Discours de Louis-Joseph Papineau à l'Assemblée de St-Laurent

De La Bibliothèque indépendantiste
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Discours à l'Assemblée du comté de Montréal, tenue à St-Laurent, le 15 mai [1837], pour prendre en considération les résolutions coercitives du ministère anglais contre les droits et les libertés de cette colonie.
dans La Minerve, 25 mai, 1837



Concitoyens,

Nous sommes réunis dans des circonstances pénibles, mais qui offrent l'avantage de vous faire distinguer vos vrais d'avec vos faux amis, ceux qui le sont pour un temps, de ceux qui le sont pour toujours. Nous sommes en lutte avec les anciens ennemis du pays. Le gouverneur, les deux conseils, les juges, la majorité des autres fonctionnaires publics, leurs créatures et leurs suppôts que vos représentants ont dénoncés depuis longtemps comme formant une faction corrompue, hostile aux droits du peuple et mue par l'intérêt seul à soutenir un système de gouvernement vicieux. Cela n'est pas inquiétant. Cette faction quand elle agira seul est aux abois. Elle a la même volonté qu'elle a toujours eue de nuire, mais elle n'a plus le même pouvoir de le faire. C'est toujours une bête malfaisante, qui aime à mordre et à déchirer, mais qui ne peut que rugir, parce que vous lui avez rogné les griffes et limé les dents. (Applaudissements.)

Pour eux les temps sont changés, jugez de leur différence. Il y a quelques années lorsque votre ancien représentant, toujours fidèle à vos intérêts et que vous venez de choisir pour présider cette assemblée, vous servait au parlement, lorsque bientôt après lui j'entrais dans la vie publique en 1810, un mauvais gouverneur jetait les représentants en prison; depuis ce temps les représentants ont chassé les mauvais gouverneurs. Autrefois, pour gouverner et mettre à l'abri des plaintes de l'Assemblée les bas courtisans ses complices, le tyran Craig était obligé de se montrer, pour faire peur, comme bien plus méchant qu'il n'était. Il n'a pas réussi à faire peur. Le peuple s'est moqué de lui, et des proclamations royales, des mandements et des sermons déplacés, arrachés par surprise, et fulminés pour le frapper de terreur. Aujourd'hui pour gouverner, et mettre les bas courtisans ses complices à l'abri de la punition que leur a justement infligée l'Assemblée, le gouverneur est obligé de se montrer larmoyant pour faire pitié; et de se donner pour bien meilleur qu'il n'est en réalité. Il s'est fait humble et caressant pour tromper. Le miel sur les lèvres, le fiel dans le cœur, il a fait plus de mal par ses artifices, que ses prédécesseurs n'en ont fait par leurs violences; néanmoins, le mal n'est pas consommé, et ses artifices sont usés. La publication de ses instructions qu'il avait mutilés et mésinterprétées; la publication des rapports, dans lesquels l'on admet que cette ruse lui était nécessaire pour qu'il put débuter dans son administration avec quelque chance de succès, ont fait tomber le masque. Il peut acheter quelques traîtres, il ne peut plus tromper des patriotes; Et comme dans un pays honnête le nombre des lâches qui sont en vente et à l'encan ne peut pas être considérable, ils ne sont pas à craindre. La circonstance nouvelle dont nos perpétuels ennemis vont vouloir tirer avantage, c'est que le Parlement britannique prend parti contre nous. C'est que le ministre ne comptant pour rien les justes plaintes du peuple, n'a de sensibilité et de prédilections que pour des employés corrompus; qu'il veut voler votre argent pour payer vos serviteurs que vous représentants ont refusé de payer parce que d'après l'avis de cette autorité compétente ils ont été paresseux, infidèles, incapables; qu'ils ont voulu renvoyer de votre service parce qu'ils vous faisaient du tort; qui insolemment sont restés chez vous malgré vous, et qui, lorsque vous leur refusez un salaire qu'ils n'ont pas gagné, s'associent avec des voleurs étrangers pour vous dérober. Cette difficulté est grande, mais elle n'est pas nouvelle, mais elle n'est pas insurmontable. Ce parlement tout-puissant, les Américains l'ont glorieusement battu, il y a quelque années. C'est un spectacle consolateur pour les peuples que de se reporter à l'époque de 1774; d'applaudir aux efforts vertueux et au succès complet qui fut opposé à la même tentative qui est commencée contre vous. Ce parlement tout-puissant, son injustice nous a déjà mis en lutte avec lui, et notre résistance constitutionnelle l'a déjà arrêté. En 1822, le ministère s'était montré un instrument oppresseur entre les mains de la faction officielle du Canada, et les Communes s'étaient montrées les dociles esclaves du ministre en l'appuyant dans sa tentative d'union des deux provinces par une très grande majorité. Le ministère Melbourne est également l'instrument oppresseur que fait jouer à son service la même faction officielle et tory du Canada; et la grande majorité des Communes, dans une question coloniale qu'elles comprennent peu et à laquelle elles n'attachent aucun intérêt, est encore la tourbe docile qui marche comme le ministre docile la pousse. Les temps d'épreuve sont arrivés; ces temps sont d'une grande utilité au public. Ils lui apprennent à distinguer ceux qui sont patriotes aux jours sereins, que le premier jour d'orage disperse, ceux qui sont patriotes quand il n'y a pas de sacrifices à faire, de ceux qui le sont au temps des sacrifices; ceux dont le mérite consiste à crier: « Huzza, nous sommes avec la majorité, mais si elle ne réussit pas bien vite, nous nous tiendrons à l'écart et tranquilles », et ceux qui disent: « dans la bonne et dans la mauvaise fortune, nous sommes pour le peuple; s'il est maltraité nous ne nous tiendrons pas à l'écart; nous ne serons pas tranquilles, nous le défendrons à tout risque: nous sommes pour les principes, et s'ils sont violés, nous les maintiendrons contre quelqu'autorité que ce soit, tant que nos cœurs battront; tant que nous bouches pourront proclamer la vérité, pourront exhaler la plainte et le reproche. » (Applaudissements.)

Vous comprenez l'importance du sujet qui nous réunit. Nous ne sommes pas ici pour nous livrer à des élans d'une juste indignation, à de brûlants appels à la vengeance et aux passions, qui ne seraient que trop justifiables, nous sommes pour discourir ensemble, familièrement, sans réserve ni réticence, sans dissimulation, ni ménagement pour des hommes pervers et des mesures iniques, pour nous occuper de nos communs intérêts; pour mesurer quelle est l'étendue du mal que l'on nous veut faire; quels en sont les odieux auteurs; quels obstacles nous pouvons opposer, quelle punition nous leur devons infliger.

L'étendue du mal que l'on nous veut faire, c'est l'insulte et le mépris avec lesquels un gouvernement persécuteur repousse toutes et chacune des réformes que vous avez demandées! c'est de vous préparer un avenir plus mauvais que ne l'a été un passé déjà insupportable: C'est enfin de vous voler, de vous arracher le fruit de vos sueurs, de de vos travaux pour soudoyer et rendre plus insolents vos serviteurs, dont vous n'avez déjà que trop de raisons de vous plaindre. (C'est vrai.)

Dans tous les temps, les Anglais, depuis qu'ils ont le système représentatif, ont professé la doctrine, et l'ont scellée de leur sang, que leurs rois et leurs officiers n'avaient droit à recevoir aucun autre salaire, aucun autre subside, que ceux auxquels ils auraient donné leur libre consentement exprimé par leurs représentants. Et ont toujours cru qu'il était également juste de tirer l'épée contre celui qui violait la loi, en cherchant à briser la porte de leur maison pour les dérober, et contre ceux qui violaient la loi en cherchant à briser les portes du dépôt de l'argent public, dont ils avaient remis les clefs à leurs représentants. Dans cette juste et légitime défense de leurs propriétés, ils ont quelquefois chassé du royaume les gouvernants qui violaient des droits aussi chers, quelquefois ils leurs ont tranché la tête. Tout cela était pour établir un droit que lord Russell, à l'instigation de lord Gosford, s'apprête à violer à notre égard. L'histoire nous dit que les Anglais ont bien fait de haïr leurs oppresseurs jusqu'à les emprisonner, à les chasser, à les tuer; nous ferions donc bien de haïr les nôtres jusqu'à les prier, au moins pour leur honneur et notre bonheur, de faire voile au plus vite.

Les électeurs de ce comté ont presque toujours bien rempli leur devoir: vous le remplissiez en choisissant pour votre représentant il y a près de quarante ans, un homme aussi ferme et intègre que l'est notre respectable président, et depuis lui presque toujours des hommes qui, tels que ceux qui vous représentent aujourd'hui, lui on ressemblé. Si quelquefois il y a eu erreur, si des candidats sont venus aux hustings avec des protestations de dévouement si plausible que vous ayez été tentés de les choisir sur parole, et que plus tard vous ayez aperçu de la différence entre leurs promesses et leur conduite, vous n'avez pas été lents à en faire justice. Vous avez vu que toujours celui qui se rapprochait des gouverneurs s'éloignait du peuple, parce que les gouverneurs ont tous eu la manie de se placer en une opposition inconstitutionnelle contre la majorité de la Chambre. Ils ont tous voulu être les maîtres, quand ils ne sont que les serviteurs; nous parquer et nous pousser quand ils doivent nous suivre. Aucun d'eux n'est jamais venu, aucun d'eux ne viendra jamais, pour s'intéresser vivement à votre bien-être, mais bien pour avancer le sien. Ils voient bien vite que la plupart des employés publics leurs ressemblent si fort sous ce rapport, qu'ils ne sont jamais longtemps sans devenir bons amis et faire cause commune contre vous et vos représentants. Sous ce point de vue, le dernier venu n'est pas meilleur que ses devanciers. Tout le mal plus grand que par le passé, dont vous menace maintenant le ministre, le gouverneur actuel l'a conseillé. Il a même demandé que l'on vous en fit beaucoup plus, mais le ministre ne seconde pas pleinement son ardeur à vous nuire, et ne propose pas l'abolition sollicitée du statut de la 1ère année de Guillaume IV. Il y a des hommes qui ont ci-devant soutenu la cause du pays contre tous les autres gouverneurs, qui leur ont fait la guerre pour de beaucoup moindres fautes et qui, déserteurs de la cause du peuple, sont aujourd'hui aux pieds de lord Gosford et trouvent bon chez lui ce qu'ils ont trouvé mauvais chez ses prédécesseurs. Tant qu'ils n'avaient que ses belles paroles et ses fausses promesses, on pouvait leur pardonner leur erreur, mais depuis que ces écrits plus forts que ces propos sont connus, il faut avoir une aussi forte dose d'amour propre pour ne pas revenir d'un aussi étrange aveuglement, qu'une faible dose d'amour du pays.

Les autres gouverneurs ont comme celui-ci violé le dépôt du revenu public. Ils le faisaient avec quelque gêne par la crainte vague, quoiqu'éloignée, d'accusation par les Communes. Celui-ci travaille à renverser cette dernière et faible barrière à la rapacité de ceux qui laisseront comme lui, leur pays, leur famille, leurs plaisirs, pour l'amour de vous, diront-ils, pour l'amour de votre argent, vous dis-je. Il ne restera plus aucun frein à l'impudeur avec laquelle les gouverneurs se sont presque tous montrés comme des aventuriers nécessiteux, par leur hardiesses à violer la loi pour se payer leurs appointements en les dérobant. Je ne connais pas un autre pays où un pareil crime se soit jamais continué aussi longtemps avec impunité. La morale publique est outragée et perdue, si les hommes honnêtes ne flétrissent pas par leur mépris fixe et ouvert, n'isolent pas par leur détermination de n'avoir avec eux aucun rapport même de civilité; ne dénoncent pas comme ennemis du Canada, tous ceux qui, du premier au dernier, du gouverneur au connétable, recevront l'argent du pays, d'après la disposition, soit d'un statut anglais, soit de toute autre autorité que celle de vos représentants.

L'argent qu'a pris lord Gosford, l'argent qu'il fait prendre par l'entremise de lord Russell, l'argent que celui-ci ne lui permet pas de prendre quoiqu'il ait demandé de le faire, sont des motifs pour lesquels si vous avez eu raison de haïr une fois Dalhousie et Aylmer, vous aurez trois fois raison de haïr Gosford; pour lesquels, si vous avez accusé ceux-là avec assez d'unanimité, de force, et de persévérance, pour vous en voir délivrés après de longues années de souffrance, vous devez accuser celui-ci avec assez d'unanimité, de force et de persévérance pour vous en voir délivrés sous un court délai. Et déjà en effet il aurait dû laisser la province depuis longtemps, s'il y avait eu franchise et fixité dans la déclaration qu'il répétait à tous venants, lors de son arrivée, que s'il ne gagnait pas la confiance du peuple, s'il n'y effectuait pas de grande réformes, s'il ne faisait pas renaître le contentement, il n'attendrait pas l'arrivée d'une frégate pour mettre à la voile, mais se jetterait dans le premier vaisseau marchand qui laisserait Québec. L'espérance est vivace chez cet homme, s'il s'imagine que les mesquines réformes qu'il a, disent des flatteurs, la bonne intention de tenter, quand il sortira de sa longue léthargie, seront propres à lui mériter de grandes actions grâces. Nous connaissons le mal positif qu'il a fait, par les réponses de lord Russell à nos demandes de réforme; le bien qu'il médite est encore un impénétrable mystère ou une fiction gratuite.

Vous avez demandé dans la proportion de 90 000 contre 10 000 signataires que le Conseil législatif fut électif; non, dit l'écho de lord Gosford; que le Conseil électif fut responsable aux Communes du pays; non, qu'un tribunal digne de la confiance publique connût des malversations des juges et autres employés prévaricateurs; non, que les usurpations du Parlement britannique par ses actes de législation interne pour nous, fussent réparés par l'abrogation de ces actes; non. J'en aurais jusqu'à demain à détailler ainsi toutes vous justes demandes, et tous les refus que la haine et l'intrigue vous ont préparés, par l'entremise de la plus inutile commission qui ait jamais été imaginée. Eh bien! tous ces refus injustes changent-ils votre volonté d'avoir ces réformes? Non. Donnent-ils à l'homme qui les a conseillés des titres à notre estime, à notre argent? Non. Quand il partira qu'emportera t-il donc, notre argent? Oui; notre bonne opinion? Non. Il y a longtemps qu'il prévoit que telle sera l'issue d'une administration qui dans sa première année, avait déjà produit pour vous plus de fruits amers, pour lui plus d'humiliations, que n'en a dévorées son odieux prédécesseur pendant toute la durée de la sienne. Il les a reçues à pleines mains et de tous les partis et de toutes les nuances d'opinion. Pour la part du peuple, il a laissé périr dans le Conseil législatif des bonnes lois en foule, sans le plus léger effort pour les préserver. Vous avez connaissance de ses longues lamentations, de ses cuisants chagrins, de ses injustes reproches à vos représentants, parce qu'ils n'ont point donné votre argent à lui ni aux autres employés qu'ils jugeaient ne pas le mériter.