L’état de la souveraineté au Québec
RÉSUMÉ : Dans une lettre envoyée au Journal de Montréal dimanche dernier, le 28 novembre 2011, le chanteur indépendantiste Paul Piché se demande pourquoi les souverainistes ne parlent pas plus souvent d’indépendance là où ça compte : à l’Assemblée nationale du Québec[1]. EN RÉACTION : Bruno Deshaies, « PAUL PICHÉ, un défenseur de l’« agir par soi-même (…) pour un individu ou pour une collectivité », Vigile.net, 2 décembre 2011; Jacques Lanctôt, « Paul Piché », Canoë, 2 décembre 2011.
Le mouvement souverainiste se métamorphose, se décompose ou implose, comme vous voudrez, chose certaine, ça inquiète. Ça inquiète non seulement les militants souverainistes, mais aussi des citoyens normalement plutôt apolitiques. On a beau critiquer et juger sévèrement les politiciens de la mouvance souverainiste, après la défaite de Gilles Duceppe, on sait intuitivement que si on renvoie tous ces gens-là chez eux, on se retrouvera entre les mains de d’autres qui n’auront certainement pas plus nos intérêts à cœur.
Et si tous ceux qui nous défendent depuis si longtemps abandonnaient? Et si cet élan pour faire du Québec un pays cessait? Qu’arriverait-il ? Encore une fois, les Québécois savent que tout ce qu’ils ont gagné au Canada, ils l’ont eu sous la menace souverainiste. Chaque pouce de spécificité nous a été accordé essentiellement pour calmer le jeu face à la montée indépendantiste. Ne prenant plus cette menace au sérieux, le Canada, aujourd’hui, nous impose, contre notre volonté et notre intérêt, sa politique énergétique, environnementale ou culturelle sans que personne semble pouvoir réagir. À cet égard, on peut s’inquiéter de ce qu’il adviendrait si on se retrouvait sous la gouverne d’un François Legault, qui se veut encore moins exigeant avec Ottawa que Jean Charest. Quand le mouvement souverainiste est dans l’impasse, ce n’est pas seulement le PQ qui en souffre, c’est tout le mouvement nationaliste québécois.
La place du français qui commence à sentir le roussi, les souverainistes qui se cherchent et le portrait de la reine qui s’affiche. Que se passe-t-il donc ? Disons d’abord qu’une impasse du côté souverainiste était prévisible. Comment s’imaginer qu’une idée puisse progresser dans la société si on arrête d’en parler ? Comment peut-elle intéresser les gens si personne n’en fait la promotion ? Disons les choses clairement : les souverainistes ne savent plus où, ni quand, ni comment parler de souveraineté sans craindre d’ennuyer ou de faire peur aux gens.
Remarquez, du côté des fédéralistes, depuis la bisbille autour du Lac Meech, qui a permis au Canada de rejeter une fois pour toutes les revendications minimales des réformistes fédéralistes québécois, ceux-ci sont devenus encore plus silencieux sur les avantages du fédéralisme canadien. L’avenir étant pour toujours bloqué de ce côté, ils ont perdu beaucoup d’intérêt pour le sujet. Aujourd’hui, ils n’ont plus qu’un seul et maigre argument qu’ils claironnent par contre sans cesse, c’est que « ça n’intéresse personne ». Le problème avec le mouvement souverainiste, c’est qu’il semble avoir admis cet argument.
LÀ OÙ ÇA COMPTE
Ironiquement, s’il y a du vrai dans cet argument du manque d’intérêt, par leur silence, les souverainistes en sont les premiers responsables. Certains répéteront que ce n’est pas en parlant plus souvent ou plus fort de la souveraineté qu’on aidera la cause. Peut-être, mais pour moi, il ne s’agit pas seulement d’en parler davantage, mais surtout d’en parler au bon endroit. En fait, c’est d’abord et avant tout une question de lieu. Les souverainistes ont abandonné un lieu vital pour parler de leur idéal. Car où devraient-ils en parler ? Là où ça compte, là où il y a choc des idées et des intérêts, là où on fait des lois, là où nous nous reconnaissons comme nation, là où ils ont cessé depuis trop longtemps d’en parler, c’est-à-dire à l’Assemblée nationale.
À ceux qui réclament un discours plus souverainiste, les péquistes répondent qu’ils en parlent sans cesse et que ce sont les journalistes qui ne rapportent pas la nouvelle. Mais rappeler l’objectif premier du parti dans un congrès de militants ou à la fin d’un point de presse n’est pas une nouvelle, c’est un mantra. Qu’ils osent interpeller Jean Charest sur le sujet à la période des questions et la nouvelle sera rapportée. Si l’idée de faire du Québec un pays n’est plus un élément de confrontation entre les partis fédéralistes et souverainistes dans cette enceinte, comment s’imaginer qu’il sera un sujet d’intérêt dans nos salons ? Certains diront que le premier ministre n’attend que ça pour tenter de faire oublier les scandales ou d’autres aspects plus désastreux de son administration. Comme si on ne pouvait pas à la fois exposer la corruption du gouvernement et leur demander de répondre du Canada auquel ils nous demandent de nous soumettre.
Les militants du Parti québécois ont peut-être adopté le principe de la « gouvernance souverainiste » dans les règles de l’art démocratique, comme le soulignait Pauline Marois, mais nulle part il n’a été dit qu’on se tairait à ce point sur la question nationale d’ici la prise du pouvoir. Ce que les stratèges proches de la chef auraient dû comprendre, c’est que pour rendre une éventuelle « gouvernance souverainiste » un peu intéressante et même crédible, ce dont on aurait eu le plus besoin depuis longtemps, c’est d’une véritable « opposition souverainiste ». Pour, à la fois, souder la base militante et remettre dans l’actualité la raison d’être du Parti québécois, cette « opposition souverainiste » aurait pu s’articuler, entre autres, autour des préoccupations d’aujourd’hui : mondialisation, environnement, crises internationales, en fait tous ces domaines où le Québec-province est impuissant d’agir ou du moins très limité puisque obligé de se soumettre aux volontés canadiennes.
Le raisonnement des mentors péquistes est allé dans un tout autre sens : pour faire la souveraineté, il faut prendre le pouvoir et pour prendre le pouvoir vaut mieux ne pas trop parler de souveraineté. Résultat, plus personne ne s’intéresse à la souveraineté ni non plus aux partis souverainistes. Ça va de soi. On a plutôt choisi, pour intéresser les gens, de s’occuper « des vraies affaires ». Mais la question nationale a cessé d’être une vraie affaire, le jour où on a cessé de soulever le côté paralysant de notre soumission au fédéral. Le jour où on s’est arrêté, à l’Assemblée nationale, d’en souligner les conséquences dans nos vies de tous les jours.
En d’autres mots, les souverainistes ne soulèveront jamais les passions si leur projet n’est que l’évocation d’un idéal lointain. Dans ce contexte, même s’il change de chef, le Parti québécois prolongera l’impasse à ses frais s’il n’arrive pas à inscrire dans le présent sa démarche pour asseoir un jour le Québec à la table des nations.
L’ARROGANCE D’OTTAWA
À sa décharge, il n’y a pas qu’au Parti québécois où on se défile devant la question nationale. Chez les fédéralistes, on fait la même chose en se repliant sur le seul argument de la fatigue générale pour justifier notre écrasement à l’intérieur du Canada. Chez Québec solidaire, on se défile aussi, en relayant le tout vers une brumeuse assemblée constituante qu’on peine à imaginer, encore plus à comprendre et enfin, chez François Legault, on renvoie carrément tout ça à une autre génération. Il y a quelque chose qui ressemble ici à une fuite en avant de toute la classe politique, qui ne veut surtout pas déplaire. De gauche à droite, tous nous proposent de rénover la maison, mais personne pour dire que nous ne sommes pas propriétaires. On rendrait un grand service à la nation si on disait enfin les « vraies choses ».
Il est de bon ton, ces jours-ci, de dire que nous sommes passés à une dynamique gauche-droite plutôt que fédéraliste souverainiste. Un peu comme si la question nationale s’était réglée d’elle-même à l’usure. À voir l’arrogance avec laquelle on s’apprête à détruire le Registre des armes à feu à Ottawa, si elle s’est réglée, ce n’est certainement pas à l’avantage du Québec.
Ceux qui nous promettaient un fédéralisme renouvelé ou plus modestement « évolutif » se doivent de constater que dans les trente dernières années, le Québec a perdu sur toute la ligne. Force est d’admettre que le Canada se gouverne maintenant sans nous et que même les fédéralistes québécois, y compris le premier ministre du Québec, n’ont plus voix au chapitre. Si notre voix s’éteint ici, elle ne brillera certainement pas dans le monde.
Faisons savoir, donc, à la jeunesse aux préoccupations maintenant planétaires, que des décisions qui tisseront le monde de demain et qui nous affecteront dans nos vies de tous les jours se prendront, non plus à Québec, ni même à Ottawa, mais sur la scène internationale à laquelle nous n’aurons jamais accès si on ne se donne pas enfin notre pleine souveraineté. À L’UNESCO par exemple, où le Canada a fini par concéder un siège au Québec pourvu que celui-ci ne contredise pas la position canadienne. Pendant combien de temps allons-nous accepter que l’expression de nos valeurs soit optionnelle ? Pendant combien de temps allons-nous nier l’évidence de notre enfermement dans cette fédération ?
L’avenir du Québec à l’intérieur du Canada rétrécit tellement que les fédéralistes, aujourd’hui, s’obligent à des prouesses pour éviter le sujet. Il y a belle lurette qu’on n’a pas lu une chronique qui vantait les mérites du Canada. Chroniqueurs et politiciens fédéralistes analysent la ferveur souverainiste ou discutent de sondages qui plafonnent, ergotent sur la faisabilité de l’indépendance, mais jamais plus ils ne nous vantent les mérites d’être restés dans le giron canadien. On a beau dire que le mouvement souverainiste est dans une mauvaise posture, celle des fédéralistes, sur le fond, est beaucoup plus précaire.
UNE OPPOSITION SOUVERAINISTE MAINTENANT
Une opposition souverainiste devrait demander au gouvernement du Québec de répondre du Canada. Le Québec a constamment à subir des décisions unilatérales du gouvernement canadien qui vont à l’encontre de ses propres intérêts. Puisque ce sont les libéraux du Québec qui nous demandent de nous soumettre à ce régime, on ne devrait pas leur permettre de s’en laver les mains. Pour l’instant, l’opposition officielle se contente de dénoncer l’à-plat-ventrisme du gouvernement québécois, comme si le fait de se tenir debout pouvait suffire dans une fédération qui ne fera jamais de place à la différence québécoise. On ne peut pas espérer que la population fasse elle-même ses déductions et lance le débat sur la souveraineté dans la rue. C’est aux souverainistes à relancer ce débat en n’ayant pas peur des mots.
Le caucus péquiste est rempli de jeunes et fougueux députés qu’on sait instruits et rompus à la joute parlementaire. Ils ont fait un travail remarquable en tant qu’opposition officielle. Il serait dommage que ce talent ne serve pas aussi la raison d’être de leur parti. Une opposition souverainiste devrait faire la pédagogie de la souveraineté à partir du parlement.
« Êtes-vous en train de nous dire, Monsieur le Ministre, que si le Québec était un pays on serait en mesure d’agir sur ce dossier en fonction de nos intérêts ici au Québec ? Êtes-vous en train de nous dire, Madame la Ministre, que si nous étions souverains on pourrait régler votre problème aujourd’hui ? » Voilà le genre de questions qu’on aurait aimé entendre à l’occasion.
Deux fois le ministre de la Justice du Québec se déplace à Ottawa pour défendre des consensus unanimes de notre Assemblée nationale et personne pour lui faire remarquer que si le Québec était souverain il n’aurait pas à changer de capitale pour faire valoir son point. Si personne ne fait la remarque, personne ne le remarquera.
LA BAGUETTE MAGIQUE
À coup sûr, on nous sortira l’argument de la « baguette magique » comme quoi les souverainistes sont des rêveurs impénitents qui croient qu’avec la souveraineté tous les problèmes se régleront par magie. Mais n’est-ce pas, justement, d’un coup de « baguette magique » que le gouvernement fédéral a récemment disqualifié le Québec des investissements de construction navale ou qu’il se permet de changer la loi du droit d’auteur contre l’avis de tous ? Ou encore que la Cour suprême nous renvoie chez nous en invalidant une loi unanimement votée par l’Assemblée nationale du Québec concernant les écoles passerelles ?
Décidément, y a de quoi rêver. Chaque semaine l’actualité nous fournit des exemples de divergence d’intérêt entre le Québec et le Canada : environnement, énergie, agriculture, droits d’auteurs, protection de la langue, industrie forestière, olympique ou autres, et chaque fois la baguette magique opère dans un seul sens et ce n’est jamais celui du Québec. Les gens sont tannés des chicanes fédérales-provinciales, vous dites ? Nous le sommes tous et, justement, on aimerait bien en finir.
Agir par soi-même, nous disait l’historien Maurice Séguin, est le bien le plus précieux pour un individu ou pour une collectivité. De cette action libre découle l’acquisition d’expérience, d’expertise et d’habitudes de penser. Agir par-soi-même, tout en tenant compte des autres, disait-il, entraîne développement, épanouissement et enrichissement. Voilà essentiellement ce qui motive les peuples à être libres et souverains. Pourquoi les Québécois n’en mériteraient-ils pas autant ? Et pourquoi ne mériteraient-ils pas que ce soit une préoccupation quotidienne DES ÉLUS QUI LES REPRÉSENTENT ?