J'ai choisi l'indépendance

De La Bibliothèque indépendantiste
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J'ai choisi l'indépendance
1961



À MA FEMME,
CHARLOTTE,
DESCENDANTE DES SURVIVANTS
DE LA DÉPORTATION DES ACADIENS

Introduction

La pensée nationale des Canadiens français m'a toujours semblé ambiguë; la plupart de ceux qui défendent nos intérêts restent indécis devant la question suivante: la nation canadienne-française existe-elle? Selon la réponse que nous donnons, notre activité politique et patriotique sera centrée sur l'État du Québec, ou inversement sur le Canada et le gouvernement fédéral. Si la "nation" canadienne existe, la nation canadienne-française n'a jamais existé ou n'existe plus, ni en théorie ni en pratique. Si quelqu'un trouve même très beau de pouvoir "créer" une nouvelle nation biethnique, binationale, bilingue et bicéphale, il se mettra bientôt à mépriser la petite nation canadienne-française. Les deux concepts s'excluent.

Les conséquences de l'une ou de l'autre orientation sont considérables: si la nation canadienne-française existe véritablement, il faut lui accorder le droit à l'autodétermination, ne serait-ce que comme concession théorique, et alors la souveraineté du Québec peut au moins apparaître comme une chose bonne en soi mais impossible à réaliser, selon ce que pensent certains; alors que d'autres, notamment la nouvelle génération laurentienne, proposent l'indépendance du Québec comme solution nécessaire et possible.

En revanche, si la "nation" canadienne existe, est qui est loin d'être prouvé, et ce que l'histoire récuse tout autant que la sociologie et le droit international, il devient capital de penser le Canada comme un tout, d'accepter le gouvernement unitaire, de travailler à la création d'une société nouvelle qui sera, en même temps, une nation unique en son genre mais dont on ne mettra jamais plus l'existence en question. Dans ce cas, le "séparatisme" se présentera comme une folie, une utopie, une extravagance de quelques têtes chaudes et de quelques fanatiques qui auront bien le temps de changer d'idée.

Les tenants de la "nation" canadienne ont une conception géographique de la nation; ils oublient qu'une nation doit être culturellement homogène, que les valeurs spirituelles et morales ne peuvent s'accommoder de l'à peu près, de la concession permanente: autant vouloir mêler irréductiblement le catholicisme et le protestantisme. Leur désaccord est fondamental et on ne voit pas l'Église catholique devenir très protestante pour rejoindre les Églises protestantes qui seraient devenues très catholiques. Le Melting Pot religieux est aussi inacceptable que celui de la culture ou de la langue.

Une nation aussi nettement découpée, aussi fortement caractérisée que la nation canadienne-française, aussi précisément formée au cours de l'histoire, aussi marquée par son sol québécois, aussi formellement orientée quant à ses valeurs nationales, ne peut, en aucun cas, gagner quelque chose à se dépouiller de ses valeurs, de ses institutions, de ses richesses et de son État national du Québec au profit d'une nation étrangère qui fut sa conquérante et le demeure. Au surplus, si l'on considère que la nation anglo-canadienne possède tous les leviers économiques du Canada, et qu'en plus elle détient tous les pouvoirs politiques majeurs, on aura vite compris la situation intenable de la nation canadienne-française qui se laisserait tenter par l'aventure du bi-nationalisme où elle a tout à perdre et rien à gagner. Cette aventure politique dure depuis près d'un siècle et la nation canadienne-française n'a cessé de lutter désespérément pour garder quelque puissance, pour tenter d'arrêter la marche de l'ogre fédéral, pour se faire reconnaître à travers le Canada comme l'égal de la nation-canadienne anglaise.

Les résultats pitoyables ne nous laissent pas d'autre alternative que de réclamer la souveraineté de la nation canadienne-française que nous appelons laurentienne, pour bien la distinguer de l'autre nation qui vit au Canada, ou plutôt qui règne en maître incontesté au Canada. Le progrès de l'idée pancanadienne constitue un danger permanent pour la nation canadienne-française; déjà nous sommes appelés des Canadiens de langue française ou des Canadiens d'expression française: nous sommes en passe de devenir des Canadiens tout court. C'est ce que nous apprennent, tous les jours, les pontifes du néofédéralisme, les hommes politiques de toute couleur, les journaux à la solde des partis, et toutes les officines de propagande du gouvernement fédéral, en passant par les postes de radio et de télévision, au service de la nouvelle "nation" canadienne.

Une forte et vive réaction s'est dessinée depuis la fondation de l'ALLIANCE LAURENTIENNE, le 25 janvier 1957, alors que de jeunes patriotes canadiens-français ont pris la relève de leurs aînés. Paul Bouchard et son journal LA NATION avaient combattu de 1935 à 1939; la guerre mit fin à leurs activités et l'on n'entendit plus parler d'eux pendant près de vingt ans. Profitant de ce long silence, les forces assimilatrices ont accompli leurs méfaits, la nation laurentienne, par malheur, s'étant trouvée sans intellectuels "souverainistes". On avait bien une bonne quantité de patriotes, tantôt canadiens-français, tantôt pancanadiens, le plus souvent fédéralistes mais jamais "séparatistes", comme ils disent. La sauvegarde de l'autonomie provinciale occupait tous leurs loisirs et répondait à toutes leurs ambitions. C'est ainsi que la Commission royale d'enquête sur les problèmes constitutionnels, instituée en 1953, n'a reçu aucun rapport proposant l'indépendance du Québec sur les quelques centaines soumis.

Mais l'autonomie du Québec, cheval de bataille d'un parti politique, s'enlisait dans le verbialisme le plus désuet, et la jeunesse exigeait de l'action radicale. Toute une élite avait pratiquement abandonné les principes de l'autonomie du Québec pour se jeter à corps perdu dans la vague sentimentalité du pancanadianisme. On a vu des doyens de faculté des sciences sociales prôner les vertus magiques de la "nation" canadienne, des hommes politiques sérieux se laisser gagner à l'autonomie "progressive" qui faisait du Québec "une province comme les autres": c'était le beau temps des centralisateurs qui profitaient de toutes les occasions pour affaiblir les quelques pouvoirs qui restaient entre les mains du gouvernement québécois. On se sentait impuissant devant la montée du gigantisme fédéral; le colosse dévorait tout, ne respectait rien, et les victimes se contentaient de lancer des plaintes qui ne parvenaient à émouvoir personne.

La jeunesse constata le désarroi de la situation: un État du Québec moribond, qui se cherche et résiste négativement, des partis politiques gagnés aux causes les plus néfastes pour le Canada français, des intellectuels payés par le gouvernement fédéral pour répandre le désespoir chez les nôtres et pour lancer les slogans du grand Canada bilingue et biethnique. Toute cette propagande mensongère atteignait les masses quotidiennement: rien ne s'opposait efficacement aux discours de nos soi-disant chefs de file. Nous étions hypnotisés par la force du gouvernement fédéral. Le Québec nous paraissait bien petit, et la tentation de l'abandonner à son sort, sous le vague prétexte de l'internationalisme et du regroupement des nations, des alliances économiques et de la bonne entente universelle, gagnait les esprits avancés et, à leur suite, toute ce qui se piquait de penser chez nous. Les irrédentistes se cachaient, n'osaient plus élever la voix et, il faut bien l'avouer, les moyens utilisés pour combattre la centralisation, le défaitisme et l'esprit de démission généralisé ne furent pas à la hauteur de la situation.

C'est alors que les Laurentiens vinrent secouer de fond en comble la société québécoise. Nous avons mené un combat de titans pour éveiller les masses, pour dénoncer les mensonges de la propagande, et nous nous sommes mis à analyser scientifiquement le problème de la nation canadienne-française.

Aujourd'hui, après cinq ans de travail acharné, cette poignée de nationalistes canadiens-français de la nouvelle vague peut dire sa satisfaction. Notre société est en effervescence, l'idée de l'indépendance du Québec est discutée partout, les journalistes suivent attentivement les manifestations des groupes souverainistes. Il ne se pas pas de journée sans qu'un adversaire sente la nécessité de nous dénoncer: ministres du gouvernement fédéral, anciens militaires, intellectuels dans de nombreux colloques, politiciens aux idées racornies, étudiants dépaysés, ouvriers anglicisés et toute une bande de scribes qui nichent chez les Canadians, particulièrement dans le Magazine Maclean.

Nous avons acquis la certitude que l'idée de la souveraineté du Québec deviendra la plus grande force idéologique au Québec d'ici quelques années; la situation sera retournée et on peut bien croire, sans passer désormais pour un utopiste, que la proclamation de l'indépendance du Québec, mieux, de la RÉPUBLIQUE DE LAURENTIE, est inscrite dans les lignes de force de notre histoire. Cette solution devient, en tout cas, très plausible et très populaire dans tous les milieux, et on ne voit pas comment on pourrait arrêter la marche victorieuse de l'idée laurentienne.

Dans les pages qui suivent, j'analyse la pensée pancanadienne d'Heri Bourassa, "The Greatest Living Canadian," selon un professeur anglo-canadien (Cf. Hommage à Henri Bourassa, 1952, p. 172). Ma critique de la pensée de Bourassa sucrute surtout son discours Patriotisme, Nationalisme, Impérialisme, prononcé au Gesù le 23 nomvembre 1923 et publié à Montréal la même année. Les pages indiquées à la suite des extraits de la conférence de Bourassa renvoient à la brochure éditée par Le Devoir.

Mon intention est de montrer que Bourassa s'est fourvoyé dans l'impérialisme Canadian après avoir dénoncé comme un forcené et à juste titre l'impérialisme britannique. Il a substitué un impérialisme à un autre. Il n'a jamais été un nationaliste canadien-français, et il n'a jamais cru à la nation canadienne-française. Mieux: il n'a pas même osé prononcer le mot de nation à notre sujet; il s'est contenté de nous appliquer le terme de "nationalité". Ce vocable est encore utilisé de nos jours par ses disciples. Nous avons bien l'air d'une aliénation, et pourtant nous sommes une nation!

Au fond, c'est moins Bourassa que je veux atteindre que les bourassistes; pour abattre leur idole, il suffira d'examiner attentivement sa doctrine pancanadienne et ses féroces dénonciations du nationalisme canadien-français. Toutes ses polémiques reposent sur le mythe de l'unique "nation" canadienne; il a pensé, il a respiré et il a écrit comme si la "nation" canadienne était une réalité, un fait incontestable alors qu'ils s'agit réellement d'une vue de l'esprit sans fondement ni théorique ni pratique. Bourassa a été de la religion pancanadienne; il a nourri une foi indéfectible en la "nation" canadienne, dogme propagé par nos conquérants et auquel plusieurs de nôtres, en dévots impénitents, croient encore. Or, le pancanadianisme n'est pas une religion révélée, c'est tout au plus un souhait, le produit de l'imagination qui veut plier l'histoire à sa fantaisie. Cette conception du Canada ne correspond déjà plus aux nouveaux thèmes politiques qui se dessinent. On sait que le Nouveau Parti Démocratique vient de reconnaître théoriquement l'existence de la nation canadienne-française. J'ai évité, autant que possible, le style byzantin, la réfutation trop scientifique ou trop légale. Je n'ai pas voulu encombrer ce volume de trop de détails. On les trouvera dans la revue LAURENTIE qui déborde de preuves de notre asservissement et qui étudie nos problèmes d'une façon plutôt technique. La masse des Canadiens français doit être renseignée. C'est à elle que je m'adresse ici. On nous a assez reproché de n'être que des intellectuels de salon pour que maintenant cette accusation tombe d'elle-même. Nous voulons aller au peuple, car c'est lui, en définitive, qui jugera de la valeur de nos raisons de croire en la Laurentie. Je m'adresserai aux intellectuels dans un autre volume à caractère historique, philosophique, plus positif. Et je me réserve également le plaisir d'exposer et de résoudre théoriquement tous les problèmes économiques relatifs à notre indépendance. Pour le reste, je fais confiance aux hommes d'action que notre génération produira et qui, eux, nous conduiront à l'émancipation totale.

Puisse cette ouvrage ouvrir les yeux à plusieurs et convaincre les nôtres de la nécessité d'une nouvelle orientation de notre collectivité nationale. Il nous a toujours manqué une véritable mystique nationale; les Laurentiens nous l'offrent depuis plusieurs années. Ceux qui nous lançaient au début leurs sarcasmes ont dû changer de tactique et nous prendre au sérieux. Nous serons bientôt considérés comme des gens normaux et ce seront nos adversaires qui passeront pour des avaleurs de couleuvres. On comprendra sans difficulté que les Laurentiens n'entretiennent aucune haine envers les Anglo-Canadiens. Ils s'en prennent au régime confédératif.

Les destinées du Canada français et plus particulièrement du Québec doivent galvaniser tous nos efforts futurs jusqu'au jour où la victoire finale nous sera accordée. Nous n'avons plus l'impression de prêcher dans le désert mais bien plutôt à une foule singulièrement attentive qui surveille nos activités, en attendant de nous faire entièrement confiance. Nous espérons la mériter pleinement jusqu'à ce que tout Canadien français puisse dire fièrement: LAURENTIE, MA NOUVELLE PATRIE!


Dans son numéro spécial consacré à son cinquantenaire, le Devoir du 29 janvier 1960 publiait un texte d'Henri Bourassa titré: SÉPARATISME ET NATIONALISME. Si la direction du journal a cru bon de déterrer un extrait d'une conférence prononcée au Gesù il y a trente-huit ans, c'est que le mouvement laurentien gagne peu à peu du terrain et qu'il inquiète les bons esprits pancanadianisants. À ma connaissance, on n'a jamais répondu à ces arguments de Bourassa, et il me semble que nous nous devons de considérer ces objections à la lumière de notre époque. Bourassa a bien pu avoir raison en 1923, ce qui est loin d'être sûr, mais en 1961 aurait-il raison de soutenir que la création d'un État libre du Québec est un rêve? Évidemment on. J'analyserai toutes ses objections une à une. Son texte sera donc découpé et il précédera en caractère italique mes réponses.

Le Québec, ma patrie

"Quoi qu'il advienne, l'ensemble de la Confédération canadienne n'en est pas moins, pour l'heure, la patrie de tous les Canadiens, la nôtre comme celle des Anglo-Canadiens; elle impose à tous les mêmes devoirs, elle commande le même amour, non pas peut-être de coeur, mais de conscience, d'honneur et de raison. Là-dessus, je tiens à être précis" (p. 36).

Le Canada, affirme Bourassa, est la patrie de tous les habitants du Canada, au même titre et pour les mêmes raisons. ...

La Laurentie est-elle réalisable, souhaitable?

Mettre fin à la domination du capitalisme étranger

N'attendons pas le consentement des Canadians

Le refus des Canadiens français

La protection des minorités canadiennes-françaises

Le sens des proportions

Les réalités du présent

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S'opposer au gouvernement fédéral

Sommes-nous innocents?

La proie et l'ombre

De fructueux lendemains

Pourquoi resterions-nous dans la Confédération?

Les alliances naturelles

Le pancanadianisme dépassé