Utilisateur:Liberlogos/Place aux livres: Trudeau, citoyen du monde, tome 1
John English. Trudeau, citoyen du monde, tome I : 1919-1968. Montréal, Éditions de l'Homme, 2006, 544 p.
Professeur d'histoire et de sciences politiques à l'Université de Waterloo, John English a eu le privilège de consulter une documentation exceptionnelle (dont le journal et la correspondance intimes de Pierre Elliott Trudeau, et même ses notes de frais chez le psychiatre). Son ouvrage se démarquera longtemps de tout ce qu'on a écrit sur le même sujet jusqu'à maintenant.
Ce premier tome porte sur Trudeau avant 1968. English nous montre un personnage qui, à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale, épousait la cause d'un État catholique français et indépendant; il « était même séparatiste, voire radical ». Membre de la « cellule révolutionnaire secrète » appelée « Les Frères-Chasseurs », il participe à des manifestations qui prennent des airs antisémites. Lors de la campagne électorale pour Jean Drapeau dans Outremont, il prononce un discours carrément xénophobe et la lettre qu'il écrit pour expliquer la défaite de son candidat n'est pas très loin des propos de Jacques Parizeau, en 1995. Dans ses mémoires, Trudeau se décrivait pourtant comme un antinationaliste de toujours. English estime que ces propos « révèlent, au mieux, de l'hypocrisie »...
Pierre Trudeau est né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Doué et discipliné, il obtient des notes brillantes au collège et à l’université. Il étudie ensuite à Harvard, Paris et Londres. Comme l’explique John English, il passe alors d’un « nationalisme conservateur catholique centré sur le Québec au cosmopolitisme de gauche ».
Si cette évolution politique est assez claire, on ne voit pas toujours cependant comment se traduit dans l’action « le plan qu’il avait conçu à la fin des années trente » (p. 415), et qui devait le mener aux plus hautes sphères de la vie publique. Trudeau avait tout pour lui mais sa vie professionnelle est faite de « sidelines » qui lui permettent de partir à l’aventure quand ça lui chante. Il s’acharne à appuyer ou à créer des groupuscules qui n’ont aucun avenir politique immédiat. Il ne fait rien pour s’approcher des libéraux de Jean Lesage (qui le lui rendent bien…). C’est finalement parce que son ami Jean Marchand ne veut pas partir seul à Ottawa qu’il adhère à un parti qu’il méprise. Le même Marchand enguirlandera ensuite Trudeau qui a refusé de devenir secrétaire parlementaire du premier ministre et il devra conjuguer son pouvoir de persuasion à celui de Gérard Pelletier pour convaincre Trudeau de se présenter à la direction du parti. Pour un homme qui, d’après Pelletier, aurait « passé sa vie à se préparer pour la carrière politique » (p. 437), n’est-ce pas déroutant?
Dans l'avant-propos de son livre intitulé Le fédéralisme et la société canadienne-française et publié au début de 1968, Trudeau écrit: « Il ne faut pas chercher d'autre constante à ma pensée que celle de s'opposer aux idées reçues »; et plus loin : « Mon action politique, ou ma pensée, pour peu que j'en ai eue, s'exprime en deux mots: faire contrepoids ». Bref, Trudeau n'avait aucun plan. En politique, il avait un « esprit de contradiction » : nationaliste, quand la majorité était fédéraliste; pro-URSS, Chine et Cuba, quand c'était exotique; fédéraliste, quand le Québec est passé au nationalisme, etc. Comme dans le reste de sa vie, il avait le loisir de se permettre toutes les fantaisies.
Son cheminement, écrit English, « rendit perplexes ses amis les plus intimes, de même que ceux qui tentaient d'étudier sa carrière avec objectivité » (p.242). On les comprend!
Note
Ceci est un article transcrit de la revue d'histoire du Québec Cap-aux-Diamants (pp.48-49).