Mémoire à la Commission nationale sur l'avenir du Québec

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Mémoire à la Commission nationale sur l'avenir du Québec'
1995




Source(s): [1]



Parce que nous avons décidé de mettre le meilleur de nous­-mêmes au service de la cause de la souveraineté du Québec, nous avons vite compris qu'il nous fallait confier à une écrivaine du Québec, membre de l'Union des écrivaines et écrivains québécois et membre de l'Union des artistes, Madame Hélène Pedneault, la rédaction de notre mémoire.

Sa plume a su rendre notre esprit, ses mots ont su exprimer notre complète adhésion à l'article 1 de l'Avant-projet de loi sur la souveraineté : « Le Québec est un pays souverain ».

« Ce pays, je le connais dans toutes ses dimensions. Cette rive et l'autre, et toutes les forêts et les rivières et tous les villages et toutes les villes. Pas un coin que je n'aie exploré, arpenté, prospecté, sondé, fouillé. Pas une seule de ses richesses ou de ses misères que me soit inconnue. J'ai découvert des mines dont personne ne soupçonnait l'existence. Je sais même un endroit où le fer jaillit du roc presqu'à l'état pur. Une montagne de fer. Par ailleurs, j'ai vu des familles entières lutter à cœur d'année, même pas pour vivre, mais pour survivre. Pour survivre, dans ce pays si riche! Oui, ce pays, je le connais. Assumer ce pays est aussi difficile que de s'assumer soi­-même. (...) C'est de toi que je parle! Réveille­-toi! Ce pays, c'est toi. Vous êtes des milliers à ne pas le savoir, et tout le problème est là. Qu'est-ce que tu attends pour t'en apercevoir? C'est toi, c'est moi, tes frères, ta famille, la mienne. Aussi les milliers d'Indiens qu'on a parqués dans des réserves. Je parle de l'air que tu respires, de la terre qui te porte, de la rivière que tu viens de traverser, des chansons que tu chantes, de la langue que tu parles, d'une certaine façon d'être qui ne se retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Je te parle de ce qui est la réalité, je te parle de toi. » Extrait de la pièce Double Jeu, de Françoise Loranger, écrite en 1967, jouée en 1969

Il n'y a pas de vie sans désir. Dans ce mémoire, nous voulons parler de désir et d'être. Nous voulons parler du désir viscéral d'appartenir à une terre et de regarder le reste de la planète de ce point précis. Une terre d'appartenance est un point de vue particulier sur le monde. Elle est notre part de rêve, notre talisman. Ici, c'est notre bout de monde, notre bout du monde, quelques millions d'arpents de neige auxquels nous tenons comme à notre peau, qui nous attachent ensemble et nous rattachent au reste de l'univers. Un pays, même petit, pour chaque être vivant sur cette planète, c'est notre attachement à l'univers.

Ce n'est pas pour rien que nous sommes allés chercher dans notre théâtre la citation d'ouverture de notre mémoire: parce que nous sommes convaincus que la culture et l'éducation doivent précéder l'économie, à tout le moins être des priorités, au même titre que l'économie, à égalité. En ce qui concerne la culture et l'éducation, même le mot priorité n'est pas juste, il n'est pas assez fort, puisqu'une priorité s'inscrit à l'extérieur de nous. La culture d'un peuple et son éducation sont la chair de notre chair, nos poumons, notre respiration. C'est nous, au­ delà de nous, quelque chose de bien plus grand que nous. Nous ne pourrons jamais nous en défaire sans mourir. Il y a des peuples qui meurent de faim dans leurs corps, nous les voyons en direct à la télévision, nous pleurons. Mais les peuples sans identité, qui meurent de faim psychique, ne peuvent pas se filmer avec une caméra, invisibles pour eux et pour les autres.

Partenaires pour la souveraineté, c'est un million de femmes et d'hommes, de tous les âges et de tous les coins du Québec, de toutes les couches de notre société qui, en marge des partis politiques, sont regroupés dans les organismes suivants:

Lors des commissions régionales, le peuple a pris la parole. L'étape suivante, c'est la mobilisation et l'engagement. Partenaires pour la souveraineté entend accompagner le peuple québécois dans l'affirmation de son identité. Il est impératif que la société civile prenne maintenant le relais des commissions régionales, en dehors de tout esprit partisan. Chacun des organismes membres de Partenaires pour la souveraineté a présenté son mémoire devant la Commission nationale. Comme nous croyons à l'identité comme valeur fondamentale, il est important que chacun d'entre nous s'exprime avec ses mots, ses nuances et ses différences. Ce mémoire commun est notre premier geste officiel. Il sera suivi de plusieurs actions que nous rendrons publiques en avril, après la fin de la Commission nationale, actions qui auront comme objectif d'entraîner la population québécoise dans notre sillage.

Aujourd'hui, nous nous concentrerons sur l'article 1 de l'Avant-projet de loi sur la souveraineté, qui a été soumis par le gouvernement du Québec. Nous pensons que ce débat, crucial pour notre avenir, ne doit pas se limiter à une interminable liste d'épicerie dans laquelle il ne pourra que s'embourber. Un pays, ce n'est pas un billet de loto, gagnant ou perdant. Personne au monde ne connaît d'avance l'avenir. Nous voyons trop souvent le monde et les décisions que nous avons à prendre avec des yeux de consommateurs désinvoltes, plus jamais avec des yeux d'êtres humains, de citoyens, de partenaires dans un projet collectif. Aujourd'hui, nous sommes capables de regarder de la même façon un couple, un aspirateur, une automobile ou un pays. En consommateurs indécrottables, nous voulons savoir si notre investissement dans un nouveau pays sera rentable, si la garantie est assez longue et couvre bien le prévisible et l'imprévisible, et si, au bout du compte, nos assurances vont rembourser avec valeur à neuf. Un pays n'est pas un objet de consommation courante, il ne se magasine pas, il n'est pas jetable après usage. Il n'est pas non plus, comme une auto ou une maison, un symbole de réussite sociale que d'aucuns aiment utiliser pour impressionner les voisins. Un pays ne nous appartient pas, c'est nous qui lui appartenons, ainsi que le comprennent les Amérindiens. Réduire le discours souverainiste à une stricte question économique est une erreur magistrale. Une erreur de sens et une erreur de cœur. Le cœur a aussi sa raison. Le discours économique ne rejoint jamais l'âme, ce lieu intime où les décisions vitales se prennent en toute quiétude dans une vie, en dehors du trafic, des visions d'horreur, des épouvantails et des doutes légitimes. Pour cette raison, beaucoup de gens ne se reconnaissent pas, en ce moment, dans un discours presque exclusivement économique, parce qu'ils ont besoin de plus. Parce qu'ils savent que l'économie est fluctuante et qu'elle doit être à notre service. C'est nous qui avons inventé l'économie et ses préceptes, cessons d'agir comme si nous n'étions que ses esclaves. De la même façon qu'un citoyen est beaucoup plus qu'un électeur ou un payeur de taxes, un pays est beaucoup plus que ses frontières et que son Produit national brut.

L'acte d'indépendance que nous voulons poser est un acte d'estime de soi et d'estime mutuelle. Cette indépendance est aussi importante que l'indépendance que doivent prendre nos enfants quand ils quittent la maison, aussi importante que l'indépendance que les femmes ont prise depuis vingt ans face aux images et aux réalités qui les enfermaient à double tour entre l'évier et la chambre à coucher. L'indépendance est un choix, mais elle a ceci de merveilleux qu'elle nous donne aussi tous les choix. Nous croyons que les pactes successifs qui ont marqué nos tentatives d'alliance avec le Canada ont échoué, ont toujours été des marchés de dupes, depuis l'Union du Haut et du Bas Canada, en passant par la Confédération, jusqu'aux Accords du Lac Meech et de Charlottetown, auxquels on a dit non. Les décisions prises par le gouvernement fédéral depuis les trente dernières années, particulièrement le rapatriement unilatéral de la Constitution canadienne, ont été les plus préjudiciables de toute notre histoire. Loin de constituer un antidote, les interminables discussions constitutionnelles ont empoisonné davantage nos rapports. Il est temps que ça cesse. Il faut, définitivement, se souvenir, ainsi que le proclame la devise du Québec, dont on n'a pas encore compris l'urgence après toutes ces années. Avec l'accès à l'âge adulte et au désir d'indépendance, vient aussi la mort nécessaire des illusions et de la naïveté. Mais il nous faut garder de la naïveté, qui n'est pas sans charme, ce qu'elle nous permet d'innocence et de regards toujours renouvelés sur la vie et le monde. Avec le désir de souveraineté, vient aussi le goût de la mémoire, celle des visages et des mots, des images et des actions qui font que nous sommes uniques au monde. La souveraineté remettra les pendules à notre heure, à notre rythme et sans décalage.

Aujourd'hui, il faut dire oui. Oui à nos rêves, oui à la part de courage qui est en nous, oui à la générosité, oui à la solidarité, après des décennies d'individualisme meurtrier. La souveraineté n'est pas une fin, mais un moyen. Elle n'est pas la fin de nos maux, elle est le début de l'incarnation de nos rêves. Il faut dire et redire que cet acte d'indépendance que nous voulons poser est un acte d'estime de soi et d'estime mutuelle, parce que nous savons que nous avons besoin de chacun et de chacune d'entre nous, sans discrimination d'âge, de sexe, de couleur ou d'origine. Dans le passé, peut-être n'avons ­nous pas su bien expliquer aux nouveaux Québécois que nous avions besoin d'eux, que nous avions besoin qu'ils parlent aussi notre langue et qu'ils partagent avec nous, en apportant leur culture qui vient nourrir la nôtre et non pas la menacer, une sorte de culture commune dont tous les pays du monde ont besoin pour leur équilibre. Quand le Québec sera souverain, il sortira enfin de cette polarité étouffante Québec/Canada pour se donner accès librement, directement, sans intermédiaire, au lien Québec/Amérique, au lien Québec/France et au lien Québec/monde. Nous acceptons d'ores et déjà ce rôle, nous sommes prêts à le jouer, à la place que nous méritons d'avoir sur l'échiquier mondial.

Nous ne voulons pas pour le Québec d'un futur sans avenir. Les petits pays ont aussi un avenir, et le Québec est un pays éminemment possible. Il n'y a pas, sur cette planète, que de grands pays impérialistes, loin de là. Nous pouvons faire exister le pays du Québec si nous le voulons, comme les Islandais, avec leur petit pays de 253 000 habitants. Petit pays de tolérance et de glace, petit pays du nord, comme nous, unique au monde, autonome parce qu'il a su se relier aux pays scandinaves et au reste du monde. Il en sera ainsi du Québec, pays 50 fois plus grand et plus riche que l'Islande, 30 fois plus peuplé. Contrairement aux slogans inflationnistes, nous ne sommes pas des géants, nous ne sommes pas non plus les meilleurs au monde et les êtres les plus créateurs de toute l'histoire de l'humanité. Nous pensons que le Québec « ne doit pas être tout puissant, mais rayonnant », ainsi que le disait, de la France, le généticien Albert Jacquard. Nous sommes nous-mêmes, avec nos richesses et nos manques, à l'échelle humaine, et notre pays nous ressemblera. Peut-être sera­it­-il plus grand que nous ne le croyons aujourd'hui, plus grand en ouverture, en qualité de vie, en conscience planétaire. Mais petit ou grand, ce sera le nôtre et il sera accueillant. Le Québec sera un État français et pluriethnique. Et à ceux qui nous accusent aujourd'hui de xénophobie, il faudra répondre par un vers de Gilles Vigneault, dans sa chanson Tu peux ravaler ta romance: « Faut être chez soi pour dire welcome »!

La souveraineté est une idée à la fois terriblement archaïque et terriblement contemporaine. Elle contient sa part d'éternité. Elle procède de la pulsion de tous les êtres humains de s'assumer personnellement dans un ensemble plus grand. De cette volonté qu'ont tous les peuples d'assumer leur destinée. Pour nous dissuader de faire du Québec un pays souverain, on nous donne toujours l'exemple de la fédération européenne, qui est en train de se faire, à contre-courant de la montée de tous les nationalismes. Ce qu'on ne dit jamais, c'est que chacun des pays qui adhère à l'Europe en ce moment est un pays souverain. C'est exactement ainsi que nous voulons procéder: être souverain, et ensuite faire partie de l'Amérique, avec nos particularités culturelles, notre langue et notre force économique. Il faut maintenant que le peuple du Québec vive à haute voix au lieu de murmurer son existence. Le silence est quelque chose d'important pour l'équilibre humain. Quand nous en voulons, nous pouvons aller le chercher en montagne, à la campagne ou au bord de nos 700 000 lacs. Le silence, on en a tous besoin: mais plus jamais il ne faudra l'exercer sur la place publique.

L'adhésion de Partenaires à la souveraineté du Québec n'est pas conditionnelle à un échange de bons procédés, à l'espoir d'avantages ou de cadeaux de la part du gouvernement si nous votons du « bon bord » au référendum. Elle est soudée à des valeurs fondamentales dont nous sentons l'urgence du rapatriement, un rapatriement qui cette fois sera à l'avantage du Québec, un rapatriement des valeurs telles que l'engagement, le dépassement de soi, la générosité, le courage et l'estime de soi. Nous avons un acte courageux à poser et nous le poserons, ensemble. Peut-être devons­ nous admettre que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, mais nous-mêmes, c'est déjà énorme. Nous ne nous laisserons pas envoyer définitivement en exil de nous-mêmes en votant « non » contre nous-mêmes pour une deuxième fois.

Au fond, c'est simple, la souveraineté. Il y a un peuple, au cœur de l'Amérique, à l'aube du troisième millénaire, qui réclame son identité. Comme le disait le poète Gérald Godin: « Le Québec sera le plus jeune pays du monde à l'aube de l'an 2000. » Donnons­-nous simplement les outils pour le faire, l'aimer et le donner ensuite en cadeau à toute la planète.