Référendum et majorité qualifiée

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Référendum et majorité qualifiée
18 septembre 1998




Texte de Richard Gervais, Jean-Luc Dion, Marie-Thérèse Miller, Michel Robert, Thibaud Sallé, membres des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), publié dans La Presse, le 18 septembre 1998.



Les magistrats n'ont pas osé appeler un chat un chat et parler de majorité qualifiée : la partialité et l'antidémocratisme de la mesure auraient été trop évidents. Mais leur notion de "majorité claire" est loin de l'exclure.

Ce n'est pas depuis l'avis de la Cour suprême que le fédéral remet en question la règle de la majorité absolue dans un éventuel référendum québécois sur la souveraineté. C'est depuis que le camp adverse approche de cette majorité, c'est-à-dire depuis le référendum de 1995 où le oui a frôlé le 50 % du suffrage. Avant ce référendum serré, se berçant de l'illusion que le suffrage souverainiste allait plafonner bien en deçà, le fédéral ne se risquait pas à monter la barre et à exiger du oui des marques impossibles. L'arme est à double tranchant, qui peut intimider l'électorat québécois, mais aussi heurter ses valeurs démocratiques. Maintenant, non seulement sait-il sa défaite possible, mais " son " tribunal suprême vient de lui dicter de reconnaître la victoire de l'adversaire le cas échéant et de négocier avec lui. Jean Chrétien, premier ministre du Canada, et Stéphane Dion, ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, contestent donc de plus belle le droit même de l'adversaire à la victoire en la rendant conditionnelle à l'obtention d'une majorité qualifiée.

Clarifions les termes

La Cour suprême leur ouvre passablement la porte avec sa notion inédite de " majorité claire ", laquelle n'est pas de nature à clarifier les choses. Pourtant, les concepts sont clairs, qui appartiennent au B.A.-Ba du droit électoral.

  • La majorité absolue est un nombre de voix supérieur à la moitié du suffrage exprimé (au moins 50 % des voix plus une, dit-on souvent).
  • La majorité qualifiée (aussi dite renforcée) est un nombre de voix supérieur à la majorité absolue (p.ex. 60 %, 2/3, etc.).
  • La majorité simple (ou relative) est un nombre de voix supérieur à celui qu'obtiennent les concurrents.

Quand plus de deux candidats ou options s'affrontent dans une élection ou un référendum, le candidat ou l'option qui obtient le plus de voix n'en obtient pas nécessairement plus de la moitié. La victoire peut s'acquérir avec moins de 50 % du suffrage exprimé et l'on parlera dans ce cas de majorité simple ou relative. Mais dans un scrutin ou seulement deux candidats ou options s'affrontent, il va de soi que majorité simple et majorité absolue reviennent au même. Encore que, dans pareil cas, il convient de parler de majorité absolue pour ne pas laisser entendre que la majorité du vainqueur est inférieure à 50 % ou que le scrutin mettait en présence plus de deux parties.

Dans tous ces cas, notons-le, la majorité est parfaitement claire. Le Parti Québécois fait bien de le rappeler au gouvernement canadien. Mais la Cour relativise aussi la règle de la majorité (p. ex. Avis, ß 66 ; Résumé : " La démocratie signifie davantage que la simple règle de la majorité "), au point que la règle contraire, celle de la minorité, a l'air tout aussi démocratique. Les magistrats n'ont pas osé appeler un chat un chat et parler de majorité qualifiée : la partialité et l'antidémocratisme de la mesure auraient été trop évidents. Mais leur notion de " majorité claire " est loin de l'exclure. Elle permet aux politiques fédéraux de faire passer leur hystérie anti-indépendantiste pour un souci de clarification et leur fournit de quoi peinturer de démocratie leur outrancière exigence de majorité référendaire qualifiée.

Du bon usage de la majorité qualifiée

En régime démocratique, la volonté de la majorité l'emporte sur celle la minorité. C'est la règle dite de la majorité. En soi, toute qualification de majorité fait entorse à cette règle puisqu'elle autorise la victoire de la minorité sur la majorité. Par exemple, dans un référendum populaire où deux options seraient en jeu, exiger 66 % des voix, ce serait permettre à 35 % de la population votante d'en paralyser 65 %.

Le mécanisme de la majorité qualifiée peut se justifier dans certains cas, mais à l'exclusion absolue du cas où le peuple entier est consulté. Dans un scrutin populaire universel, réclamer davantage que la majorité absolue, c'est par définition se moquer du peuple en faisant prévaloir sa volonté minoritaire sur sa volonté majoritaire. Pareille qualification de majorité peut s'appliquer quand le peuple n'est pas directement consulté. Par exemple quand des " représentants " du peuple votent à sa place. En d'autres termes, le recours à la majorité qualifiée peut être démocratique quand ce qu'on appelle le corps électoral (ensemble des votants) n'est qu'un corps de représentants.

Dans un corps de représentants en effet, le résultat d'un vote peut ne pas correspondre à celui qui se serait dégagé d'une consultation directe et universelle des représentés. À cause de cet écart possible entre majorité représentative et majorité populaire et précisément pour éviter que la population soit mal représentée, on pourra exiger, encore qu'à titre circonstanciel et exceptionnel, une majorité qualifiée. Mais, notons-le, pareil recours n'est acceptable que comme effet même de la règle de la majorité, non comme sa négation. Il procède du respect de la souveraineté du peuple par ses représentants, de la reconnaissance que, par-delà les représentants, c'est de la volonté des représentés qu'il s'agit. Or au Québec, le référendum annoncé sur la souveraineté, comme les deux précédents, prévoit consulter le peuple lui-même, non ses représentants. Il s'effectuera au suffrage universel direct. Par conséquent, la proposition fédérale d'exiger du oui plus que la majorité absolue est injustifiable.

Jean Chrétien a allégué l'élection des papes. La comparaison est farfelue pour trois raisons : l'Église n'est pas une démocratie, ni en réalité ni en droit canon ; les cardinaux ne sont pas les " représentants " des fidèles ; et bien sûr ils ne sont pas la totalité des fidèles.

Obligations proliférantes

L'obligation de négocier que la Cour suprême signifie aujourd'hui au reste du Canada est conditionnelle à une série d'obligations qu'elle estime imposables au Québec : qu'il y ait un " vote ", aboutissant à une " majorité claire ", en réponse à une " question claire ". Ces trois conditions, on les trouvaient déjà l'an dernier presque mot pour mot dans la bouche du chef du Parti libéral de Canada. Jean Chrétien répétait en effet, au sortir du congrès de l'aile québécoise de son parti, qu'Ottawa ne consentirait à négocier l'indépendance du Québec qu'à la condition, qu' " il y ait eu référendum, une question claire, une majorité solide ". Sans compter, disait-il, les nombreux " autres obstacles à surmonter ", en clair les obstacles qu'Ottawa dresserait lui-même sur la route de l'indépendance québécoise. De même en va-t-il aujourd'hui dans l'avis de la Cour qui ajoute d'autres conditions, celle notamment pour le Québec de se conformer aux " valeurs communes " des Canadiens, soit la " démocratie ", le " constitutionnalisme ", la " primauté du droit ", le " respect des minorités " et, croyez-le ou non, le " fédéralisme " (Résumé : réponse à la question 1).

La thèse de la majorité qualifiée s'inscrit dans cette logique des obligations proliférantes. Un professeur de droit de l'Université du Québec à Montréal, Michel Lebel, nous en avait donné un avant-goût l'an dernier. Traumatisé par la quasi-défaite du non, il proposa que la victoire ne soit concédée au oui que s'il obtenait " un minimum de 66 % des voix " (Le Devoir, 23 oct. 1997). Il allait jusqu'à parler d'un " appui massif " de l'ordre de " plus de 90 % des voix ", nécessaire à la légitimité de l'option souverainiste. Après tout, écrivait-il, " ce qui importe en cette matière, c'est la réelle volonté populaire " ! Voilà comment on reste démocrate en piétinant la démocratie. C'est à se demander pourquoi Me Lebel ne va pas au bout de sa conséquence en réclamant du oui l'unanimité du suffrage ! À l'instar de Jean Chrétien et de Stéphane Dion, lui aussi empile les conditions. Il faudrait " que tous les partis représentés à l'Assemblée nationale et le gouvernement fédéral s'entendent sur le libellé de la question et sur le pourcentage de voix nécessaires ". Comme la réunion de ces conditions relève, selon son propre mot, de la " politique-fiction ", l'option indépendantiste s'avère à jamais illégitime. CQFD.

Majorité et légitimité

En vérité, la légitimité politique n'est pas fonction d'une majorité. Pas plus qu'aucun autre parti ou option le projet souverainiste n'a besoin d'une majorité de suffrages pour être légitime. Il l'était en 1970, à 24 % du suffrage, autant qu'en 1995, à 49,4 %. Une majorité des suffrages lui conférerait non de la légitimité, mais plus de force dans l'arène politique.

Au lieu de voir dans le souverainisme une option politique pouvant comme une autre concourir dans l'arène démocratique avec les mêmes droits et obligations, des zélateurs de la soi-disant " unité canadienne ", bien représentés à Ottawa, le tiennent pour illégitime. Face à un adversaire ainsi frappé d'illégitimité et qu'on ne tolère que perdant, des mesures d'exception paraîtront normales, dont la dérogation à la règle de la majorité (et bien d'autres).

Les Québécois s'offusquent à bon droit du non-respect des règles référendaires qu'ils se sont données ; de la liste indéfiniment extensible des conditions qu'Ottawa se croit en droit de poser à leur existence politique. De même peuvent-ils ressentir aujourd'hui comme un affront à l'expression de leur volonté souveraine la thèse fédérale de la majorité qualifiée. C'est que dans son hostilité à la souveraineté étatique du Québec, Ottawa en vient plus fondamentalement à nier la souveraineté populaire de ce dernier, le droit des Québécois de décider de leur être politique dans un cadre et des règles par eux-mêmes définis.



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