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Transferts linguistiques : L'appareil gouvernemental poursuit sa dissimulation des faits. La Commission Larose osera-t-elle au moins porter à l’attention générale les faits sur les transferts linguistiques avant d’arrêter sa recommandation définitive quant au cégep en français?
dans L'Action nationale, mars 2001



I - UNE JUSTE PART DE L’ASSIMILATION POUR LE FRANÇAIS : UN OBJECTIF POLITIQUE CLAIR ET ÉQUITABLE

La langue fourchue

Des haut placés nous disent parfois des faussetés sur la langue. Par exemple, pendant la dernière campagne référendaire, les professeurs Jacques Henripin et Jack Jedwab nous ont assuré dans La Presse que le poids de la population francophone dans la région de Montréal continue à augmenter. Et Jean Chrétien vient de proférer en pleine campagne électorale qu’au Canada, le français se porte au mieux grâce à son gouvernement.

Voilà pourtant dix ans que le poids des francophones est en baisse à Montréal. Et le recensement de 1971 comptait 280 000 francophones anglicisés au Canada alors que celui de 1996 en énumérait 360 000. En fait, l’assimilation des francophones hors Québec a annulé la francisation de quelques dizaines de milliers d’allophones à Montréal. Si bien qu’après 25 ans de bilinguisme à la Trudeau et 20 ans de loi 101 à la sauce Cour suprême, le bilan de l’assimilation au Canada pour la population francophone demeure aussi négatif en 1996 qu’en 1971.

Le motif derrière pareilles menteries est bien connu. Deux jours après son texte dans La Presse, Henripin se faisait voir à la télé parmi les leaders des 100 universitaires pour le NON. Jack Jedwab dirige aujourd’hui l’Association d’études canadiennes, un « front » de Sheila Copps. Comme Jean Chrétien, ce sont des croisés de l’unité canadienne. Leur devoir est de peindre en rose la situation du français.

Cacher ce sein...

À Québec, des hauts fonctionnaires de la langue pratiquent, eux, la dissimulation. Les accusations de fascistes et de flics de la langue semblent avoir rendu tout croches certains de nos cadres. Pour se rendre la carrière plus confortable, ils ont décidé pour nous que la politique linguistique du Québec ne doit pas s’occuper d’assimilation. Elle ne vise que l’intégration linguistique des immigrants. Rayer l’assimilation de notre vocabulaire, parler seulement d’intégration, cela fait bien. C’est plus correct. Ça ne dérange pas.

Mais on a beau chasser le naturel, il revient au galop. Au lancement de son rapport biaisé sur l’usage du français en public, Mme Nadia Assimopoulos, présidente du Conseil de la langue française (CLF), nous a seriné que la langue que les citoyens choisissent d’utiliser à la maison relève de la vie privée et ne peut résulter d’une intervention de l’État. Du même souffle elle ajoutait, entre parenthèses, « qu’on peut évidemment espérer [...] que les immigrants qui choisiront de changer de langue [...] adopteront le français et que le transfert linguistique se fera de plus en plus en faveur de la langue officielle ». Il y a assimilation sous roche. Pense-t-on gagner le respect de l’autre en jouant avec les mots, en faisant l’hypocrite ? Pourquoi ne pas dire que notre politique vise à orienter vers le français, dans les foyers, les transferts linguistiques des immigrants ? L’obligation de fréquenter l’école française n’a pas uniquement pour but de faire apprendre le français aux enfants des nouveaux immigrants. Les écoles anglaises auraient pu - et voulu - s’en charger. Non, par cette disposition de la loi 101, l’État a voulu infléchir en faveur du français leurs éventuels transferts linguistiques. Et ça marche ! Fort heureusement, les États généraux sur le français nous fournissent à tous l’occasion de libérer notre politique linguistique de la langue de bois.

Une brique sur la langue

L’anathème touchant l’assimilation est solennellement réitéré dans Le français au Québec : 400 d’histoire et de vie, grosse brique que le CLF a pondue juste à temps pour les Fêtes... et les États généraux. Jean-Claude Corbeil, sous-ministre associé à la politique linguistique avant d’être nommé secrétaire de la Commission Larose, y met les points sur les « i ». Selon lui, notre politique a exclusivement pour but l’intégration linguistique des immigrants, non leur assimilation. Elle ne cherche qu’à favoriser l’adoption du français comme langue d’usage public et non comme langue d’usage privé à la maison : « l’assimilation [...] est une décision personnelle [...] elle ne saurait être, au Québec, l’objectif d’une politique gouvernementale ».

En effet, la brique de plus de 500 pages en 4 parties, 14 chapitres, 58 sections et 96 encadrés ne contient pas le moindre tableau sur les transferts linguistiques au foyer ! Il y aurait eu tellement de choses positives et belles à dire sur la nouvelle tendance parmi les immigrants plus récents à parler le français à la maison. Mais ça ne fait pas partie de nos 400 ans d’histoire, ça !

Dans sa conclusion, Michel Plourde, ancien président du CLF et directeur de cet ouvrage, juge cependant que « les concepts de langue d’usage public et de langue d’usage à la maison auraient intérêt à se compléter et à se renforcer l’un l’autre ». Mais alors, pourquoi cette brique accorde-t-elle autant de place au chimérique indice synthétique de langue d’usage public (SLUP) concocté au CLF, alors que 25 années d’observations portant sur les transferts linguistiques au foyer n’y méritent que des allusions au détour de quelques phrases ? Est-ce parce que Pierre Georgeault, à la fois « collaborateur » de la brique et responsable immédiat au CLF de la minable opération SLUP, y a vu ? Si tel est le cas, voilà bien la marque d’un incompétent aux abois.

Qui mène, les fonctionnaires ou les élus ?

Le site des États généraux ne présente qu’une synthèse du fumeux rapport SLUP du CLF. Si l’évaluation de notre politique doit se faire au moyen de cet indice bidon, pourquoi a-t-on choisi de ne pas nous offrir le rapport intégral ? Quelqu’un a-t-il peur d’en trop exposer les tares criantes à l’examen public ?

En revanche, le site présente maintenant le rapport des cinq ministres, Les défis de la langue française à Montréal et au Québec au XXIe siècle : constats et enjeux (avril 2000), dont j’ai parlé dans ma chronique précédente. Il y est question des tendances touchant les transferts linguistiques au foyer et la langue de travail. Il y a un monde entre le ton direct et responsable de ce rapport de ministres et le flou artistique dans lequel les fonctionnaires enrobent leur langue d’usage public. À la fin, qui mène, au juste ? Les élus ou les fonctionnaires ?

Fait cocasse, on trouve aussi maintenant sur le site le Bilan sur la situation de la langue française au Québec en 1995. Ce rapport de fonctionnaires contient une analyse bâclée des tendances de l’assimilation - pardon, des transferts linguistiques - sous le titre « La langue de l’intégration des immigrants » ! Alors quoi ? Intégration et assimilation, cela revient-il en fin de compte à la même chose ? Encore ce naturel qui galope.

Parlons franc

L’objectif des militants péquistes à qui nous sommes redevables pour ces États généraux - cette précieuse occasion offerte au peuple québécois pour reprendre sa parole sur la langue - n’est pas l’assimilation. Mais puisque l’assimilation existe, disent-ils, pourquoi le français n’en tirerait-il pas au moins sa juste part ? Pourquoi ne pas donner à notre politique l’objectif de répartir l’assimilation des allophones au prorata des populations française et anglaise du Québec ? Cela voudrait dire qu’environ 85 % des transferts linguistiques iraient au français et 15 % à l’anglais.

Cette politique serait équitable envers tous. Personne n’aurait à se plaindre. La population francophone ne subirait plus le préjudice démographique causé par l’assimilation disproportionnée des allophones à l’anglais. Elle serait libérée de son appréhension de l’immigration. Les anglophones aussi attireraient leur juste part d’allophones. Et les allophones qui choisiraient de ne s’assimiler ni au français ni à l’anglais continueraient tout simplement à parler leur langue à la maison.

Que nos hauts fonctionnaires de la langue essaient donc de comprendre avant de monter sur leurs grands chevaux. Personne au Québec ne prône l’assimilation qui se pratique aux États-Unis ou au Canada. Mais que voulez-vous, comme disait l’autre, l’assimilation est une réalité de la vie ! À chaque recensement, 10 % des Canadiens déclarent parler à la maison une langue différente de leur langue maternelle. À Montréal, c’est pareil. Dix pour cent des Montréalais déclarent avoir fait un transfert linguistique. Pourquoi ne pas donner à nos politiques canadienne et québécoise l’objectif d’en faire bénéficier de façon équitable la population de langue française, au moins au Québec ? Le français, langue d’intégration, d’accord, mais pourquoi pas aussi langue d’assimilation ? Rappelons que selon le recensement de 1996, la population de langue anglaise en a profité pour recruter à l’échelle du Canada plus de deux millions de nouveaux locuteurs habituels au foyer, tandis que celle de langue française en a perdu plus d’un quart de million !

La part du français dans l’assimilation est un concept simple et facile à mesurer. Et l’on dispose là-dessus d’une série d’informations qui s’étend déjà sur un quart de siècle. L’indice SLUP est au contraire si fuyant et subjectif que, selon Jean Marcel (L’Action nationale, janvier 2000), seul son auteur pourrait le reproduire. C’est à l’opposé d’un savoir scientifique.

Madame Beaudoin, on vous a monté tout un bateau. Certains de vos fonctionnaires cherchent à accaparer beaucoup trop de place. Les États généraux présentent au peuple québécois l’occasion de reprendre le contrôle de sa langue et de sa politique linguistique. Monsieur Larose, bonne chance !

II - ON NOUS TIRE LA LANGUE

Oser. Tel était le thème de Lucien Bouchard à l’ouverture de sa première session comme premier ministre. J’oserai. Nous oserons, répétait-il, en présentant son premier Cabinet.

On ne peut pas dire qu’il a osé bien fort dans le dossier linguistique. À peine osait-il se regarder dans le miroir. Et il le tenait bien loin, son miroir. Il craignait de voir ce que les médias véhiculent comme image du Québec à l’étranger. Son approche à la question linguistique, c’était le qu’en-dira-t-on à Los Angeles.

Pas besoin de regarder si loin. Il suffit de voir les médias anglophones du Canada et de Montréal. Si bien que juste avant Noël, les États généraux sur la langue étaient sérieusement esquintés. « Statu quo au cégep et dans l’affichage » disait la manchette de La Presse. L’article signé par Denis Lessard précisait que le gouvernement Bouchard n’avait pas l’intention de restreindre l’accès au réseau collégial anglophone. Il laisserait faire pendant encore cinq ans « pour surveiller la situation et vérifier si cette liberté de choix accroît le nombre des transferts linguistiques vers l’anglais. »

Toujours la bonne vieille position défensive. On va réagir seulement si l’anglicisation devient criante. Pour le moment, ça ne dérange pas. Ça ne dérange pas que le poids des francophones se trouve miné par la faiblesse du français dans le jeu décisif de l’assimilation.

Oser quoi ? Oser restructurer la société québécoise de façon à assurer l’avenir du français au Québec, en lui attirant sa juste part des transferts linguistiques ? Oser mettre fin au pouvoir d’assimilation disproportionné de l’anglais ? Oser remédier au préjudice démographique que cela cause au français ?

Forget it.

Le gouvernement et le conseil exécutif du PQ en sont venus à conclure, selon Lessard, que rien ne permet d’affirmer que le fait de rendre obligatoire pour les non-anglophones la fréquentation des cégeps francophones changerait quoi que ce soit aux transferts linguistiques. Je me rappelle ce genre d’argument du temps où l’on débattait la langue d’affichage B sauf que ça venait des Libéraux ! « Il n’y a pas d’indice suffisant pour démontrer que les choix linguistiques se font pendant les années où les jeunes fréquentent le cégep », résume-t-on. « Ce ne sont que deux années, et on pense qu’à cet âge, les choix linguistiques sont déjà pas mal cristallisés. L’impact sur la langue serait négligeable, mais socialement, l’effet risque d’être négatif », indique-t-on.

La position défensive tout confort. À plat ventre devant le filet.

Derrière ces propos osés se profile le mémoire de Bouchard frère, qu’on peut lire sur le site web de la Commission Larose. Allez voir, c’est pas long.

Autrement dit : chers concitoyens, ne vous fatiguez pas. Faites le point sur les transferts autant que vous voudrez, débattez jusqu’à perdre haleine la pertinence d’étendre au cégep le régime scolaire de la loi 101. Après tout, ce sont deux éléments importants du mandat de la Commission. Mais pour nous qui gouvernons, le point est fait et le débat est clos.

Ça c’est gouverner !

À un jour près, M. Larose confirmait au Devoir qu’il penche en faveur de « poursuivre l’expérience actuelle » et s’oppose à la prolongation des contraintes de la loi 101 jusqu’au cégep. Alors, on fait quoi maintenant ?

On fait des journées thématiques. C’est bon pour susciter de nouvelles subventions. Une journée sur les transferts linguistiques ? Mais voyons donc. On en profite pour faire un remake du coup d’avant Noël avec le gros bouquin du Conseil de la langue française (CLF) dont je vous ai parlé dans ma chronique précédente. Deux journées dos-à-dos pour noyer les « enjeux démographiques » dans l’« intégration linguistique ».

Comme la brique du CLF, ça se prépare d’avance. Puis, paf ! on sature l’actualité en lançant Ils sont maintenant d’ici, rapport euphorisant où le professeur Jean Renaud démontre hors de tout doute que tout va pour le mieux côté intégration des immigrants à la société francophone de Montréal. Et on enterre les 15 minutes consacrées aux données de recensement sur les transferts en multipliant les exposés sur n’importe quoi, du sort douloureux de la minorité anglaise au rapport réchauffé sur la langue d’usage public, comme si ces thèmes avaient une quelconque crédibilité, en passant par les élucubrations habituelles de Jacques Henripin.

Inviter ce dernier à entretenir les commissaires de ses supputations erronées ? Lui qui, depuis des lustres, ne se tient plus au fait de la recherche en démographie linguistique ? L’art de noyer le poisson. Croyez-le ou non, Henripin a encore sorti sa rengaine voulant que le poids des francophones est toujours à la hausse au Québec et à Montréal. En vérité, les recensements de 1991 et 1996 indiquent, depuis 1986, une baisse régulière du poids des francophones soit, pour l’ensemble de la décennie en cause, d’un point de pourcentage dans la province et de 1,6 dans la région métropolitaine.

Cette fois notre démographe national - de quelle nation, je vous le demande ? - a reçu la bénédiction de Victor Piché, directeur du département de démographie à l’Université de Montréal. L’aveuglement idéologique de ces grands pontes est tel qu’ils ne peuvent même plus témoigner correctement de la composition de la population selon la langue maternelle. C’est à se demander ce qu’ils ont bien pu apprendre à leurs étudiants. Décidément, tout était bon pendant ces deux journées pour détourner notre attention des vrais enjeux.

L’Opération rapport Renaud a-t-elle permis au ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration et à ses chercheurs subventionnés de réussir leur manipulation des États généraux ? Après la présentation du rapport, on se levait à qui mieux mieux pour réclamer qu’on cesse d’employer des mots inconvenants comme « allophone » (personne de langue maternelle autre que française ou anglaise) ou comme « francotrope » (allophone ayant en commun avec les francophones une langue maternelle latine ou une histoire coloniale française). Qu’on ne parle plus d’assimilation ou, même, de transfert linguistique. La rectitude et la censure s’autocongratulaient.

À tout le moins, on peut dire que la Commission Larose s’est laissé organiser.

Un coup d’oeil sur le rapport Renaud suffit pour comprendre pourquoi ses sujets se sont si bien intégrés à la société de langue française. C’est à cause du profil ethnolinguistique atypique de son échantillon. Celui-ci comptait au départ 839 immigrés allophones dont les deux tiers étaient des francotropes, originaires par exemple d’Amérique latine, du Liban, de Haïti ou du Vietnam, et qui s’intègrent plus facilement à la population de langue française qu’à celle de langue anglaise. À la fin de la période d’observation de dix ans, l’échantillon initial s’était effrité à 371 allophones seulement, dont trois sur quatre étaient des francotropes. Avec des comportements linguistiques bien francophones à l’avenant. Ça frise la fumisterie.

C’était grande pitié de voir ensuite tous ces professionnels du haut savoir - ou serait-ce du haut avoir - solliciter de quoi bricoler d’autres études et indicateurs de boutique.

Comme l’a si bien dit Pierre Bourgault : personne n’est jamais mort pour la langue, mais il y en a beaucoup qui en vivent !

Quant à la question du cégep français, les données de recensement montrent clairement que seul le passage à l’école primaire ou secondaire hausse de façon significative la part du français parmi les transferts linguistiques consentis par les jeunes allophones. Cela stoppe net lors du passage au collégial. Plus précisément, si l’on suit sur une période de cinq ans l’évolution linguistique de la cohorte de jeunes montréalais âgés de 10 à 14 ans en 1991 et de 15 à 19 ans en 1996, on compte en fin de période 1500 transferts supplémentaires à l’anglais, contre zéro au français.

Comment ça ? N’y a-t-il aucun allophone d’âge collégial qui se francise ? Si. Seulement, un nombre équivalent de jeunes francophones du même âge s’anglicisent. Sans doute au cégep anglais. C’est clair comme de l’eau de roche. Pour connaître l’incidence du libre choix de la langue d’enseignement au collégial, pas besoin d’attendre encore cinq ans, Monsieur Bouchard... euh, Monsieur Landry. Ni de dépenser encore des centaines de milliers de dollars pour concocter un autre indicateur ou rapport bidon.

La Commission Larose osera-t-elle au moins porter à l’attention générale les faits sur les transferts linguistiques avant d’arrêter sa recommandation définitive quant au cégep en français ?

(http://web.archive.org/web/20060113013827/http://www.action-nationale.qc.ca/01-3/castonguay-transfert.html)