« Lettre de Louis-Joseph Papineau à George Bancroft - 18 décembre 1837 » : différence entre les versions

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À George Bancroft, Esquire
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L.J. Papineau
L.J. Papineau
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Version du 22 juillet 2008 à 21:50




très privé et confidentiel

Albany, 18 décembre 1837

Mon cher Monsieur,

L'attachement sincère que vous et moi avons pour ces principes de pure démocratie qui, pour le bonheur de l'humanité, ont triomphé et sont en pleine et efficace opération dans les États-Unis, m'enhardit à vous prier de faire valoir tous les moyens qui sont à votre portée pour les faire aussi prévaloir dans les deux Canadas. Lorsque j'eus l'honneur de vous voir, il n'y a que peu de mois à Montréal, j'étais loin de prévoir que dans un avenir aussi prochain mes concitoyens en grand nombre et moi serions les objets, presque les victimes d'une aussi violente et injuste persécution, de la part de l'immoral gouvernement anglais, que celle que nous éprouvons. Les apparences sont contre nous. Elles nous exposent à la censure publique. Nous avons l'air d'être une troupe de ténébreux et d'imprudents conspirateurs, de fugitifs déjà dispersés et punis, pour avoir comploté contre un gouvernement trop puissant pour qu'il eût jamais rien à craindre de nos efforts. Les apparences sont fausses et trompeuses.

La ruse et la violence combinées, la politique de 1798 contre l'Irlande de pousser le peuple prématurément à une résistance où il devait succomber, ont surpris et maîtrisent temporairement des antagonistes politiques, qui sont voués à une destruction certaine ou à un long exil, s'ils ne renversent pas l'injuste domination des oppresseurs de leur malheureux pays.

Je vais vous exposer la simple vérité. Depuis le premier de mai, il y a eu dans toute l'étendue du Canada de fréquentes et nombreuses assemblées du peuple pour dénoncer les mesures oppressives adoptées par le ministère britannique. Dès la première de ces assemblées, un plan de résistance légale et de désorganisation constitutionnelle de l'administration actuelle du Canada avait été adopté. C'était pour payer des officiers coloniaux que le Parlement impérial envahissait notre revenu. Nos combinaisons pour repousser cette violation du mieux établi de nos droits, si nous en avions aucuns que les principes pussent protéger contre l'usurpation s'appuyant brutalement sur la force, étaient de tarir la source de ce revenu, sans violer directement la loi. Pour y parvenir, nous avons donné l'exemple et formé des associations qui promettaient de cesser de faire usage de vins, des boissons spiritueuses, de thés, sucres et tabacs, qui sont les articles d'importation les plus fortement taxés; de favoriser la conservation et l'augmentation des bêtes à laine en renonçant à l'usage de la chair d'agneaux et en nous habillant avec des étoffes fabriquées en Canada, ou importées des États-Unis, sans avoir arrêté à nos douanes; et enfin de nous constituer une organisation judiciaire élective distincte et séparée de celle que nous donnaient de vicieuses institutions vicieusement administrées, et à cette fin de recommander au peuple de choisir dans chaque paroisse, dans le cours du mois actuel de décembre, des conciliateurs, devant lesquels, par voie d'arbitrage, les patriotes iraient porter leurs plaintes, s'obligeant sur leur honneur à ne plus à l'avenir les porter à grands frais devant les tribunaux ordinaires. Ces recommandations étaient universellement bien accueillies par le peuple. Les hommes influents revoyaient en foule les commissions qu'ils avaient précédemment reçues des gouverneurs et se montraient prêts à exercer la nouvelle juridiction volontaire que l'élection et la confiance de leurs concitoyens allaient leur conférer. Le revenu s'anéantissait; le gouvernement étaient profondément irrité, mais il n'avait pas le moyen de sévir contre ceux qui conseillaient ces mesures, qui n'ont aucun caractère d'illégalité, mais qui ravissaient à un gouvernement mal constitué toute influence morale, et sans secousse préparaient sa chute. Ne pouvant plus défendre leurs malversations s'ils se renfermaient dans l'exercice légal de leurs attributions, les hommes en pouvoir n'ont pas hésité à franchir ces limites.

La dernière assemblée de comté eut lieu à Saint-Charles le 23 octobre. Elle n'était ni plus ni moins répréhensible que tant d'autres ouvertement convoquées de toutes parts depuis six mois sur tous les points de la province. Une circonstance triviale, un accident fortuit et en soi de nulle importance, a fourni un prétexte au gouvernement de s'abandonner à sa soif effrénée de domination arbitraire, à ses désirs de vengeance. Les citoyens qui avaient convoqué cette assemblée m'avaient invité à y assister, j'y avais accédé. Quelques-uns d'eux, je ne sais qui, le gouvernement le sait encore moins, s'avisèrent d'élever une colonne avec l'inscription trop complimentaire de « À Papineau, ses concitoyens reconnaissants. » Cette colonne était surmontée d'une mâture portant un bonnet. Quelques feuilles ont dit que c'était un arbre de la liberté. Les avocats de la couronne, trois semaines plus tard, après grave et mûre délibération, ont décidé qu'enfin les patriotes s'étaient compromis et perdus; que des discours et des résolutions, quoique blâmables, n'auraient pas suffi pour les faire condamner, mais que cet arbre de la liberté était un overt act de trahison, un fait indicatif de leur détermination de s'affranchir. Cette conclusion était si inepte et illogique que dans tout autre pays il serait convenable de la mépriser et de subir un injuste procès. En Canada, il n'en est pas ainsi. Le pouvoir judiciaire y est si mercenaire, asservi, corrompu ou partisan, dans tous les cas de procès politique, que l'adoption d'une opinion si folle mettait ceux qui l'avaient avouée dans la nécessité de la faire confirmer par le verdict d'un juré et la sentence de juges, et ils sont les maîtres d'avoir toujours tels verdict d'un juré et la sentences que bon leur semble. Ils n'ont aucune loi qui règle les qualifications et sommation des jurés. Nulle autorité constituée qui en donne les listes au shérif. Dans le secret de son bureau, il fait sa liste; il y porte qui il veut, il en exclut qui il veut. Il est sans surveillance et sans contradicteur. Il est nommé par le gouverneur, par une commission révocable ad nutum qui le met ordinairement pour sa vie en possession d'une charge qui serait raisonnablement payée par des salaires de mille à douze cent piastres, et qui lui en donne quatorze à quinze mille par an. Voudriez-vous sous de telles circonstances subir un procès en Canada si les officiers de la couronne avaient déclaré que quelques-uns de vos propos avaient une odeur de haute trahison?

À leur avis, tout ce qui s'était dit et fait à Saint-Charles avait cette mauvaise odeur. Le secret de cette infâme opinion transpira quelques heures avant que tous ceux qui y avaient joué un rôle marquant fussent arrêtés. Les officiers de l'assemblée, présidents, vice-présidents, secrétaires, moteurs de propositions et leurs secondeurs, résidaient pour la plupart dans les villages voisins à Saint-Denis, Saint-Charles et Saint-Marc. Six mille électeurs et plus y avaient pris part, sans soupçonner qu'ils avaient été si grandement coupables. Quand ils surent que leurs chefs devaient être enlevés pour ce prétendu délit, ils se portèrent en foule à leurs demeures pour leur dire: « Nous sommes tous ensemble également fautifs ou excusables, nous ne voulons pas que vous soyez enlevés. » La première réflexion portait à croire que ces arrestations seraient en premier lieu tentées par le pouvoir civil. Et ce ne fut qu'un jour ou deux avant l'événement que l'on commença à conjecturer que le militaire serait employé à ces expéditions. Il n'y avait pas le temps nécessaire de faire des préparatifs de résistance proportionnés aux moyens d'agression. La navigation est demeurée ouverte pendant vingt jours plus tard que les années dernières. Cet accident désastreux a permis au gouvernement de jeter à la fois par les bateau à vapeur des corps nombreux de troupes sur les rives du Richelieu. Huit cents hommes bien armés on été employés à ce service, pour l'appréhension, dira-t-il, d'une douzaine d'individus. Non, il voulait commencer la guerre civile pour frapper de terreur, dans un long avenir, un peuple qui supporte impatiemment la dégradation qui est attachée inséparablement au régime colonial, tel que le comprend et l'exploite l'Angleterre, un peuple qui aspire à partager le sort heureux que vous ont fait l'insolence anglaise, les vertus courageuses, les sacrifices patriotiques des sages et des héros de 1776 et un peu des secours étrangers. Nous sommes dans la situation, dans les dangers qui alors assiégeaient vos ancêtres. Bien vite nous en sortirons, nous partagerons, si vous nous secourez, votre sort prospère, et nous en sommes dignes, par l'étendue de nos maux soufferts et à souffrir si nous succombons; par la sincérité avec laquelle nous aimons vos doctrines et vos institutions; par l'avantage que vous trouverez dans des rapports de commerce et d'union politique avec cette partie de ce continent, qui est si près de vous et si loin de l'Angleterre; par la nécessité où vous êtes, en vue de votre et de notre future tranquillité, de vous débarrasser du voisinage d'une puissance européenne ennemie de vos institutions, jalouse de la prospérité croissante qu'elles vous garantissent et qui dans vos jours d'épreuves et d'embarras attisera vos dissensions et croira solidement baser sa prospérité sur vos malheurs. La société américaine est autrement constituée que celle de l'Europe. Par toutes les lois de la nature, nous sommes détachés de l'Europe et attachés aux États-Unis, et nos voeux unanimes appellent cette union. Nous sommes un grand nombre de Canadiens que les soudaines violences du gouvernement ont éloignés du sol natal, et qui sont réfugiés auprès de vos foyers hospitaliers. Notre dispersion, loin de nous décourager, nous fait comprendre que nous sommes plus forts et combien la domination anglaise est faible et plus précaire que nous le pensions. Nous avons éprouvé de la part d'un si grand nombre d'Américains, dans toutes les classes, dans tous les partis, tant et de si vives et si généreuses preuves de leurs sympathies pour les patriotes canadiens que nous sommes persuadés que des secours comparativement légers, pour donner à nos compatriotes des armes dont ils feraient un bon usage, les mettraient sou peu en état de se donner une organisation civile et militaire qui leur permettrait d'établir et défendre une constitution aussi libre et purement démocratique que celles qui régissent vos vingt-six États souverains, que celles qui font la gloire et le bonheur de vos quinze millions d'habitants, les plus libres qu'il y ait jamais eu au monde; et qui font l'effroi des monarchies, aristocraties et despotismes militaires du vieux monde. Il nous faut effectuer l'achat de dix mille mousquets, de vingt pièces d'artillerie, des munitions et de quoi payer les vivres des volontaires qui les feront jouer pendant quatre mois, pour que nos chances de succès soient presque infaillibles. Si ces secours nous manquent, vous aurez la Pologne et ses horreurs à vos portes. Cent mille piastres sont à trouver dans l'Union; mais elles sont plus difficiles à trouver aujourd'hui que des millions quand nous aurons commencé à organiser un gouvernement provisoire; ouvert des bureaux d'emprunts, comme aussi des bureaux pour la vente de terres vacantes, riches garanties d'indemnité pour les prêteurs.

Je suis ici dans un lieu où je suis en rapport avec des patriotes du Haut et du Bas-Canada et d'où je ne puis m'absenter par cette raison. Sans cet obstacle, j'irais de suite vous voir au lieu de vous écrire et vous expliquer mieux en une heure de conversation la vraie situation de notre cher pays que je ne le ferais par les plus longues lettres; vous prier instamment de vous intéresser à nous faire trouver, dans Boston ou partout ailleurs où vous avez des amis, un prêt le plus large que vous pourrez obtenir en acompte de ces cent mille piastres. Des hommes braves et aussi des hommes expérimentés sont à nous et nous à eux si nous avons ce secours. Je ne suis pas un visionnaire. Nombre de vos compatriotes des plus éclairés, des meilleurs penseurs, des plus élevés en rang et en influence, voient comme moi. C'est en commun avec eux que je vous prie, à mains jointes, de favoriser cette entreprise. Elle est d'un prix inestimable pour mon pays, et cependant je ne veux pas son succès aux dépens du bonheur de celui-ci. Je suis si attaché au républicanisme tel que l'ont compris et enseigné Thomas Jefferson et son école, dont je crois que Martin Van Buren est un des plus dignes adeptes, que je pense que l'on ne peut user de trop d'art et de ménagement dans la conduite de cette affaire pour que le puissant parti qui vous est malheureusement opposé ignore dans ces premiers moments que quelques-uns des amis intimes de votre excellent président partagent et appuient ces sentiments et ces démarches. L'esprit de parti voudrait le rendre responsable de mesures toutes prises à son insu. La cause de la liberté et de la justice en souffrirait dans ce pays même comme dans le nôtre. Un ami doit partir, m'assure-t-on de cette ville, en même temps que cette lettre pour vous aller voir et vous donner des renseignements que des lettres ne peuvent jamais pleinement embrasser, et vous dire quels seront les efforts qui se font simultanément ici et à New York pour négocier des dons et des emprunts. Combien je souhaiterais ardemment avoir le plaisir de voyager pour vous aller consulter, au lieu d'envoyer cette lettre! Dois-je perdre l'espérance d'avoir avec vous cette entrevue? Irez-vous à Boston? Si dans quelques jours vous êtes chez vous et que je ne sois pas en Canada, je tomberai peut-être chez vous à l'improviste comme une bombe. Si nous n'obtenons pas les secours désirés, si de nouveaux désastres inattendus nous ôtaient l'espoir d'aider à la cause du Canada de ce côté de l'océan, il y aurait peut-être utilité pour moi ou quelque autre réfugié, de passer en Europe pour s'y mettre en rapports fréquents avec MM. Hume, O'Connell, Roebuck, etc., et autres amis qui chercheraient à ralentir l'inondation de maux que nous préparent l'orgueil aristocratique et les vengeances ministérielles. Vous connaissez les deux mondes; les précautions qu'il faudrait prendre pour arriver sur le continent et y demeurer à l'abri des persécutions officielles. Vous seriez un guide sûr dont les avis me sont indispensables s'il fallait prendre ce parti. Comptant sur votre bienveillante sympathie, attendant de vous une réponse encourageante, et vous souhaitant toute la santé et tout le bonheur possible, je demeure avec une sincère considération et estime votre obéissant et affectionné serviteur.

L.J. Papineau


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