Pour la défense et l'illustration de la langue française et de la culture québécoise
Mémoire présenté à la Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec par Les Intellectuels pour la souveraineté (IPSO).
Présentation des IPSO
Les Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) ont d’abord été créés comme un groupe voué à la promotion de la souveraineté: AVANT, PENDANT ET APRÈS le référendum. Fondés le 21 juin 1994, les IPSO regroupaient bientôt plus de 500 membres.
Toute personne qui consacre une partie de son temps aux activités intellectuelles et qui manifeste de l'intérêt pour les débats d'idées peut devenir membre des Intellectuels pour la souveraineté à condition de souscrire aux objectifs [...]. Les objectifs sont de promouvoir la souveraineté du Québec par des interventions publiques, individuelles et collectives, de susciter l'engagement des intellectuels aux côtés d'autres souverainistes, de contribuer à l'édification du projet national par une réflexion critique et indépendante des partis politiques, et de susciter le débat public en favorisant le dialogue sur la question nationale. La liste des membres (contenant leur nom, domaine d'expertise et le nom de leur affiliation institutionnelle) est publique. - Extrait du Règlement des IPSO
En 1995, nous sommes restés fidèles à notre engagement et nous avons décidé de nous intégrer à la coalition des Partenaires pour la souveraineté qui regroupait déjà d’autres mouvements souverainistes, tels les artistes pour la souveraineté et les centrales syndicales et la fédération des étudiants universitaires.
Résumé du mémoire
Les IPSO estiment que la loi 86, adoptée par le gouvernement Bourassa en 1993, a montré depuis non seulement son incapacité à redresser la situation linguistique du Québec, mais sa propension à affaiblir la Charte de la langue française. Nous pensons que le gouvernement du Parti québécois doit revenir à l’esprit originel de la Charte de la langue française et la renforcer en tenant compte du contexte nord-américain, en particulier aux chapitres de la langue de travail et de la langue d’enseignement. Les IPSO croient également qu’une politique linguistique adéquate doit impérativement comporter, en plus des contraintes légales, des mesures précises visant à en faire partager les objectifs par la population et à illustrer la langue et la culture françaises en Amérique du Nord.
L’inquiétante situation du français aujourd’hui
N’oublions jamais que la conservation de la langue, la culture de la langue, la lutte pour la langue, c’est toute la lutte pour l’existence nationale. Si nous laissons affaiblir en nous-mêmes le culte de la langue, si nous laissons entamer sur un point quelconque du territoire les droits de la langue et son usage public ou privé, nous sapons à la base toute l’œuvre de civilisation française édifiée par trois siècles d’efforts et de sacrifices. - Henri Bourassa, Discours au Monument national, 19 mai 1915
Le mouvement souverainiste s’est depuis toujours fondé sur la nécessité de défendre la langue française et de promouvoir la culture québécoise. La langue française est fragilisée par le fait qu’elle est minoritaire sur le continent nord-américain. L’assimilation des francophones à l’extérieur du Québec atteint des proportions alarmantes partout au Canada. Par exemple, parmi le demi-million de personnes de langue maternelle française en Ontario, seulement 300,000 déclarent parler surtout le français à la maison1. Comme on peut le constater, il s’agit là d’un taux d’assimilation inquiétant!
Au Québec, bien que les francophones soient majoritaires, la situation du français demeure toujours précaire. Deux régimes linguistiques contraires y sont appliqués. D’un côté, le gouvernement canadien promeut, au nom de l’égalité des langues, un bilinguisme à l’échelle canadienne. Dans la réalité, ce bilinguisme se traduit par un quasi-unilinguisme anglais hors du Québec et un bilinguisme relatif au Québec. De l’autre coté, le gouvernement québécois, grâce à la promotion du français comme langue de l’éducation, du travail et de l’affichage, vise à garantir que le français soit la langue commune des citoyens qui habitent le territoire du Québec.
Les IPSO n’ont cessé, à travers leurs publications, d’expliquer qu’il ne peut y avoir symétrie au Canada. C’est la situation profondément asymétrique des francophones et des anglophones au Canada que les penseurs de la Constitution de 1982 ont choisi d’ignorer. En réduisant la question linguistique à une simple question de droits individuels, ils en ont évacué toute la dimension sociale et culturelle.
Cette conception individualiste est devenue dogme, enfermant le Canada dans une espèce d’autisme national incapable de saisir le sens et la portée de la Loi 101. Les Canadiens semblent être devenus incapables de comprendre que la langue et la culture sont un héritage social avant d’être un droit individuel. Sous l’éclairage imposé par la Constitution de 1982, il semble devenu impossible de voir que les êtres humains sont des êtres sociaux, qui trouvent dans la langue et la culture de leur communauté d’appartenance, les moyens d’accéder à l’universel. Mais garantir des droits linguistiques aux individus sans garantir des pouvoirs appropriés à la communauté qui leur transmet cet héritage, c’est agir en porte à faux. Une langue a besoin, pour vivre, d’être la langue d’une communauté qui travaille, échange, communique et crée quotidiennement dans cette langue. Si une langue cesse d’être la langue d’utilité première dans une communauté, alors elle périclite, et ce ne sont pas les droits linguistiques des individus qui pourront la sauver.
Au sein de la population québécoise, et sous l’influence de la conception individualiste des droits linguistiques, les mesures mises en place par les gouvernements québécois au cours des vingt-cinq dernières années ont soulevé des oppositions qui menacent leur efficacité. Les anglophones du Québec gèrent leurs propres institutions, en particulier dans les domaines de l’éducation et de la santé. De plus ils ont la possibilité d’être jugés dans leur langue devant les tribunaux québécois et d’intervenir dans leur langue à l’Assemblée nationale. Malgré tout, certains dirigeants et activistes anglophones estiment que la protection dont jouit le français est abusive, et ils la combattent systématiquement devant les tribunaux où la loi constitutionnelle canadienne possède une priorité absolue.
Les mesures mises en place par les gouvernements québécois ont néanmoins réussi à freiner quelque peu l’assimilation des immigrants à la communauté anglophone. Ceci est un acquis, car ni la démographie, ni l’influence croissante de l’anglais à l’échelle mondiale, y compris auprès des Québécois francophones, ne jouent en notre faveur. Mais cet acquis est constamment remis en question, sinon en péril, par les pressions économiques, politiques et culturelles qui s’exercent sur les Québécois d’adoption. En somme, même si des progrès notables ont été accomplis, la situation de la langue française demeure préoccupante, et ce d’autant plus que l’État du Québec ne possède pas tous les outils législatifs et administratifs grâce auxquels il pourrait apporter les correctifs requis. Pour notre part, nous croyons que tous les citoyens, quelle que soit leur origine, ont droit à la liberté d’expression. L'État du Québec est doté à cet égard d’une Charte des droits et libertés de la personne des plus progressistes. Mais cette liberté d’expression des individus peut, à notre avis, cohabiter harmonieusement avec une légitime promotion de l’usage du français comme langue commune. Dans le contexte nord-américain, canadien et québécois, la promotion du français comme langue commune exige une législation appropriée.
De l’esprit de la loi 101 à la loi 86
Lorsque le réseau des IPSO a été créé en 1994, les porte-parole du Parti québécois promettaient l’abolition de la loi 86 et le retour à l’esprit de la loi 101. Sept ans plus tard, la loi 86 est toujours en vigueur. L’inaction gouvernementale en cette matière laisse toute la place à l’action quotidienne des défenseurs d’un bilinguisme généralisé, laisse libre cours à l’attrait qu’exerce la langue anglaise et neutralise les efforts visant la francisation des immigrants établis au Québec. Les souverainistes ne peuvent plus ignorer les puissants effets qu’a sur la société québécoise, sur l’opinion des Québécois et sur leur comportement électoral, le contexte nord-américain et canadien. Le mouvement souverainiste risque d’avaler sa langue, sa culture, et avec elles ses principales raisons de faire la souveraineté, s’il ne rejette pas à brève échéance la loi 86 en exigeant, en toute légitimité, le retour à la clause dérogatoire. Ainsi, en cas de changement de majorité parlementaire il sera plus difficile pour le nouveau gouvernement de bafouer encore davantage l’esprit de la loi 101. Rappelons que la loi 101, promulguée en 1977, vise à redresser la situation de la langue française sur le territoire québécois. Pour sa part, la loi 86, promulguée par les libéraux en 1993, a pour objectif d’harmoniser la loi 101 avec la Charte canadienne des droits, telle qu’elle est interprétée par les juges de la Cour suprême du Canada depuis 1982. La Charte canadienne est l’érection en loi fondamentale d’un principe abstrait, celui de la liberté individuelle. La loi 101 et la Constitution canadienne de 1982 ne sont réconciliables, ni dans leur contenu ni dans leur signification juridique. De plus, au Québec même, l’application de la loi canadienne C-72, promulguée en 1988, met l’anglais et le français sur le même pied et vise, au mépris de la réalité, l’égalité absolue des deux langues officielles partout au Canada.
La loi 86 n’a pas le caractère d’une loi dont l’objectif serait de redresser la situation d’une langue menacée. En maintenant cette loi, le gouvernement souverainiste endosse la politique libérale qui consiste à empêcher la situation du français de trop se détériorer sans pour autant redresser sa situation jusqu’à en faire la langue d’usage commun. Or, on a beau vouloir sauver ce qui reste de la loi 101 et décréter le français langue officielle, la loi 86 édicte une série d’exceptions qui donne, en pratique, un statut égal à la langue de la minorité. Dans le contexte nord-américain et canadien, ceci équivaut à donner à une minorité des droits menaçant ceux de la majorité. Se résigner à la loi 86, c’est se condamner à voir disparaître la langue et la culture françaises. Mais comme nous l’avons déjà souligné, si les Québécois avalent leur langue, ce qui les attend est une nouvelle provincialisation du Québec dans le cadre politique et juridique imposé au Québec en 1982.
Pour l’abolition de la loi 86 et le rétablissement de la clause dérogatoire.
Dans L’avenir du français au Québec, publié en 1987, Yves Beauchemin écrivait: « La loi 101 m’a toujours fait penser à ces barrages dont la Hollande s’est servie pour conquérir une partie du territoire sur la mer. » On retrouve dans cette métaphore des polders, l’esprit constructif qui, en 1977, imprégnait la Charte de la langue française. Le 24 août 2000, un groupe de défenseurs de la langue française publiait dans Le Devoir et dans La Presse, un plaidoyer pour le retour à l’esprit de la loi 101. Que des souverainistes se sentent obligés, 23 ans après sa promulgation, de rappeler publiquement la nature et les objectifs initiaux de la Charte de la langue française, montre bien à quel point nous nous en sommes éloignés.
La langue française est au Québec davantage qu’un mode épisodique d’expression; elle est une institution, une façon de vivre et de se concevoir en tant que peuple. Accepter de la réduire aux échanges de la vie privée, de la subordonner à un bilinguisme de la vie collective, ce serait la folkloriser. Ce serait folkloriser le peuple québécois. Maintenir les choses en l’état, c’est décider autrement qu’en 1977 et s’éloigner de la volonté de redresser la situation du français au Québec.
La Charte de la langue française affirme aussi que le statut de la langue française est une question de justice sociale. Justice pour un peuple qui, après trois siècles d’existence en terre québécoise, est maintenant soumis à une conjoncture défavorable où il doit lutter à armes inégales pour protéger ce qui, pour d’autres peuples, est un acquis inaliénable. Quoi qu’on pense des circonstances qui ont conduit à cette situation, il en résulte, pour le peuple québécois, une inégalité flagrante lorsqu’il s’agit de faire valoir ses intérêts, et d’assurer à ses descendants un milieu de vie où ils pourront eux-mêmes décider de leur avenir collectif. C’est aussi une question de justice, pour un peuple, que de pouvoir consolider les liens de solidarité qui sont à la base de toute démocratie bien comprise et de pouvoir devenir une société d’accueil pour tous ceux qui désirent en faire partie. Sans une langue et une culture communes, un peuple ne peut rêver de posséder tous les attributs d’une société démocratique, tolérante et ouverte sur le monde.
La Charte de la langue française est respectueuse des minorités, de leurs langues et de leurs cultures et, elle souligne l’importance d’apprendre d’autres langues que le français. Elle est aussi compatible, faut-il encore le souligner, avec notre Charte des droits et libertés des personnes, qui reconnaît à tous les citoyens du Québec, quelle que soient leur origine, leur religion, leur allégeance politique, des libertés et des droits égaux. Si une politique de redressement linguistique s’imposait en 1977, pour des raisons de cohérence et de justice, elle s’impose encore plus en 2001, alors que la mondialisation de l’économie rend encore plus précaire la diversité des cultures, érode les pouvoirs des États et crée un déficit démocratique.
C’est pourquoi nous demandons l’abolition de la loi 86 et son remplacement par une Charte de la langue française renforcée, dont le contenu correspondrait mieux aux besoins de la société québécoise des années 2000. Et, pour mener à bien le redressement de la situation du français au Québec, nous croyons que le gouvernement québécois ne devrait pas hésiter à utiliser la clause dérogatoire. Si elle veut contribuer au redressement du français, notre législation linguistique doit elle-même être à l’abri des assauts de ceux qui s’opposent à un tel redressement.
Au delà des contraintes légales: une politique de défense et d’illustration de la langue française.
Les IPSO ne comptent pas seulement sur les contraintes légales pour redresser la situation du français, mais également sur des mesures destinées à promouvoir le français et à l’illustrer. La défense du français n’est qu’une dimension de l’action de l'État, car aucune législation ne saurait être efficace sans l’adhésion volontaire d’une partie significative de la population. À cet égard, il incombe au gouvernement du Québec de faire partager les objectifs de la Charte de la langue française par la population et d’adopter, à cette fin, une attitude empreinte de dynamisme et de détermination.
Trop souvent, la question du français est conçue comme étant l’affaire d’un gouvernement, plus précisément, d’un gouvernement souverainiste. Mais une politique de redressement linguistique, sous peine d’être assujettie aux caprices des allégeances politiques et des changements de gouvernements, ne doit pas être pensée de cette manière. Elle doit être pensée comme étant l’affaire d’un peuple et de son désir de devenir une société ouverte sur le monde et capable d’offrir à ses membres les moyens d’une authentique démocratie. Pour rejoindre, et afficher son sens véritable, une politique de redressement linguistique doit être intégrée dans la constitution de la société québécoise.
Elle doit de facto cesser d’être l’affaire d’un gouvernement pour devenir l’affaire de l’État québécois.
En 1986, alors que le gouvernement Bourassa remettait en question la loi 101, le regretté Gaston Cholette, ancien président de la Commission de protection de la langue française, proposait que l’État québécois déclare la Charte de la langue française comme loi d’ordre public, afin d’éviter que son fardeau ne soit porté entièrement par les usagers de la langue. La loi 101 n’a qu’un statut réglementaire qui fait porter aux plaignants le fardeau de la preuve, sans l’aide du procureur général. Nous croyons que cette idée mérite qu’on l’examine de nouveau, dans le contexte d’une révision en profondeur d’un dispositif juridique qui a perdu son tranchant, depuis que les tribunaux canadiens l’ont ramené à des proportions conformes aux normes constitutionnelles de 1982.
Cette inscription dans la Constitution québécoise contribuerait aussi à modifier une autre conception de la politique linguistique en vertu de laquelle celle-ci n’est qu’une mesure provisoire en attendant la pleine souveraineté du Québec. La politique linguistique doit être vue comme une politique à long terme, à l’exemple de la Hollande qui entretient un réseau de polders pour empêcher la mer d’envahir les langues de terre gagnées au fil du temps. Au moindre assouplissement de la ligne de défense du littoral, la mer reprend le terrain perdu. En filant la métaphore, on comprend que la mer anglophone ne disparaîtra pas parce que l’État du Québec se sera donné une politique linguistique et que la « poldérisation » du territoire québécois ne peut se réaliser que par un dosage de mesures, incitatives et contraignantes.
L’État québécois dans sa forme actuelle possède les moyens de se donner une Constitution et d’y inscrire une politique déterminée, protégée par la clause dérogatoire que permet la constitution canadienne de 1982. Mais il faut définir la politique linguistique des années 2000 et il faut s’appuyer, ce faisant, sur des données objectives susceptibles de rassembler les citoyens de toutes origines dans un vaste débat autour d’un enjeu de société.
Les États généraux sont un premier pas dans la bonne direction. Ils devraient être l’occasion d’un vrai débat public sur une question d’intérêt public. On ne fait pas les États généraux de la langue à chaque année et pour le plaisir d'un petit groupe de personnes quel qu'il soit, mais pour donner à un peuple tous les outils qui lui seront nécessaires pour prendre en main de façon éclairée, son avenir en tant que société.
L’intégration sociale et linguistique des immigrants
Une des mesures cruciales prise par le gouvernement québécois actuel vise l’augmentation de la capacité de la majorité francophone à intégrer les immigrants. Présentement, la politique québécoise vise à assurer l’intégration des immigrants par l’usage du français comme langue commune dans la vie publique et au travail. Cette politique connaît un succès mitigé. En effet, on peut constater qu’un certain nombre d’allophones utilisent le français comme langue de communication publique. On peut toutefois se demander s’ils sont assez nombreux pour que leur force d’attraction amène l’intégration des autres immigrants à la communauté francophone. Et on peut aussi se demander si le gouvernement donne suffisamment d’appui à ces mesures pour fournir, à l’ensemble de la société québécoise, les incitatifs nécessaires à leur application.
L’intégration des immigrants, rappelons-le, est nécessaire, non seulement pour préserver l’existence de la communauté francophone, mais pour assurer aussi le bien-être des immigrants eux-mêmes au sein de leur société d’accueil. En effet, la maîtrise de la langue de la communauté d’accueil évite la ghettoïsation des Québécois d’adoption et leur permet d’intervenir publiquement en tant que citoyens à part entière. La présence de plus en plus importante des immigrants au Québec et principalement à Montréal doit nous inciter à penser que leur intégration, dans le présent contexte, ne peut pas se faire sans l’active participation des entreprises, des universités, et des services gouvernementaux eux-mêmes. Les grandes entreprises se tournent de plus en plus vers des entreprises sous-contractantes, ce qui a pour effet de stériliser la politique linguistique qui n’a pas de relais au sein des petites et moyennes entreprises. Le paysage linguistique, au sein et en dehors du milieu de travail, d’étude et de création, joue un rôle central face aux sentiments d’appartenance, conditionnant du même coup les réflexes d’intégration.
Pour que l’intégration des immigrants soit à la fois sociale et linguistique, il faut des mesures qui touchent directement le lieu de travail, d’où l’importance d’étendre la loi 101 aux entreprises de 50 employés et moins. Entre autres choses, ce qui freine la francisation des travailleurs immigrants, ce sont les obstacles à la syndicalisation. Le mouvement syndical est une institution de premier ordre pour socialiser rapidement les nouveaux arrivants. Il faut donc leur ouvrir les portes de cette institution. Le Code du travail doit donc être revu et corrigé afin de faciliter la syndicalisation des petites et moyennes entreprises où sont concentrés la majorité des nouveaux arrivants. Et surtout il faut que par son exemple, dans tous les domaines où il offre des services, le gouvernement fasse preuve de cohérence et donne l’image d’une société qui prend sérieusement son avenir en main. Ainsi les écoles, les universités et les entreprises seront-elles moins tentées de pratiquer une politique de laisser-faire linguistique qui, de facto, équivaut à la bilinguisation de la société québécoise.
Unilinguisme d’État et multilinguisme individuel
Une politique de redressement linguistique ne peut se faire sans contrainte, car elle consiste à « poldériser » le territoire québécois par la conquête de l’espace public. La refrancisation ne peut gagner du terrain qu’en faisant reculer le bilinguisme d’état, ce qui est possible sans nuire au bilinguisme individuel. Ceux qui dénigrent la Loi 101 font paraître l’unilinguisme comme de l’intolérance, ce que la politique unilinguiste n’est pas et n’a jamais été. Ils présentent le bilinguisme comme une vertu, sans faire la distinction entre le bilinguisme d’État et le bilinguisme individuel. Cette distinction, feu Camille Laurin la plaçait au cœur de sa pédagogie pour défendre l’unilinguisme français. Nous croyons que le gouvernement du Québec devrait imiter le père de la loi 101. L’absence de cette pédagogie politique dans le discours souverainiste actuel entretient la confusion dans l’esprit de nombreux Québécois, qui ressentent le bilinguisme utilitaire, le bilinguisme de promotion sociale, comme garant d’une sécurité que leur propre communauté linguistique semble incapable de leur promettre. Il serait souhaitable de rendre obligatoire l’apprentissage d’une deuxième langue seconde au secondaire.
Il va sans dire que la promotion de la langue française et de la culture québécoise ne prend tout son sens que dans la perspective de la souveraineté du peuple québécois c’est-à-dire dans l’édification d’une authentique société québécoise, capable de concevoir démocratiquement son avenir et de mener à terme ses projets. Par conséquent, la Charte doit devenir la Charte d’un peuple, celui du Québec, ayant une voix dans toutes les décisions qui le concerne et à quelque palier que ce soit, et représenté par un État dont la langue officielle est, de facto, le français.
Conclusion
La Charte ne peut pas être le résultat d’un pacte1 entre groupes d’intérêt, avec le lot de compromis qu’une négociation peut entraîner, ni un simple modus vivendi exposé aux moindres fluctuations dans un rapport de forces. La Charte doit être forgée pour durer, et ne plus être pensée comme une loi ordinaire, mais comme un dispositif dans une stratégie où la langue n’est pas isolée de la culture, de l’éducation, du monde du travail et de la création, de l’industrie et du commerce bref, de tout ce qui fait une société. Elle est l’acte initial d’une affirmation et d’une certitude de la part de la société québécoise. Elle confirme, à la face de tous, que l’on peut vivre en français sans hésitation et sans tremblement, sans la honte et la culpabilité du colonisé et que l’on est prêt à défendre sans faillir les idéaux de justice sociale qui inspiraient, selon ses propres mots, le docteur Laurin.
Pierre Vadeboncoeur écrivait dans Nouvelles CSN, le 26 mars 1993, cette remarque qui devrait être la clé d’analyse et d’interprétation de la Commission pour l’examen de la situation du français au Québec et pour l’élaboration des propositions qu’elle soumettra au gouvernement:
« Quand comprendra-t-on que la défense de la langue française n’est pas pour nous uniquement une question de culture? C’est au premier chef une position politique de portée générale. Le français est le ciment de notre résistance politique, le liant de notre cohésion historique générale. Il est une de nos principales forces. Nous n’avons tout simplement pas l’intention de jouer avec ça. Il n’est pas question de laisser aller cette force par morceaux. »
Recommandations
- L’ÉTAT
1 – Que la loi 101 soit déclarée d’ordre public, ce qui permettrait au gouvernement de faire respecter la loi sans devoir attendre la plainte d’un citoyen.
2 – Que les organismes gouvernementaux et paragouvernementaux ne communiquent qu’en français avec les personnes morales établies au Québec.
3 – Que le gouvernement mette fin à la bilinguisation croissante de ses services.
- LES MUNICIPALITÉS
4 – En ce qui concerne l’attribution du statut linguistique des municipalités et des arrondissements, que les principes qui guident la loi 170 soient appliqués sans aucune exception.
- L’ENSEIGNEMENT
5 – Que l’on intensifie les efforts pour améliorer l’éducation à la langue française (enseignement du français, de la littérature et de l’histoire québécoise et française) à l’école française.
6 – Que l’enseignement en anglais des matières autres que l’anglais ne soit pas permis dans les écoles françaises, exception faite des projets particuliers.
7 – Que l’on maintienne la pratique selon laquelle l’enseignement de l’anglais débute au deuxième cycle du primaire dans les écoles francophones.
8 – Que les présentes règles d’admission à l’école anglaise soient étendues à tous les niveaux pré-universitaires.
9 – Que l’on améliore l’enseignement du français à l’école anglaise et de l’anglais à l’école française.
10 – Que l’on institue l’enseignement d’une deuxième langue seconde dans toutes les écoles à partir du secondaire.
11 - Que l’école primaire privée non subventionnée cesse d’être la porte d’entrée de l’école publique de langue anglaise.
- LE TRAVAIL
12 – Que la francisation soit étendue aux entreprises de dix employés et plus et que les dispositions à l’égard des entreprises de 50 employés et plus soient renforcées afin de les faire respecter.
13 - Que les employeurs soient tenus de s’adresser en français aux membres de leur personnel.
14 – Que le fait de ne pas connaître une langue autre que le français ne soit en aucun cas un motif de congédiement.
15 – Que le fait pour une entreprise de ne pas posséder, après le délai requis, un certificat de francisation soit sanctionné.
16 – Que l’on ne puisse exiger la connaissance d’une ou de plusieurs langues autres que le français pour l’obtention d’un emploi que dans les cas clairement justifiés par la nature de l’emploi.
- LE COMMERCE
17 – Que soit rétabli l’affichage commercial en français seulement.
18 – Que le français soit obligatoire dans l’étiquetage commercial, sauf dans le cas des exceptions prévues par la loi.
19 – Que les appareils de bureau (logiciels et autres outils technologiques), les appareils ménagers et les tableaux de bord des automobiles affichent en français.
- LA SOLIDARITÉ FRANCOPHONE
20 – Que le gouvernement stimule vigoureusement la solidarité avec les francophones du reste du Canada, les Français, les autres peuples de la francophonie et les francophones des États-Unis.
21 – Que soient intensifiés les efforts en vue d’attirer les immigrants francophones et francophiles ayant manifesté leur volonté de vivre en français au Québec.
Notes
1. Cette tendance à l’assimilation, et celle, pire encore, que l’on observe dans les autres provinces canadiennes à l’exclusion du Québec et du Nouveau-Brunwick, est confirmée par les données de Statistique Canada depuis 1971, année où l’on a introduit au formulaire de recencement une question sur la langue parlée au foyer.
2. Comme le suggèrent souvent ceux qui, sans doute bien intentionnés mais ignorant la nature des enjeux, proposent aux Québécois de faire « un deal » avec les canadiens
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