait repoussé. (Ils sont ainsi : fébriles, la tête sous l’aigle, gonflés et hargneux.)

Ce n’est sans doute qu’une illusion dont notre esprit est dupe. Rien ne s’arrête, rien ne décline, tout change et se transforme dans la vie universelle comme dans le monde des intelligences. L’eau court sous la surface glacée du Saint-Laurent et la sève circule dans la terre quand elle semble morte et ensevelie dans son linceul de neige. Il se peut que cet état d’inertie soit voulu par le destin pour que de si bas nous puissions prendre l’élan qui nous porte aux cimes.

L’indifférence que nous avons manifestés pour le centenaire de Papineau est un des prodromes du mal qui durcit nos artères et rend notre sang lourd et paresseux. N’avons-nous pas raison de dire que le libéralisme est moribond dans Québec ? Si cette grande ombre n’a pu un instant galvaniser ce grand languide, nous avons raison de mal augurer pour l’avenir... C’est bien vrai que nous nous payons de mots, que nous nous agenouillons devant un temple vide de son dieu.

Ce fut cependant le privilège de Papineau de porter en lui tout un monde et de personnifier un siècle. Il a lui aussi sa légende, et comme elle est nécessaire !

« Avoir une tête de Papineau » fut l’expression traditionnelle pour désigner une intelligence transcendante. Malgré l’oubli systématique de nos gouvernements, le souvenir de Papineau demeure parmi nous. C’était en 37 un jeune homme bouillant, révolutionnaire par instinct littéraire, doué d’un étrange magnétisme qui le rendait maître des foules. Toute son ardeur était concentrée dans ses yeux, comme son énergie dans ses cheveux hérissés en crête de coq gaulois où des courants électriques semblaient passer. Il eut l’avantage de naître avec des dons rares, précieux, fécondés par l’étude. D’une franchise audacieuse, à l’emporte-pièce, il reprochait à Garneau, que sa sensibilité rendait hésitant, d’avoir transigé avec la vérité historique. Le seigneur de Montebello fut un politique combatif et conquérant. Il eut l’impatience de tous les jougs. Dans ce cerveau seul pouvait germer le plan génial de tenter la libération de sa race avec une poignée d’hommes. Cette folie, comme on l’appelle aujourd’hui, ce coup d’audace digne d’un Pompée, d’un Guillaume Tell ou d’un Foch, c’est le miracle du patriotisme. Le grand cœur de cet homme a plus fait pour son pays que des armées et des flottes. En prononçant le nom de Papineau, je ne sais pourquoi, je sens chanter en moi la grave et religieuse symphonie des cloches dans Les Chants du crépuscule de Hugo :

Écho du ciel placé près de la terre
Voix grondante qui parle à côté du tonnerre
Vase plein de rumeur qui se vide dans l’air[2]

Papineau fut cet airain, son verbe s’est tu il y a cinquante ans. Mais des sonorités émues traînent encore dans l’air. Il faut que notre race soit dans le coma, si ce nom ne la tire pas de sa torpeur. Quel stupéfiant lui a-t-on injecté dans le sang puisque rien ne sursaute en elle à l’énoncé de ce vocable qui vibre comme un gong ? Ceux qui ont intérêt à lui garder rancune l’accusent — ô ineptie ! — d’avoir subtilisé son cou au nœud coulant de la potence, d’avoir eu cette originalité de soustraire son squelette à la camarde avant l’échéance, alors que la révolution canadienne battait son plein. Il ne l’a pas fait par lâcheté; il avait risqué cent fois sa peau lorsqu’il échappa à ses bourreaux, mais par calcul pour ne pas compromettre le mouvement libéral qui avait déjà coûté trop de sang. Si on avait pu éteindre cette voix avec celle des autres, c’en était fait de la cause. Dieu soit loué, qui eut pitié de cette tête magnifique !

Papineau fut l’écho retentissant de tous les appels à la liberté. Toutes les hontes, toutes les misères, les angoisses de nos pères, il les avait prises à son compte, sur ses robustes épaules, non pour les exprimer, mais pour les venger. Son génie fait d’amour, de force et de volonté est l’honneur de notre histoire et de notre race. C’est par son patriotisme qu’il a vécu. C’est à cette voix supérieure qu’il a obéi pour nous sauver du soudard anglais. C’est pourquoi il méritait que son nom fut inscrit dans le calendrier de nos saint laïques. On lui devait des hommages qu’on ne lui a pas rendus. Mais de même qu’il a pu échapper à la corde et à l’oubli, il ne sera pas permis que la main des opportunistes, cette main d’éteignoir, s’abatte sur une gloire si pure. La gravité de ses mœurs, sa tolérance, sa sensibilité exquise, sa culture élevée, lui valurent des amitiés précieuses comme celle de Chateaubriand et de plusieurs célébrités mondiales. N’aurait-il fait qu’incarner les qualités traditionnelles de la race que nous devrions porte son nom en cocarde, mais il fut en tout un homme de bien, avec ostentation. Vainement on a épluché la carrière de l’auteur des quatre-vingt douze résolutions, il reste drapé dans son intégrité, le front altier et le regard planant au-dessus des bassesses de ce monde. Il ne se laissera pas enrôler sous le drapeau des médiocres passions et du sectarisme.

Quand ceux qui se sont servi de sa mémoire pour satisfaire leurs appétits auront réintégré leur néant, il rentrera, lui, dans sa sphère de sérénité lumineuse. Papineau est assez illustre dans son passé homérique pour que sa renommée ne reste pas livrée au hasard des finasseries roublardes, comme au parti pris et aux préjugés d’esprits étroits. Sa gloire est l’héritage de toutes les races. Pour nous, il faut un sauveur, pour les Anglais qu’il a fait rentrer dans le chemin de la justice et de l’humanité, il fut une providence. Les Juifs eux-mêmes lui doivent la reconnaissance de leurs droits civils et de pouvoir siéger au parlement. Il est grand parce qu’il embrasse tous les temps. Il sut, tout en aimant passionnément les siens, s’extérioriser de son égoïsme de clocher. Par sa vertu, il est de toutes les religions, par son amour de l’humanité, il commande les hommages de tout un peuple. Il s’appelle Papineau tout court et non pas « sir Papineau ». Il n’est pas l’esclave posthume d’un vain titre. Il est à nous, tout à nous, à nous sans partage. Et les Canadiens français n’ont pas fêté ce héros, et le jardin La Fontaine attend encore sa statue...

Son manoir est en vente, et demain ce sanctuaire sera la propriété de quelque parvenu qui se hâtera d’en changer l’aspect ou, ce qui serait encore pis, d’installer la vulgarité dans ces meubles. Le caveau où ses restes reposent deviendra un berceau de vigne ou de chèvrefeuille autour duquel les enfants joueront.

Et lorsque nous aurons le bonheur d’y aller, un soir, en pèlerinage, il me semble que les feuilles et les fleurs du pays qu’il a tant aimé bruiront au vent de la nuit prochaine et murmureront, imperceptiblement : « Non, vraiment, celui-là ne fut pas un farceur ! »

Notes de l’éditeur

  1. 1924, l’année de publication du livre, ne correspond ni au centenaire de naissance (1786 + 100 = 1886), ni au centenaire du décès (1871 + 100 = 1971) de Louis-Joseph Papineau. Plus loin dans l’introduction, l'auteure écrit : « Papineau fut cet airain, son verbe s’est tu il y a cinquante ans (1871 + 50 = 1921).
  2. « À Louis B. », dans Les Chants du crépuscule, 1909, p. 279.



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