Papineau. Son influence sur la pensée canadienne/Conclusion


Papineau

Son influence sur la pensée canadienne

essai de psychologie historique
Conclusion






Nous sommes aux conclusions de notre examen de conscience nationale. Après l’étude des différents types de notre race que nous avons vus défiler devant nos yeux, pouvons-nous dire que nous avons marché dans leur pistes, sans dévier du chemin qu’ils nous avaient si péniblement tracé ? Sommes-nous restés à leur hauteur, honnêtes et droits, et comme eux, sans compromission avec notre conscience ? Les caractères n’ont-ils pas fléchi depuis ces cinquante ans ? Sommes-nous encore susceptibles de nobles actions et de beaux gestes ? Sur la route de la liberté où nous avons été conduits par des guides sûrs, d’où vient qu’un si grand nombre soit tombé de lassitude et de découragement ? La terre promise entrevue par nos pères recule toujours devant nous et avec elle, la foi dans ceux qui devaient nous y conduire.

Il serait injuste de nier les progrès accomplis dans les arts et d’oublier ce qui fut fait pour la diffusion du savoir : les écoles spacieuses et hygiéniques, que l’on a substituées à la petite école, et dont on a modernisé les programmes, ainsi que la laïcisation, lente mais sûre, des maisons d’éducation et de l’assistance publique ? Mais quand nous donnera-t-on l’instruction obligatoire ? Nous constatons que la religion a aéré ses dogmes et que l’ultramontanisme en est à ses dernières convulsions. La discipline ecclésiastique a moins de sévérité qu’autrefois, les quarante jours de jeûne du carême appartiennent à la légende dorée. On dit maintenant des prières sur le corps de francs-maçons notoires et si des libres-penseurs croient bon de se faire incinérer, on ne lance plus d’anathèmes sur leurs cadavres. Bref, l’Église, en tant que société humaine, a incontestablement évolué.

Mais la pensée s’est-elle libérée de ses entraves ? La presse a-t-elle sa liberté d’expression ? Y a-t-il une justice uniforme pour tous ? Ceux qui n’ont pas les idées de la majorité ne sont-ils pas traqués partout, jusque dans les services publics, comme des bêtes malfaisantes ? Est-ce que souvent on ne les prive pas d’avancement ou d’augmentation de salaire ? Entre un employé qui a des connaissances, une bonne conduite, des états de service satisfaisants et un autre qui a l’avantage d’être muni de tous les cordons, communie deux fois la semaine, arbore un air de chattemite, retourne en dedans de gros yeux brillants de convoitise, à la façon d’un Tartufe, n’arrive-t-il pas qu’on préfère ce dernier ? Sous la législation de Papineau et de ses collaborateurs, on ne voyait pas s’éterniser le règne de la bêtise, de la méchanceté, et de la médiocrité.

Nos conditions de vie ont changé. Le tyran séculaire, l’Anglais, a fait peau neuve. Sa politique n’est ni contrariante, ni vexatoire. Il apprend notre langue et nous bombarde de compliments; un peu plus nous l’assimilerions. Il serait illogique de continuer la guerre sans casus belli pas plus qu’il n’est prudent de nous endormir dans une dangereuse sécurité : La vigilance est la mère de la sûreté. Souvenons-nous de ce vieux proverbe : « Méfie-toi des gens qui sont meilleurs dans un temps que dans l’autre. »

Aux libertés acquises par nos pères qu’avons-nous ajouté ? Nous déclarons d’avance que nous ne visons aucun groupe d’hommes en particulier, mais seulement les partis qui, depuis cinquante ans, ont régi le pays. Le libéralisme n’est plus un astre fixe. Il oscille d’un camp à l’autre, évolue dans tous les sens, c’est une étoile filante, un météore éphémère. C’est ainsi que nous avons vu des conservateurs faire promouvoir des idées libérales, comme le divorce et le vote des femmes, tandis que des rouges accusent une étroitesse de vues inconcevable. Nous croyons toutefois qu’il faut s’en prendre à la démocratie elle-même, plutôt qu’aux partis, de la déchéance du concept libéral et de l’incohérence de la politique, depuis un demi-siècle. Fille de la liberté, elle empêche cependant le règne de la liberté. Le suffrage universel, pour un jeune peuple privé des bienfaits de l’instruction obligatoire, est un obstacle à son évolution. L’urne électorale nous apporte infailliblement de désagréables surprises.

Les principes ne sont pas enfermés dans un tabernacle à l’abri des profanations du vulgaire. Ils n’ont pas été inscrits dans l’airain ou dans le marbre. Ils s’incarnent suivant la fantaisie des mains qui se posent sur eux. Une fois investis de l’autorité, les élus du peuple en font parfois un étrange usage quand ils réalisent qu’il existe des combinaisons autres que le bien public, plus conformes à leurs appétits et à leurs ambitions.

Nous nous plaignons avec raison de l’absence d’idéal dans la politique mais, quand on sait dans quelle eau trouble, dans quels bas-fonds souvent on va pêcher nos hommes publics, on n’a pas lieu de s’en étonner. Ces recrues du scrutin, ont perdu et perverti les partis. Avons-nous été capables d’envoyer au pouvoir les plus probes, les plus instruits, les plus dignes d’entre nous ? Ceux que le raz-de-marée des élections jetaient sur Québec, quand ils ne répondaient pas à la confiance qu’ont avait mise en eux, avons-nous été capables de les rendre au flot qui nous les avait apportés ? N’avons-nous pas été obligés, au contraire, de les subir durant des années, malgré la volonté de l’élite ? Quand des honnêtes gens tombaient dans le filet électoral, leur influence souvent fut neutralisée par un élément contraire. Comme la politique est devenue une carrière qui demande plus d’audace que d’esprit et de capacité, devons-nous être surpris qu’un si grand nombre de gens inférieurs l’aient embrassée ? Il est évident que le système électoral fonctionne défectueusement et qu’il faudra avant peu avoir recours à l’expédient de Faguet, exiger du candidat aux affaires publiques un diplôme en sciences économiques, politiques et morales, si l’on ne veut pas compromettre l’existence de l’œuvre de nos pères.

Papineau était persuadé qu’en désintéressant l’État des questions religieuses et en mettant celles-ci à l’abri des ingérences du gouvernement, il ferait beaucoup pour la paix du pays, et qu’afin d’amener les différentes confessions à ne pas troubler l’ordre établi, il fallait donner à toutes une somme égale de libertés. Prévoir, c’est régner. On n’en a pas jugé ainsi.

S’il arrivait, à l’encontre de nos prévisions et de nos espérances, que nous soyons en minorité dans Québec, nous aurions à craindre de terribles réactions dans l’avenir, si nous ne traitons les autres comme nous aimerions à être traités, nous implorerons à genoux les libertés que nous refusons aujourd’hui.

Craignons l’immigration outrancière. Il faut d’abord que nous y trouvions notre profit, avant celui des magnats de la haute finance et des gros industriels. Devons-nous ouvrir nos portes indifféremment à tout le monde, aux désœuvrés, aux spéculateurs, aux vagabonds parmi lesquels se recrutent les voleurs de grands chemins, les bandits à main armée, qui tiennent notre pays sous la terreur ? Nous ne sommes pas contre l’infusion du sang étranger, mais nous devrions tenir loin de nous ceux qui ne parleront jamais notre langage, que nous adoptions volontiers, mais qui ne nous adoptent jamais; ceux qui se refusent à suivre nos traditions, à unifier leurs intérêts avec ceux du pays. Mais dès qu’ils ont pris racine chez nous, il faut désarmer. Les opinions doivent cesser de se proscrire. Les défenseurs de la paix des âmes ont mauvaise grâce à susciter des querelles de race et de religion. La patrie et la religion doivent être bienveillantes pour ceux qui ont cessé d’être des étrangers. Afin que tous fassent assaut d’émulation, afin de bien servir le pays, sachons leur créer une atmosphère respirable...

Le protestantisme a bien inspiré la politique anglaise quand, au nom du précepte « Aime ton prochain comme toi-même », il accueillit en frères errants, les parias de partout. Aujourd’hui, ils sont tous assimilés à la nation anglaise. Nous n’avons pas à nous féliciter d’avoir réveillé le préjugé antisémite. La conséquence, c’est que nous avons détourné de nous un demi-million d’habitants. Nous sommes pourtant à une période critique où toute maladresse compte. Cette perdition de force pourrait nous être fatale. Papineau comprenait autrement le bien de la nation. Il ne faisait ps grise mine aux étrangers s’il ne leur tendait pas les bras.

Est-il possible de revivre les temps héroïques qui ont marqué la conquête du Canada par les Canadiens français ? Aurons-nous de ces hommes sans peur et sans reproche, qui ne comptaient pour rien le sacrifice d’une vie quand le sort de la patrie et l’idée française étaient en jeu ? Il existe une légende déprimante, c’est que le temple de Jérusalem n’a pu être rebâti, symbole de l’impossibilité pour une race de refaire sa fortune, de renaître en splendeur et en beauté, si nous n’avons l’espérance, la foi et l’amour.

Inutile donc de nous attarder à pleurer sur des ruines, de nous épuiser en de stériles jérémiades. Faisons des vœux pour que le souffle puissant de Papineau revienne transformer notre province et régénérer notre nation. Qu’il déblaye la place des débris, des tessons, des statues mutilées ! Qu’il arrive des lointains de l’infini, comme le feu du ciel, pour purifier les cœurs et ranimer la flamme éteinte de l’idéal !

Ayons foi dans l’avenir. Ceux qui ont vu notre patrie chanceler après de longs et sanglants efforts avaient peut-être raison de se décourager, mais nous qui l’avons vue se fortifier et reconstituer son organisme, se replacer sur un pied d’égalité avec les maîtres du pays, nous n’avons pas le droit de nous abandonner à un pessimisme débilitant. Nous voulons et nous devons vivre pour le Canada-français d’abord, pour qu’il garde sa figure d’autrefois, bon enfant et joviale et pour la France notre mère, afin qu’elle trouve ici de nouveaux cœurs pour l’aimer et la vénérer.

L’opinion se modifie de siècle en siècle et telles passions qui agitent notre temps peuvent réagir sur la manière dont on jugera les questions politiques des siècles passés. La critique de l’œuvre du chef révolutionnaire subira encore des fluctuations dans l’avenir, c’est-à-dire qu’elle se dégagera insensiblement du parti pris et du préjugé, ces toiles d’araignée qui interceptent la clarté du jour.

Nous terminons ici cette étude, laquelle pour être complétée demanderait plusieurs autres volumes. D’après le titre de notre volume, elle aurait dû s’en tenir à Papineau, mais nous laissant entraîner plus loin, à la suite de notre héros, nous avons voulu faire connaître toute l’ampleur et la portée de son magnifique dessein. Nous admettons sans fausse modestie que nous sommes restée en-dessous de notre tâche, la grandeur du sujet nous a dépassée. Nous osons espérer que d’autres remettront sur le métier, pour lui donner une forme plus perfectionnée, cette reconstitution d’une personnalité qui s’impose à notre admiration et à notre gratitude, car ils ont péché contre le Saint-Esprit, ou du moins contre l’idée universelle que représente tout fait historique, ceux qui ont jeté des eaux-fortes sur les textes et gratté les caractères gravés par le burin de l’histoire, mais la vérité tôt ou tard arrache le bâillon qu’on lui a mis sur la bouche.

Notre seule ambition, c’est qu’on veuille considérer ces pages comme une simple pierre — pas la pierre angulaire, elle appartient à M. David —, mais un tout petit apport au monument élevé par la science historique et la littérature à la gloire de Papineau et des révolutionnaires de 37-38.


― FIN ―






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