Les Basques libres...
«Les deux grands courants de notre époque : celui de la liberté des peuples et celui des groupements économiques et politiques librement consentis.» (Manifeste du Mouvement Souveraineté-Association, 1967)
Les analogies sont évidentes entre les cas basque et québécois. C’est pourquoi il faut s’en méfier...
Le procès de Burgos et l’enlèvement d’un diplomate allemand ont bien forcé le reste du monde à se rappeler qu’il existe toujours un pays basque. En Espagne surtout où les Basques sont environ 2 millions alors qu’en France à deux pas ils ne sont que 200,000.
C’est donc du côté espagnol que leur sort se joue, là où leur nombre peut compter et où le régime Franco à force de répression brutale a su les garder bien résistants.
À 78 ans, Franco achève. À la tête d’une Espagne qui s’est attelée très tard à son rattrapage... 17% d’analphabètes chez les plus de 10 ans et revenu personnel de $450 (1966); migration de la terre à la ville de plus de 4 millions de personnes en 20 ans; émigration forcée d’au-delà d’un million d’Espagnols travaillant à l’étranger pour faire vivre leur familles restées au pays.
Derrière la façade de capitalisme, à l’ancienne de tourisme à la page et de law and order à l’ultra-Turner le franquisme est sur ses derniers milles. Le régime mourra avec son créateur. Longtemps paralysée par les souvenirs sanglants de la guerre civile des années 30, la population s’est maintenant renouvelée et remise à bouger dangereusement.
À l’échelle humaine
Dans ce climat de transition qui mène droit à des secousses fondamentales, le peuple basque ose désormais se souvenir de l’éphémère. État national qu’il avait arraché, il y a 35 ans, à la république espagnols agonisante et qu’un Franco vainqueur s’empressa d’étouffer.
Les 16 accusés de Burgos sont devenus des symboles vivants de cette renaissance collective. Qui n’est pas le seul fait du pays basque, d’ailleurs, mais trouve des équivalents ou des analogues un peu partout dans le monde.
C’est ce courant universel que nous évoquions en 67 dans le manifeste du MSA. On le discerne partout où des frontières plus ou moins imposées même les plus anciennes et apparemment sacrées prétendent enfermer ensemble des peuples aux personnalités distinctes, là aussi où n’ayant connu ni la guerre ni la «crise» des moins de 40 ans ressentent le besoin ou simplement le goût de contester l’ordre existant et perçoivent dans la revendication nationale un projet à la fois légitime et emballant.
Dans son numéro du 14 décembre où le Québec figure justement côte à côte avec les Basques c’est ainsi que le Nouvel Observateur est amené à reprendre notre... anticipation de 67 :
—Il est remarquable, écrit le grand hebdo français de constater qu’à l’heure des blocs et des macro-continents se réveillent ou s’éveillent un peu partout dans le monde entier des sentiments de particularisme provincial ou d’appartenance ethnique comme si les hommes voulaient compenser leur sujétion à ces grands blocs car une insertion dans des groupes à mesure humaine.»
Un statut très particulier
Cela dit le pays basque n’est pas le Québec.
D’abord parce que nos chances sont autrement meilleures que les siennes si nous finissons par savoir en profiter...
À 2 millions sur quelque 33 millions d’Espagnols d’aujourd’hui les Basques pèsent pas mal moins lourd que nous dans notre propre contexte. Avec sa langue sans aucune proche parenté, ce petit peuple se trouve de surcroît dans un extraordinaire isolement culturel ce qui n’est pas précisément le cas du Québec français...
Par ailleurs, au lieu d’être comme nous économiquement à la queue, le pays basque est au contraire la région la plus dynamique de toute l’Espagne où sa zone clé de Bilbao est probablement celle du plus intense développement industriel et des plus hauts salaires. Comme quoi la prospérité n’est pas réponse à tout. Parfois c’est plutôt l’inverse : l’appétit vient en mangeant...
Mais ce dynamisme même et son importance pour l’économie espagnole sans compter la très vieille et féroce mystique d’intégrité territoriale qui remonte aussi loin que Ferdinand et Isabelle excluent sans doute une «séparation» des Basques. Il semble évident cependant qu’à tout le moins «un statut très particulier» sortira des inévitables bouleversements qui ne font que s’amorcer.
Différence plus essentielle encore : le caractère du régime. En Espagne, voilà 30 ans que sévit l’État policier et un impitoyable étouffement de toutes les oppositions aussi bien que des particularismes. Le mouvement dont se réclament les 16 de Burgos, l’ETA («Pays basque libre») n’était au début qu’une frange d’extrémistes qui faisaient peur (c’est par les excès de sa répression que le franquisme les a durcis et multipliés, en même temps qu’il les valorisait aux yeux des leurs.
Prisonnier de l’escalade infernale oppression-violence-répression, l’État autoritaire a fini par gaffer monumentalement en «fabriquant» un procès qu’il voulait exemplaire mais qui l’a plongé dans le ridicule entraînant le rapt du diplomate, la révélation crue des sévices policiers, l’émoi de l’opinion mondiale, l’abrogation de droits individuels... plutôt parcimonieux d’avance, une galvanisation sans précédent des Basques, enfin la mobilisation fébrile d’une «majorité silencieuse», troupeau classique là comme ailleurs.
À bien y penser, il y a peut-être autant d’analogies que de différences.