Discours de Louis-Joseph Papineau à l'Assemblée de St-Laurent

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Discours à l'Assemblée du comté de Montréal, tenue à St-Laurent, le 15 mai [1837], pour prendre en considération les résolutions coercitives du ministère anglais contre les droits et les libertés de cette colonie.
dans La Minerve, 25 mai, 1837



Concitoyens,

Nous sommes réunis dans des circonstances pénibles, mais qui offrent l'avantage de vous faire distinguer vos vrais d'avec vos faux amis, ceux qui le sont pour un temps, de ceux qui le sont pour toujours. Nous sommes en lutte avec les anciens ennemis du pays. Le gouverneur, les deux conseils, les juges, la majorité des autres fonctionnaires publics, leurs créatures et leurs suppôts que vos représentants ont dénoncés depuis longtemps comme formant une faction corrompue, hostile aux droits du peuple et mue par l'intérêt seul à soutenir un système de gouvernement vicieux. Cela n'est pas inquiétant. Cette faction quand elle agira seul est aux abois. Elle a la même volonté qu'elle a toujours eue de nuire, mais elle n'a plus le même pouvoir de le faire. C'est toujours une bête malfaisante, qui aime à mordre et à déchirer, mais qui ne peut que rugir, parce que vous lui avez rogné les griffes et limé les dents.

[Applaudissements.]

Pour eux les temps sont changés, jugez de leur différence. Il y a quelques années lorsque votre ancien représentant, toujours fidèle à vos intérêts et que vous venez de choisir pour présider cette assemblée, vous servait au parlement, lorsque bientôt après lui j'entrais dans la vie publique en 1810, un mauvais gouverneur jetait les représentants en prison; depuis ce temps les représentants ont chassé les mauvais gouverneurs. Autrefois, pour gouverner et mettre à l'abri des plaintes de l'Assemblée les bas courtisans ses complices, le tyran Craig était obligé de se montrer, pour faire peur, comme bien plus méchant qu'il n'était. Il n'a pas réussi à faire peur. Le peuple s'est moqué de lui, et des proclamations royales, des mandements et des sermons déplacés, arrachés par surprise, et fulminés pour le frapper de terreur. Aujourd'hui pour gouverner, et mettre les bas courtisans ses complices à l'abri de la punition que leur a justement infligée l'Assemblée, le gouverneur est obligé de se montrer larmoyant pour faire pitié; et de se donner pour bien meilleur qu'il n'est en réalité. Il s'est fait humble et caressant pour tromper. Le miel sur les lèvres, le fiel dans le cœur, il a fait plus de mal par ses artifices, que ses prédécesseurs n'en ont fait par leurs violences; néanmoins, le mal n'est pas consommé, et ses artifices sont usés. La publication de ses instructions qu'il avait mutilés et mésinterprétées; la publication des rapports, dans lesquels l'on admet que cette ruse lui était nécessaire pour qu'il put débuter dans son administration avec quelque chance de succès, ont fait tomber le masque. Il peut acheter quelques traîtres, il ne peut plus tromper des patriotes; Et comme dans un pays honnête le nombre des lâches qui sont en vente et à l'encan ne peut pas être considérable, ils ne sont pas à craindre. La circonstance nouvelle dont nos perpétuels ennemis vont vouloir tirer avantage, c'est que le Parlement britannique prend parti contre nous. C'est que le ministre ne comptant pour rien les justes plaintes du peuple, n'a de sensibilité et de prédilections que pour des employés corrompus; qu'il veut voler votre argent pour payer vos serviteurs que vos représentants ont refusé de payer parce que d'après l'avis de cette autorité compétente ils ont été paresseux, infidèles, incapables; qu'ils ont voulu renvoyer de votre service parce qu'ils vous faisaient du tort; qui insolemment sont restés chez vous malgré vous, et qui, lorsque vous leur refusez un salaire qu'ils n'ont pas gagné, s'associent avec des voleurs étrangers pour vous dérober. Cette difficulté est grande, mais elle n'est pas nouvelle, mais elle n'est pas insurmontable. Ce parlement tout-puissant, les Américains l'ont glorieusement battu, il y a quelque années. C'est un spectacle consolateur pour les peuples que de se reporter à l'époque de 1774; d'applaudir aux efforts vertueux et au succès complet qui fut opposé à la même tentative qui est commencée contre vous. Ce parlement tout-puissant, son injustice nous a déjà mis en lutte avec lui, et notre résistance constitutionnelle l'a déjà arrêté. En 1822, le ministère s'était montré un instrument oppresseur entre les mains de la faction officielle du Canada, et les Communes s'étaient montrées les dociles esclaves du ministre en l'appuyant dans sa tentative d'union des deux provinces par une très grande majorité. Le ministère Melbourne est également l'instrument oppresseur que fait jouer à son service la même faction officielle et tory du Canada; et la grande majorité des Communes, dans une question coloniale qu'elles comprennent peu et à laquelle elles n'attachent aucun intérêt, est encore la tourbe docile qui marche comme le ministre docile la pousse. Les temps d'épreuve sont arrivés; ces temps sont d'une grande utilité au public. Ils lui apprennent à distinguer ceux qui sont patriotes aux jours sereins, que le premier jour d'orage disperse, ceux qui sont patriotes quand il n'y a pas de sacrifices à faire, de ceux qui le sont au temps des sacrifices; ceux dont le mérite consiste à crier: « Huzza, nous sommes avec la majorité, mais si elle ne réussit pas bien vite, nous nous tiendrons à l'écart et tranquilles », et ceux qui disent: « dans la bonne et dans la mauvaise fortune, nous sommes pour le peuple; s'il est maltraité nous ne nous tiendrons pas à l'écart; nous ne serons pas tranquilles, nous le défendrons à tout risque: nous sommes pour les principes, et s'ils sont violés, nous les maintiendrons contre quelqu'autorité que ce soit, tant que nos cœurs battront; tant que nous bouches pourront proclamer la vérité, pourront exhaler la plainte et le reproche. »

[Applaudissements.]

Vous comprenez l'importance du sujet qui nous réunit. Nous ne sommes pas ici pour nous livrer à des élans d'une juste indignation, à de brûlants appels à la vengeance et aux passions, qui ne seraient que trop justifiables, nous sommes pour discourir ensemble, familièrement, sans réserve ni réticence, sans dissimulation, ni ménagement pour des hommes pervers et des mesures iniques, pour nous occuper de nos communs intérêts; pour mesurer quelle est l'étendue du mal que l'on nous veut faire; quels en sont les odieux auteurs; quels obstacles nous pouvons opposer, quelle punition nous leur devons infliger.

L'étendue du mal que l'on nous veut faire, c'est l'insulte et le mépris avec lesquels un gouvernement persécuteur repousse toutes et chacune des réformes que vous avez demandées! c'est de vous préparer un avenir plus mauvais que ne l'a été un passé déjà insupportable: C'est enfin de vous voler, de vous arracher le fruit de vos sueurs, de de vos travaux pour soudoyer et rendre plus insolents vos serviteurs, dont vous n'avez déjà que trop de raisons de vous plaindre.

[C'est vrai.]

Dans tous les temps, les Anglais, depuis qu'ils ont le système représentatif, ont professé la doctrine, et l'ont scellée de leur sang, que leurs rois et leurs officiers n'avaient droit à recevoir aucun autre salaire, aucun autre subside, que ceux auxquels ils auraient donné leur libre consentement exprimé par leurs représentants. Et ont toujours cru qu'il était également juste de tirer l'épée contre celui qui violait la loi, en cherchant à briser la porte de leur maison pour les dérober, et contre ceux qui violaient la loi en cherchant à briser les portes du dépôt de l'argent public, dont ils avaient remis les clefs à leurs représentants. Dans cette juste et légitime défense de leurs propriétés, ils ont quelquefois chassé du royaume les gouvernants qui violaient des droits aussi chers, quelquefois ils leurs ont tranché la tête. Tout cela était pour établir un droit que lord Russell, à l'instigation de lord Gosford, s'apprête à violer à notre égard. L'histoire nous dit que les Anglais ont bien fait de haïr leurs oppresseurs jusqu'à les emprisonner, à les chasser, à les tuer; nous ferions donc bien de haïr les nôtres jusqu'à les prier, au moins pour leur honneur et notre bonheur, de faire voile au plus vite.

Les électeurs de ce comté ont presque toujours bien rempli leur devoir: vous le remplissiez en choisissant pour votre représentant il y a près de quarante ans, un homme aussi ferme et intègre que l'est notre respectable président, et depuis lui presque toujours des hommes qui, tels que ceux qui vous représentent aujourd'hui, lui on ressemblé. Si quelquefois il y a eu erreur, si des candidats sont venus aux hustings avec des protestations de dévouement si plausible que vous ayez été tentés de les choisir sur parole, et que plus tard vous ayez aperçu de la différence entre leurs promesses et leur conduite, vous n'avez pas été lents à en faire justice. Vous avez vu que toujours celui qui se rapprochait des gouverneurs s'éloignait du peuple, parce que les gouverneurs ont tous eu la manie de se placer en une opposition inconstitutionnelle contre la majorité de la Chambre. Ils ont tous voulu être les maîtres, quand ils ne sont que les serviteurs; nous parquer et nous pousser quand ils doivent nous suivre. Aucun d'eux n'est jamais venu, aucun d'eux ne viendra jamais, pour s'intéresser vivement à votre bien-être, mais bien pour avancer le sien. Ils voient bien vite que la plupart des employés publics leurs ressemblent si fort sous ce rapport, qu'ils ne sont jamais longtemps sans devenir bons amis et faire cause commune contre vous et vos représentants. Sous ce point de vue, le dernier venu n'est pas meilleur que ses devanciers. Tout le mal plus grand que par le passé, dont vous menace maintenant le ministre, le gouverneur actuel l'a conseillé. Il a même demandé que l'on vous en fit beaucoup plus, mais le ministre ne seconde pas pleinement son ardeur à vous nuire, et ne propose pas l'abolition sollicitée du statut de la 1ère année de Guillaume IV. Il y a des hommes qui ont ci-devant soutenu la cause du pays contre tous les autres gouverneurs, qui leur ont fait la guerre pour de beaucoup moindres fautes et qui, déserteurs de la cause du peuple, sont aujourd'hui aux pieds de lord Gosford et trouvent bon chez lui ce qu'ils ont trouvé mauvais chez ses prédécesseurs. Tant qu'ils n'avaient que ses belles paroles et ses fausses promesses, on pouvait leur pardonner leur erreur, mais depuis que ces écrits plus forts que ces propos sont connus, il faut avoir une aussi forte dose d'amour propre, pour ne pas revenir d'un aussi étrange aveuglement, qu'une faible dose d'amour du pays.

Les autres gouverneurs ont comme celui-ci violé le dépôt du revenu public. Ils le faisaient avec quelque gêne par la crainte vague, quoiqu'éloignée, d'accusation par les Communes. Celui-ci travaille à renverser cette dernière et faible barrière à la rapacité de ceux qui laisseront comme lui, leur pays, leur famille, leurs plaisirs, pour l'amour de vous, diront-ils, pour l'amour de votre argent, vous dis-je. Il ne restera plus aucun frein à l'impudeur avec laquelle les gouverneurs se sont presque tous montrés comme des aventuriers nécessiteux, par leur hardiesses à violer la loi pour se payer leurs appointements en les dérobant. Je ne connais pas un autre pays où un pareil crime se soit jamais continué aussi longtemps avec impunité. La morale publique est outragée et perdue, si les hommes honnêtes ne flétrissent pas par leur mépris fixe et ouvert, n'isolent pas par leur détermination de n'avoir avec eux aucun rapport même de civilité; ne dénoncent pas comme ennemis du Canada, tous ceux qui, du premier au dernier, du gouverneur au connétable, recevront l'argent du pays, d'après la disposition, soit d'un statut anglais, soit de toute autre autorité que celle de vos représentants.

L'argent qu'a pris lord Gosford, l'argent qu'il fait prendre par l'entremise de lord Russell, l'argent que celui-ci ne lui permet pas de prendre quoiqu'il ait demandé de le faire, sont des motifs pour lesquels si vous avez eu raison de haïr une fois Dalhousie et Aylmer, vous aurez trois fois raison de haïr Gosford; pour lesquels, si vous avez accusé ceux-là avec assez d'unanimité, de force, et de persévérance, pour vous en voir délivrés après de longues années de souffrance, vous devez accuser celui-ci avec assez d'unanimité, de force et de persévérance pour vous en voir délivrés sous un court délai. Et déjà en effet il aurait dû laisser la province depuis longtemps, s'il y avait eu franchise et fixité dans la déclaration qu'il répétait à tous venants, lors de son arrivée, que s'il ne gagnait pas la confiance du peuple, s'il n'y effectuait pas de grande réformes, s'il ne faisait pas renaître le contentement, il n'attendrait pas l'arrivée d'une frégate pour mettre à la voile, mais se jetterait dans le premier vaisseau marchand qui laisserait Québec. L'espérance est vivace chez cet homme, s'il s'imagine que les mesquines réformes qu'il a, disent des flatteurs, la bonne intention de tenter, quand il sortira de sa longue léthargie, seront propres à lui mériter de grandes actions grâces. Nous connaissons le mal positif qu'il a fait, par les réponses de lord Russell à nos demandes de réforme; le bien qu'il médite est encore un impénétrable mystère ou une fiction gratuite.

Vous avez demandé dans la proportion de 90 000 contre 10 000 signataires que le Conseil législatif fut électif; non, dit l'écho de lord Gosford; que le Conseil électif fut responsable aux Communes du pays; non, qu'un tribunal digne de la confiance publique connût des malversations des juges et autres employés prévaricateurs; non, que les usurpations du Parlement britannique par ses actes de législation interne pour nous, fussent réparés par l'abrogation de ces actes; non. J'en aurais jusqu'à demain à détailler ainsi toutes vous justes demandes, et tous les refus que la haine et l'intrigue vous ont préparés, par l'entremise de la plus inutile commission qui ait jamais été imaginée. Eh bien! tous ces refus injustes changent-ils votre volonté d'avoir ces réformes? Non. Donnent-ils à l'homme qui les a conseillés des titres à notre estime, à notre argent? Non. Quand il partira qu'emportera t-il donc, notre argent? Oui; notre bonne opinion? Non. Il y a longtemps qu'il prévoit que telle sera l'issue d'une administration qui dans sa première année, avait déjà produit pour vous plus de fruits amers, pour lui plus d'humiliations, que n'en a dévorées son odieux prédécesseur pendant toute la durée de la sienne. Il les a reçues à pleines mains et de tous les partis et de toutes les nuances d'opinion. Pour la part du peuple, il a laissé périr dans le Conseil législatif des bonnes lois en foule, sans le plus léger effort pour les préserver. Vous avez connaissance de ses longues lamentations, de ses cuisants chagrins, de ses injustes reproches à vos représentants, parce qu'ils n'ont point donné votre argent à lui ni aux autres employés qu'ils jugeaient ne pas le mériter. L'on ne peut avoir d'entrailles de mère plus tendres et plus brûlantes, d'exquise sensibilité, pour la gêne de la horde officielle, ni ne cœur plus glacé aux souffrances du peuple. Y a-t-il parmi nous tous un seul homme, qui ait quelque connaissance qu'il soit jamais échappé des lèvres de lord Gosford, l'expression du plus faible regret, du plus léger reproche, sur le refus inconstitutionnel du Conseil législatif du bill d'appropriation de quarante mille louis pour l'avancement de l'éducation primaire? Non. Un sentiment de haine effrénée, de persécution brutale, et d'ignorance la plus abrutissante, saturent les têtes, ulcèrent les coeurs de ceux qui ont pu se résoudre à fermer les écoles à quarante mille enfants assidus à s'y rendre, et disposés à en profiter. Exécration à jamais pour les détestables persécuteurs du peuple, qui lui ont fait ce mal irréparable! Gosford et ses associés sont leurs confédérés. Pas un mot d'improbation contre cette énorme injustice, qui pèse, non sur le luxe de quelques officiels trop chèrement rétribués, mais sur un peuple tout entier; sur l'une des premières nécessités des classes industrielles. Au contraire, dans les rapports des Commissaires, dans leur gros livre qui bientôt ne sera connu que sous un titre déjà fameux, et sera appelé le livre des trois imposteurs, l'on cherche à pallier l'atrocité de cette inconduite. Le conseil, dit-on, par la crainte qu'il ne restât pas assez d'argent pour le paiement des arrérages, et d'après la considération de quelques vices actes de la loi, n'a pas concouru à ce bill. Cette coupable approbation aura de coupables approbateurs, qui pour l'excuser prétendront que le gouverneur par respect pour l'indépendance du Conseil, ne devait pas s'intéresser à y faire adopter cette mesure. Quelle servile adulation chez ceux qui, imaginant cette futile et captieuse plaidoirie, ne réclament pas contre les reproches déplacés que s'est permis le même homme vis-à-vis de la Chambre d'assemblée! Lequel des deux corps donc est constitué pour être indépendant du gouverneur, et lequel pour l'abriter et lui obéir? Le Conseil n'est institué que pour être ployé, broyé et trituré, comme le voudront l'intérêt et la fantaisie du moment chez le pouvoir, qui l'a créé, sous la condition implicite de le trouver toujours obéissant et subordonné à ses fins. Le Conseil doit être guidé par un instinct qui l'enchaîne à une suite certaine d'actions, que doit prévoir et prédire la puissance qui le tira du néant. Quand donc un gouverneur aurait dit à ces automates: « Le cœur, si vous en avez, est chez vous tellement aride qu'il ne vous dit rien en faveur de la jeunesse entière de ce pays, soit. L'intérêt de vos maîtres ne permet pas que vous les livriez aux reproches, à la honte qui, dans le dix-neuvième siècle, les avilira, si par les aboiements de leurs chiens couchant contre les écoles, ils paraissent être les fauteurs d'une ignorance plus crasse que celle du neuvième siècle, d'une ignorance égale à celle de la plupart d'entre vous. » Cet avis, n'eût été qu'une caressante gronderie, moins humiliante pour eux que les tortures qui leur ont quelquefois arraché quelque loi favorable au pays, telle que celle d'une appropriation annuelle sous sir Francis Burton, malgré leurs refus antérieurs, ou quelque contradiction bien tangible dans les vingt quatre heures, telle que la taxe sur les émigrés, rejetée un jour comme inconstitutionnelle et adoptée le lendemain comme voulue par les ministres! Combien il faudrait n'avoir pas le cœur canadien, quelque nom que l'on portât, pour se faire le parasite et le suisse du château chargé pas sa consigne de le défendre à tort et à travers, envers et contre tous, tant qu'il sera passagèrement occupé par lord Gosford, pour exécuter son mutisme à l'occasion du bill des écoles; pour avoir lu son apologie du Conseil à ce sujet, et ne pas admettre depuis ce temps au moins, pour ne pas proclamer hautement, que chaque journée du séjour prolongé de cet homme dans le pays, est une insulte et un cruel fléau dont nous ne pouvons demander notre délivrance avec trop d'ardeur. Que d'autres le flattent mensongèrement, comme il les aime et les abreuve traîtreusement, pour les avilir, vous ne lui pardonnerez jamais, en songeant qu'il y a des centaines d'enfants organisés par la providence pour le dépasser en talents et en connaissances, que sa froide indifférence, ou ses distractions des affaires, ou son abandon au plaisir, auront privés des bienfaits de l'instruction, parce qu'il n'a pas su, ou n'a pas voulu faire un pas, ni dire un mot, pour que le Conseil donnât votre argent, non le sien, au soutien de vos écoles. Le bill des jurés, celui de l'incorporation des villes, la complétion du canal de Chambly, en faveur duquel il n'a pas voulu se donner la peine d'écrire un message de pure forme, de peur de laisser sortir de la caisse quelque parcelle de votre revenu, qu'il était décidé à faire enlever par le Parlement anglais, et une foule d'autres bonnes lois établies sous de mauvais gouverneurs, ont été rejetées sous celui-ci sans qu'il ait fait le moindre effort pour les conserver, ni exprimé le moindre regret de les voir perdues.

Quant aux humiliations qu'il a dévorées, faut-il rappeler les bravades et les défis que lui ont portés les carabiniers; la quiétude philosophique avec laquelle il peut tous les jours lire et relire la liste des trois cents enrôlés de cette folle te coupable association, liste qu'ils lui ont fournie, pour le livrer à la risée puisqu'il n'a rien fait contre aucun d'eux, pas même contre ceux qui, portant des commissions d'officiers de paix, étaient si bien préparés à la guerre? la moquerie authentique avec laquelle la magistrature l'a informé qu'elle mettait à néant sa proclamation, vu qu'il n'y avait plus de carabiniers, mais une bien simple et innocente légion britannique; le petit mouvement d'amour propre qu'il ressentit pendant un petit moment, quand il a souhaité avoir les noms des magistrats, qui assistaient à cette solennelle délibération, pour, avec la plus dévote mansuétude, les réintégrer quelques jours plus tard sur une nouvelle commission de la paix, et prouver que pour eux, il aurait toujours dans le cœur le pardon des injures, et du sang innocent qu'ils ont tyranniquement fait répandre. Faut-il rappeler qu'après avoir eu l'appui d'une partie nombreuse des membres de la chambre, qui ont cru à la sincérité de ses promesses de réforme, qui dans l'attente qu'il avait fait naître, et qu'il n'a pas réalisée, de le voir améliorer le personnel des deux conseils, séparer les emplois accumulés, punir les fonctionnaires délinquants, avant de rencontrer de nouveau le parlement provincial, avaient été disposés à l'appuyer en attendant les réformes constitutives, qu'ils ont promis à leurs électeurs de demander et qu'ils ne sont pas, j'espère, disposés à abandonner, comme le dit, mensongèrement sans doute, l'intrigant Gipps, il a perdu en septembre dernier cet appui? Faut-il rappeler qu'il est aiguillonné, par un homme assez peu clairvoyant pour l'avoir engagé à réunir le parlement à cette époque, quand d'après ses instructions, il était libre de ne pas le réunir, s'il ne devait attendre aucun succès de cette démarche, en lui assurant que la minorité était devenue majorité, et que bien d'autres seraient prêts à girouetter tout comme lui, puisqu'il avait bien pu guérir de la démagogie la plus exaltée pour passer au servilisme le plus sincère, et qu'il n'y avait pas à douter qu'il aurait une session et de l'argent? Un aveugle conduisait un aveugle; ils sont tombés dans le fossé; il n'a eu ni session, si argent, il a ainsi exhibé une nullité d'influence qui dépasse celle d'aucun de ses prédécesseurs? Faut-il rappeler qu'il s'est mis hors d'état d'effectuer lui-même avec quelque chance de succès des changements dans le personnel du conseil législatif, pour lui donner quelque titre à la confiance du peuple?

S'il avait pu éblouir et séduire par des nominations au moins équivoques, faites avant que ses dénis de justice et de réformes constitutives, son mépris des principes constitutionnels, en sollicitant l'intervention du parlement impérial, pour vous dérober le revenu public, eussent été connus, il aurait eu quelque moyen de faire tomber dans le piège, d'entraîner dans la maison des incurables, quelques citoyens influents. Mais aujourd'hui que les principes politiques de lord Gosford sont promulgués, quiconque y entre à sa nomination, doit bien comprendre qu'il y va pour appuyer ses doctrines. Sans cette publicité il aurait pu dire comme lord Aylmer, si vous croyez que l'élection du conseil législatif soit nécessaire au retour de la paix et du bon gouvernement, entrez y pour donner plus de poids à cette demande, quand elle sera appuyée par les deux chambres; toute combinaison politique possible, est préférable à leur désunion continuelle. Il est clair, s'il osait l'avouer, que la combinaison politique qui plairait le mieux à ce whig libéral, à ce politique éclairé et profond, serait celle qui le débarrasserait de la Représentation tout entière et pour pour toujours, puisqu'il trouve juste de le dépouiller de son contrôle sur le revenu, sans lequel elle est moins que rien, moins que lui, et aurait moins d'influence sur lui, sur ses successeurs, et sur les employés publics, qu'ils n'en a eu l'automne dernier sur les délibérations de l'Assemblée. Il n'ignore pas que tout ce qu'il y a d'hommes influents et avec des intérêts permanents dans le pays, ont signé des requêtes, insistant sur l'indispensable nécessité de rendre le conseil électif. Il ne peut donc nommer personne de la majorité, qui ne consente, pour entrer dans un corps déjà nullifié par la déconsidération et la défaveur qu'il s'est justement attirées, à faire abjuration entre ses mains, des engagements qu'il avait pris pour le pays avec le pays. Dès lors il troquera toute son influence pour la livrée du conseil. Il faut donc qu'il se rabatte à faire ses choix dans la minorité constitutionnelle, ou dans quelqu'autre minorité obscure, d'hommes qu'il tirera de la torpeur politique dans laquelle ils ont toujours dormi loin de la vie publique, pour les installer dans la pairie canadienne, cette contrefaçon de bas aloi, d'une autre pairie qui elle-même ne vaut que peu. Qu'il en convienne, son administration est finie, son tour est passé, un autre gouverneur est devenu nécessaire pour passer aussi vite que lui, s'il veut étayer le système vermoulu; pour se faire une belle et grande réputation, s'il veut le reconstruire à neuf tel que les vœux, les besoins, la localité de colonies continentales voisines des États-Unis le demandent; tel qu'il puisse soutenir une comparaison favorable avec la structure de gouvernement la plus parfaite, que le génie et la vertu aient encore élevée pour le bonheur de l'homme en société. Le système colonial européen doit être refait et refondu; ou la misère, la paralysie de l'esprit et de l'industrie, les haines et les dissensions en sont le résultat si naturel et si constant, que toutes les colonies ont les motifs les plus urgents d'avancer l'heure de leur séparation. Qui dit colonie, dit pillage et insolence chez les gouvernants, abaissement et pénurie chez les gouvernés. Les États-Unis ne peuvent avoir de colonies. Leur constitution pourvoit d'avance à ce qu'un territoire dès qu'il a 60 000 habitants puisse se constituer en un état libre et indépendant. Il devient le maître et l'arbitre absolu de son sort. Il n'a pas à craindre la nomination d'officiers, qui y seraient envoyés passagèrement, pour s'enrichir au galop, et aller digérer d'énormes richesses mal acquises à mille lieues de distance; pour solliciter du gouvernement général, qu'il intervienne et donne à des monopoleurs étrangers les terres de l'état à un tiers du prix auquel il les vendra aux citoyens résidents; pour qu'il dépouille la législature locale du droit de régler toutes ses dépenses locales quand et comme elle l'entendra; pour qu'il altère et refasse les lois et coutumes locales sans y rien comprendre, et porte l'insécurité dans la jouissance des propriétés et l'incertitude dans l'administration de la justice.

Pour faire la paix, déclarer la guerre, et régler le commerce, le gouvernement général, formé de délégations de chaque état particulier, décide souverainement. À part ces attributions restreintes, il n'a guère plus d'autorité sur le plus faible des États de l'Union, qu'il n'en a sur le plus puissant empire étranger. Quiconque vient s'établir dans une des souverainetés, ne peut avoir, pour la raison qu'il vient d'ailleurs, la prétention insultante pour la société à laquelle il vient s'agréger, de dire, pas même d'imaginer, qu'une différence d'origine lui puisse donner droit à des privilèges spéciaux; qu'il faut pour sa protection modifier les institutions que veut l'immense majorité native; et mille autres extravagances que tous les Européens vont débiter dans toutes les colonies. Ce gouvernement est si bien réglé que les treize provinces toutes désunies et en querelles incessantes, quand elles étaient anglaises, se sont étendues sur un territoire quadruple de celui qu'elles occupaient; ont quintuplé leur population, doublé le nombre de leurs États et formé vingt six souverainetés indépendantes groupées autour du gouvernement général, et qui se gouvernement avec infiniment plus de facilité, d'harmonie, d'ensemble, de puissance, de prospérité, qu'elles n'en ont jamais connus, qu'elles n'en auraient jamais pu connaître, si elles fussent demeurées dans la dépendance et la servitude coloniale. Ce gouvernement est si bien réglé par les limites connues et définies des attributions distinctes et séparées de toutes les autorités, qu'un égal nombre d'États nouveaux additionnels, un continent entier, pourraient s'y adjoindre et s'y confédérer, sans qu'il en résultât le plus léger trouble dans le mouvement uniforme et le progrès continu de l'ensemble. Des accessions successives d'un état, puis d'un autre, n'y peuvent créer un hors d'œuvre n'y glisser une pièce déplacée qui vienne heurter celles qui se meuvent dans une orbite régulière, dont rien ne les peut faire sortir. La place de qui que ce soit qui voudra s'y réunir est marquée d'avance: c'est celle de l'égalité et de la fraternité, avec les plus libres associations qu'il y ait au monde.

[Applaudissements.]

Cette union est séduisante, et la nôtre dans le moment actuel est humiliante. Est-ce à dire que de suite nous devons répudier l'une pour épouser l'autre? Doucement! Si cet arrangement était le seul qui pût rétablir la paix du ménage, oui, il y faudrait avoir recours. S'il est bien clair et bien établi, que la détermination de lord Russell est un plan fixe et arrêté auquel il donnera suite à l'avenir, à moins que nous ne nous soumettions à toutes ses exigences; que les colonies sont conservées, non dans l'intérêt réciproques des peuples, mais dans celui du patronage et de la corruption ministérielle, l'histoire des anciennes plantations recommencera avec le même résultat inévitable. Les ministres whigs de Guillaume quatre ne le veulent pas plus, ce résultat, mais ne le préparent pas moins, que les ministres tories de George trois s'ils veulent faire revivre les prétentions tyranniques, que les immortels auteurs de la déclaration d'indépendance ont suffisamment réfutées, et que l'épée de Washington semblait avoir tuées et détruites, avec des circonstances assez humiliantes à l'orgueil aristocratique du parlement anglais pour laisser aux colons l'espoir qu'il n'entreprendrait jamais de les ressusciter. Il a dit qu'il ne taxerait jamais les colonies, en vue d'y créer un revenu; qu'il n'entreprendrait jamais d'approprier leur revenu. Lord Gosford et lord Russell l'ont invité à mentir, à fausser ses promesses, et ils ont trouvé des hommes disposés à mentir, à forfaire à l'honneur. Il est vrai qu'ils leur ont assuré que la même détermination, si elle était emportée par une grande majorité, nous paraîtrait très sage; que si elle n'était emportée que par une faible majorité, elle nous paraîtrait très folle. Il est toujours facile à un ministère noble appelé whig, d'avoir un point de rapprochement avec une opposition noble appelée tory. Il ne s'agit entr'eux que d'un peu plus ou d'un peu moins d'art, dans le choix des moyens les plus propres à restreindre dans les bornes les plus étroites, les prétentions des peuples à participer à l'exercice du pouvoir. Celui des Canadas, auront-ils dit, dépasse les bornes dans lesquelles vous et nous voulons le renfermer. Passez nous une injustice contre lui, nous vous en passerons une contre quelqu'autre colonie. Cela fortifie toujours les bons principes de suprématie du parlement impérial, en faveur des amis que vous et nous y enverrons alternativement pour en faire l'exploitation. D'ailleurs, il n'y a aucun risque. Nos commissaires nous assurent que nous pouvons tout oser contre ces étrangers que nous n'avons jamais bien gouvernés, qui en conséquence ne peuvent nous estimer, mais qui, malgré cela, haïssent plus les Américains que nous, et par cette antipathie souffriront tout de notre part. Je n'en doute nullement, l'on s'aveugle en Angleterre par la folle supposition, que nous avons les plus violents préjugés contre nos plus proches voisins, et cette erreur est la cause principale du dédain avec lequel on s'enhardit à nous maltraiter de plus en plus violemment. Le gouvernement américain est le moins dispendieux qu'il soit possible de concevoir, et celui qui est le plus propre de tous à exciter l'émulation la plus avantageuse à l'état. Toutes les charges étant électives, elles y sont exercées par l'aristocratie naturelle, celle que la Providence donne aux sociétés pour leur bonheur, l'aristocratie des vertus et des talents, tandis qu'en Europe et ici elles sont exercées par les aristocraties contre nature de la naissance, de l'argent, de la bassesse intrigante, que l'enfer ou la folie ont données aux sociétés pour leur opprobre et leur malheur. Le gouvernement anglais, après nous avoir refusé les améliorations que nous avons sollicitées, conserve-t-il les mêmes titres que s'il nous les avait concédées, à cet appui que nous lui avons prodigué, quand le pays a été envahi par nos voisins? L'on nous disait alors, que nos lois propres et particulières étaient placées sous la sauve garde de l'honneur et de la puissance britannique et que toutes les libertés et franchises du sujet né dans la métropole étaient notre commun héritage. Aujourd'hui nos lois sont renversées, nous sommes des étrangers dans le pays de notre naissance, et ceux qui viennent d'outre mer prétendent à des arrangements politiques qui doivent les protéger contre de mauvais frères. Tout l'art des commissaires n'a qu'un but, celui de perpétuer cette séparation des races, en la mentionnant avec affectation, en vingt occasions où il n'y avait pas lieu de le faire; en laissant percer leurs partiales prédilections pour leurs co-sujets Européens, et leurs étroites antipathies contre leurs co-sujets Canadiens. Rien dans la conduite de la chambre ne justifiait l'appréhension feinte, qu'elle ne fut portée à abuser du pouvoir pour vexer la minorité. Cette maligne et fausse imputation, à laquelle ils ont donné tant de poids, se réfute assez d'elle-même par le seul fait que la chambre, qui a naturalisé tous les étrangers qui viendraient s'établir en Canada, prouve assez par cet acte de libéralité, qu'elle est incapable d'adopter la notion contradictoire de vouloir mettre obstacle à l'établissement naturel et de plein droit de co-sujets. Quiconque vient pour partager notre sort, et comme un égal, est un ami qui sera bien venu, n'importe quel est le lieu de sa naissance; quiconque vient arrogamment décider à son gré de notre notre sort et de nos intérêts, et avec des prétentions affichées de supériorité, est un ennemi qui sera mal venu, n'importe quel est le lieu de sa naissance. Tout ce système de calomnie contre nous n'est inventé que dans l'intérêt des employés publics, du système vicieux qui les enrichit si fort, et appauvrit si fort la province; qui est si favorable à leur irresponsabilité, et si nuisible à l'action libre, et impassible des lois. Enfin lorsqu'on voit le ministre porter en leur faveur des attaques si rudes aux principes les plus certains du droit public! lorsqu'en les payant, il les affranchit de toute surveillance, de tout contrôle de la part des représentants du peuple, une foule de partisans détrompés n'abandonneront-ils pas un gouvernement qui organise l'arbitraire et le despotisme? Il me suffit des résolutions adoptées par une aussi grande majorité de la Chambre des Communes asservie à la volonté du ministre, pour dire que jamais ce gouvernement, à moins que les radicaux ne parviennent au pouvoir, ne voudra rendre justice au Canada; que désormais le Canada ne doit plus s'abaisser à la lui demander, mais qu'il doit se préparer à se l'assurer. Mais, dira-t-on, la plus odieuse de ces résolutions, celle qui tend à vous enlever votre argent, n'est pas encore passée, ne faut-il pas attendre? Qu'elle passe ou ne passe pas, nos démarches doivent être les mêmes. Les gouvernements, celui de la marâtre, et celui de la colonie, l'ont proposée, l'ont voulue. Vous ne leur donnerez jamais votre confiance. Leur tort est complet, il est consommé, en autant qu'il a dépendu d'eux. Ils pourront être arrêtés, je ne l'espère pas néanmoins. Ils se sont trop avancés pour reculer de bonne volonté. Ils ne s'arrêteront pas d'eux-mêmes. Le peuple anglais les épie et les menace, ses nobles sympathies éclatent en notre faveur.

Dans les Communes, l'élite des talents les plus distingués de l'Angleterre se sont élevés avec cent fois, mille fois, plus d'éloquence, que je ne le puis faire, en expressions d'indignation la plus amère contre l'atroce persécution que les ministres préparaient contre nous; en dénonciations les plus propres à les avilir aux yeux de l'Europe, sur l'inconséquente contradiction qu'il y a dans leur politique, qui à la fin et après des siècles d'oppression contre l'Irlande infortunée, devient libérale, parce que l'Irlande se fait craindre; qui est si basse et si rampante vis-à-vis de la Russie, qui aussi se fait craindre; et qui est si injuste, arrogante, et dédaigneuse à l'égard du Canada, qu'ils ne craignent point. Ils ressentent l'indignité avec laquelle nous sommes maltraités, aussi vivement que nous le pouvons faire, et nous conseillent, avec plus de hardiesse que je ne le ferais d'employer de suite la résistance. Ils nous font des reproches si nous n'y avons pas recours. Un membre du parlement, de la plus grande fortune, des plus beaux talents, des meilleurs principes, du dévouement le plus honorable à la cause du Peuple, à l'amour de la justice, à la liberté du Canada, s'est écrié en présence des ministres: Oui! si vous prétendez consommer votre œuvre d'iniquité, c'est pour les Canadiens une obligation morale que de vous résister. Oui! si le même sang coulait dans leurs veines, que celui qui a produit les Washington, les Franklin, les Jefferson, ils vous chasseraient de leur pays, comme vous avez été justement chassés des anciennes colonies. Il y a eu à Londres des assemblées, dans lesquelles le peuple a fait écho à ces nobles sentiments, à ces énergiques invectives contre de coupables ministres, à cette bienveillante sympathie pour vos souffrances, à ces encourageants avertissements qu'il est de notre devoir et de notre intérêt de repousser la violence par la violence. Je dois le dire, ce n'est ni la peur, ni le scrupule, qui me portent à dire que l'heure n'a pas sonné, où nous devons répondre à cet appel.

Ce n'est pas la peur: si la nécessité y était, la fore du pays, dans son éloignement de l'Angleterre et sa proximité des États-Unis, pourrait effectuer cet objet. -- Ce n'est pas le scrupule; quiconque est familiarisé avec la connaissance de l'histoire de la juste et glorieuse révolution des États-Unis, voir un concert si unanime des hommes les plus éclairés et les plus vertueux de tous les pays du monde; qui applaudissent à la résistance héroïque et morale, qu'opposèrent les Américains à l'usurpation du Parlement britannique, qui voulut les dépouiller, et approprier leur revenu, comme il prétend aujourd'hui faire du nôtre, que ce serait pour ainsi dire s'associer aux réputations les plus grandes et les plus pures des temps modernes, que de marcher avec succès dans la voie qu'ont tracée les patriotes de 74. La situation des deux pays est différente; et nos amis d'Angleterre ne la comprennent pas, quand ils nous croient dignes de blâme, et une race inférieure, si nous ne résistons pas de suite. Je connais un peu mon pays, pour avoir étudié son histoire, pour avoir été par les circonstances, jeté depuis trente ans de la manière la plus active dans les embarras de la vie publique, décidé à y faire inflexiblement mon devoir tant que j'y serais engagé, indifférent quant à moi à y demeurer, ou plutôt désireux d'en sortir, si le triomphe des droits du peuple m'en donnait l'occasion favorable. Pendant ce long espace de temps, j'ai vu vos représentants sans cesse et sans relâche, assaillis tour à tour par les violences, les calomnies, les caresses et les artifices de l'Exécutif, et de la presse vénale qu'il a soudoyée quelquefois directement, toujours par des préférences pour les impressions, souvent par les largesses de ceux à qui il a donné ou promis du gain ou des honneurs, sortir de chaque lutte victorieux, de chaque élection générale de plus en plus épurés et dévoués aux intérêts populaires. L'opinion publique s'est formée. Plus vous les avez vus maltraités, plus vous vous êtes montrés affectionnés et empressés à les prendre sous votre protection. Quiconque s'est détaché de la majorité de la Chambre a fini par épouser les passions et les intérêts d'employés dont il avait prouvé la corruption et pressé le châtiment, il a perdu votre confiance. Le flot démocratique a coulé irrésistiblement par une pente qui, devenant de plus en plus rapide, renversera sans violents efforts, les impuissants obstacles que l'on peut tenter de lui opposer. Dans ces circonstances, faut-il abattre, ou n'est-il pas mieux d'user, un mauvais gouvernement, par la résistance constitutionnelle que l'on peut, que l'on doit, lui faire éprouver en parlement? Certains du succès des futures élections dans un avenir de plusieurs années, faut-il meurtrir l'arbre violemment le premier jour d'automne, avec des pierres et des bâtons, quand tout indique que les fruits tomberont au second jour? Ceux qui commettent un vol qui justifierait en principe des mesures extrêmes, ont perdu en Canada toute influence morale. Vous avez vu avec quelle facilité vos représentants ont biffé les insolentes menaces de Stanley. Il est vrai qu'il s'en rappelle, qu'il exhale sa rage et ses projets de vengeance; mais sa rage et ses projets sont impuissants, quand il n'est pas saisi du pouvoir, et ses trahisons à tous les partis, l'en ont probablement exclu pour longtemps. Néanmoins, si lui, ou ceux à qui il peut inspirer ses préjugés et ses fureurs, redoublent d'effort contre nous, nous devons nous préparer pour être en mesure de les rencontrer, partout où ils voudront aller. S'ils marchent dans la voie de l'illégalité et de l'injustice, marchons d'un pas égal ou plus rapide dans celle de la résistance. Ils ont dans leur voie fait un pas, nous en ferons deux aujourd'hui dans la nôtre. Ils suffiront pour le moment; ils nous en faciliteront d'autres par la suite, s'ils devenaient nécessaires.

[Applaudissements.]

Il faut que le pécheur soit puni par où il a péché. Le gouvernement des nobles d'Angleterre vous hait pour toujours; il faut le payer de retour. Il vous hait parce qu'il aime le despotisme, et que vous aimez la liberté; parce que vous avez cessé de lui envoyer de loyales adresses, et les avez remplacées par des remontrances et de protestations contre l'inconduite de ses employés au milieu de vous. Mais tout ce qui excite contre nous les persécutions du gouvernement est ce qui excite les sympathies du peuple anglais, exprimées pour nous jusqu'à l'enthousiasme.

Nous étions faibles, parce qu'au milieu de nous, il y avait une portion nombreuse de nos concitoyens, qui avait le tort de croire que le gouvernement de la métropole était plus éclairé, était à notre égard moins malveillant, était plus porté à la justice que celui de la colonie. Les voilà maintenant détrompés. L'un et l'autre subordonnent toute autre considération à celle de la sollicitude pour leurs employés. Dans le temps où vous attendiez des réformes, l'administration actuelle appelle à la magistrature des hommes qui l'ont avilie, qui l'ont dominée, qui l'ont effrayée par l'appui qu'ils ont prêté à ces carabiniers, qui, s'ils avaient pu un jour faire du mal dans la ville, auraient été châtiés le lendemain par les campagnes; elle y appelle des hommes, dont les mains encore rougies par l'effusion du sang innocent, n'ont pas été lavées par l'acquittement d'un petit juré, et qui ont vu toutes les autorités civiles et judiciaires combinées pour les soustraire au procès qu'ils devaient subir. Elle renvoie siéger sur le tribunal un juge que l'ivresse en avait fait tomber. Elle soustrait au procès criminel qu'ils devraient subir, des fonctionnaires prévaricateurs, qu'elle a convaincus de dilapidation qu'elle a l'air de ne déplacer qu'à regret, en suspendant en leur faveur le cours de la loi. Et comment oserait-elle en effet punir sévèrement un crime qu'elle s'est permis sous une autre forme. Dans le pays, elle est la continuation de celles contre lesquelles vos plaintes ont été unanimes; auprès des ministres, ses pernicieux conseils ont été plus désastreux. Elle ne peut donc demander votre confiance et votre argent, qu'après qu'elle aura obtenu, que vous exprimiez votre repentir des protestations, que vous avez signées depuis dix ans, et des élections libérales que vous avez faites; qu'après que vous lui aurez dit, que vous êtes disposés à biffer vos signatures, à changer vos représentants, fidèles au mandat que vous leur avez donné. Je crois pouvoir lui dire, au nom des neuf dixièmes des électeurs, qu'elle vienne donc, si elle ose, faire ces extravagantes propositions.

[Applaudissements.]

Vous connaissez le mal que l'on veut vous faire, et ses coupables auteurs; délibérons sur les moyens de porter remède au mal, et d'en punir les auteurs. Vous oppresseurs vous refusent insolemment les réformes auxquelles vous avez droit. Combinons nous de plus en plus fortement pour les harceler et les contrarier dans tous leurs projets. Ils se croient la mission de vexer la majorité sous le prétexte menteur de protéger la minorité; qu'ils continuent le système inconstitutionnel de gouvernement de minorité. Ceux de leurs fauteurs qui ne sont pas achetés, sont à la veille de voir, qu'ils n'y a pas d'autre motif de persister dans cette absurdité, que la sale considération de leurs émoluments et qu'ils sont incapables de tout sentiment plus relevé. L'or est le dieu qu'ils adorent, tuons leur dieu, nous les convertirons à un meilleur culte. Les réformes que nous demandons diminueraient les dépenses du gouvernement de vingt mille louis par an, voilà l'objection réelle des ministres à consentir à nos demandes. S'ils privent leurs amis ici de ce revenu, cinquante colonies et possessions diverses demanderont les mêmes réformes. Chacune d'elles séparément n'offrirait pas une grande diminution aux moyens de l'influence, c'est-à-dire, de la corruption ministérielle, mais les réformes étendues à toutes, restitueraient aux peuples des millions que la noblesse leur dérobe. Puisqu'ils ne veulent pas d'une restitution volontaire, qu'ils la fassent forcée. C'est l'avidité qui les rend insolents et coupables; la pauvreté les convertira à la modestie. Nous pouvons bien vite leur arracher au-delà de vingt mille louis qu'ils reçoivent de trop; et quand les ministres verront que nous avons repris la substance, ils cesseront de nous persécuter pour l'ombre. Il faut que nous fassions du bien à nous-mêmes et à nos amis, et du mal à nos ennemis. Je serais loin d'invoquer la même maxime dans la vie privée: là il faut pardonner à son ennemi, et rendre le bien pour le mal. Mais un peuple doit repousser la persécution à tout prix, à tout risque et la rendre funeste à ceux qui se la permettent.

[Applaudissements.]

Le revenu que l'on veut nous voler, se compose pour les deux tiers, des taxes que nous payons chaque fois que nous buvons un verre de vin, ou de liqueurs spiritueuses, et une tasse de thé au sucre. Nos consommations en objets qui ne sont nullement de nécessité, sont plus fortes que celles que nous faisons en fer pour nous bâtir, défricher et cultiver nos terres, en cuir et en étoffes pour nous chausser et nous vêtir. Une année portant l'autre, il n'est pas sorti assez de blé du pays pour payer ce qui a été importé de vins et spiritueux. Il suffit de cette erreur pour nous appauvrir, et enrichir nos ennemis. Pour réformer efficacement ce désordre funeste, nous n'avons pas besoin de l'aide des Messieurs. Ils sont trop souvent des sensualistes qui tiennent plus à leur vin et à leur luxe qu'aux intérêts de la patrie. Dans tous les pays c'est la masse du peuple, ce sont les classes moyennes et les classes pauvres qui forment le revenu, ce sont les classes supérieures qui le dévorent. Ce ne sont nullement les quinze à vingt piastres de taxes que paient un très petit nombre de familles riches, de leur industrie, de leur crédit, ou de leur vols, qui grossissent le revenu, ce sont une, deux, ou trois piastres, que payaient volontiers cent mille chefs de famille, quand leurs représentants en pouvaient régler l'emploi pour soutenir des écoles et améliorer le pays, qu'ils cesseront bientôt de payer, quand on les insulte, quand on les vole. De la prétention du parlement anglais à vous arracher 140 000 £ sans votre consentement, découlera bien vite celle de vous arracher quoique ce soit que la cupidité des gouverneurs les portera à demander. Si vous admettez que cette intervention puisse être tolérée pour le vol de la plus petite partie de votre propriété, vous admettez que vous la souffrirez pour le vol de quelque portion que ce soit quand voudra vous ravir un parlement, qui aurait juré de sa foi et son honneur de ne le pas faire. Et puisqu'il est disposé à devenir parjure quand le ministre l'exige, quel espoir nous resterait-il, qu'il s'arrêtât à quelqu'excès que le voulût pousser la même autorité? Il vous a donné l'acte déclaratoire de 1778, par lequel il s'est engagé à ne pas approprier votre revenu. Par respect pour ce principe, il vous a donné il y a six ans l'acte de la première Guillaume quatre. Mais lord Gosford et lord Russell veulent qu'il s'abaisse à se contredire en le révoquant de fait dans les vœux de lord Russell, et expressément par une loi dans les vœux plus outrés et plus tyranniques de lord Gosford. Ils oublient quelle profonde flétrissure avait été imprimée au front des ministres de George trois, lorsque l'Acte déclaratoire de 78 fut passé. La p-lus belle et la plus forte armée que l'Europe eut encore vomie sur l'Amérique, venant de mettre bas les armes devant de simples milices américaines, sans organisation, sans discipline, devant de bons cultivateurs, comme il y en a encore, qui savaient aimer leur pays et tirer aux tourtes, qui n'étaient forts que de la justice de leur cause, mais qui ignoraient les premiers éléments de toute tactique militaire. Cette formidable armée anglaise était commandée par le général Bourgoyne, membre de la Chambre des Communes, qui après avoir aidé aux ministres, par son suffrage et ses discours, à préparer l'oppression des Américains, prêtait son bras et son épée pour la compléter, et pour les écraser facilement, disait-il. Rien de plus insolent et de plus sanguinaire que la proclamation qu'il jetait dans le public au moment de son entrée dans le territoire ennemi, en ne donnant qu'un court délai à ses habitants, pour venir mettre bas les armes devant lui, solliciter le pardon de leur rébellion, ou tomber sous les forces irrésistibles qu'il commandait, ou sous la hache et les tortures des sauvages ses alliés, trop nombreux, ajoutait-il, pour qu'il pût restreindre leur fureur. Après toute cette jactance, lui-même après avoir perdu la moitié de son armée, mettait bas les armes devant ceux qu'il avait menacés avec une si brutale férocité, avant que fussent terminés les délais qu'il avait accordés à leur repentir. Ce fut un jour de joie pour les peuples, un jour d'effroi pour leurs tyrans, qui dans leur consternation passèrent le statut de 1778. Ceux qui en demandent la violation redoublent l'humiliation de l'Angleterre, en l'entraînant à reconnaître que ce ne fut pas la justice, mais la souffrance, qui lui fit proclamer cette charte des droits coloniaux qu'il veut aujourd'hui déchirer.

Est-il donc si pénible de se priver de quelques jouissances de luxe inutile, de se priver de boire des liqueurs empoisonnées d'une taxe désormais odieuse, puisqu'elle doit avoir l'effet de nous rendre si méprisables, si nous la payons? Quels conseils nous ont donnés ceux de nos amis qui ont si honorablement pris notre défense en parlement? Ils ont dit aux ministres: les Canadiens sauront vous punir, et se combiner pour appauvrir votre commerce et votre revenu.

[Applaudissements.]