Papineau. Son influence sur la pensée canadienne/Chapitre XV
Son influence sur la pensée canadienne
essai de psychologie historique
Nous n’avons pas l’intention d’écrire une histoire circonstanciée de la révolution de 37-38, forcément incomplète, puis que le gouvernement détient des documents inédits sur cet événement d’une si haute importance pour notre pays. Ces précieux papiers projetteront-ils plus de lumière ou plus d’ombre sur les acteurs de la tragédie ? Mais il importe peu que celui-ci ait trahi, que cet autre ait été pris de défaillance devant la mort ! Sans nous préoccuper des détails, attachons-nous à l’ensemble de ce plan conçu par le destin, sans ordre apparent, avec incohérence même et qui réussit par des moyens inattendus. Comme nous l’avons vu, l’opinion nationaliste, en possession d’une forte majorité en Chambre, protestait avec une énergie croissante contre la tyrannie anglaise. Elle signalait à l’indignation publique, en des discours virulents et dans la presse, la violation flagrante et permanente du pacte constitutionnel, revendiquait sans se lasser le droit de l’assemblée élective à contrôler l’emploi des deniers du peuple, contestait la légalité de toute affectation qu’elle n’avait pas contrôlée, refusait de payer à même les revenus de la nation des salaires exagérés aux créatures du gouvernement, cumulards pour la plupart, et qui faisaient des largesses avec les terres de la Couronne, comme s’ils avaient été les maîtres absolus du pays. Il devenait évident que la ploutocratie anglaise et loyaliste entendait disposer de notre province sans la participation de ses représentants. Québec s’alarmait avec raison et entretenait par des articles passionnés le mécontentement général qui se traduisait par une hostilité sourde contre les tyranneaux. Les Canadiens réalisaient la gravité de l’heure. Ils ne pouvaient, sans humilier la fierté nationale, remettre à des étrangers l’administration de leurs affaires et la manipulation de leur argent. Cette abdication de leurs droits les plus élémentaires entraînait fatalement l’abaissement de la race, c’est ce que ne veulent pas comprendre les détracteurs de la révolution.
Jamais l’âme canadienne ne fut consciente comme à ce moment de ce que lui réservait l’avenir, si elle ne s’insurgeait pas contre la volonté anglaise, dont l’étau se resserrait pour l’étouffer. Jamais, à aucune époque de notre histoire, de si puissantes émotions ne se sont déchaînées en elle. Labourée jusqu’en ses profondeurs, fouettée de souffles impétueux, elle ne pouvait plus se contenir dans les bornes de la prudence et de la modération. Les orateurs populaires lui citaient l’exemple des États-Unis, reconquis à la liberté par un effort d’énergie, celui de la France qui se débarrassait violemment de la tyrannie séculaire. Devant cette émancipation universelle, comment les Canadiens seraient-ils restés calmes, quand ils avaient plus de motifs que tous pour se révolter ? Eux aussi voulaient boire le verre de sang libérateur. Il est évident que pendant ces crises d’exaltation, la volonté d’un peuple perd l’harmonie de son fonctionnement normal et procède par impulsions brusques qui donnent l’impression d’une force déréglée. Mais ces mouvements, comme ceux de la marée et des astres, sont ordonnés par une puissance invisible, sinon par la fatalité. C’est l’activité féconde d’un peuple qui veut se libérer de ses entraves. Ce qu’on appelle folie collective n’est que l’excès d’une vitalité supérieure qui veut se creuser un lit, par le fracas de son torrent. Qu’elle est riche cette sève qui bout alors dans les veines de notre jeune nation ! Mais nos « petits vieux » s’offusquent de cette exubérance et s’affligent de ce rebondissement inespéré de notre race. Ils aimeraient mieux attribuer notre délivrance à un miracle que de la devoir au courage de nos héros, qui la méritèrent par leur dévouement, leur générosité et leurs souffrances. Amour de la liberté et de la patrie, foi dans la survivance de notre race ! Un peuple qui porte tout cela dans son cœur peut bien délirer par moments ! Quel cerveau ne se troublerait pas aux fumées d’un vin aussi capiteux !...
Les hommes qui firent la révolution différaient de ceux qui en conçurent l’idée. C’étaient des gens d’ignorance, robustes, plus préoccupés du but que des moyens à prendre pour l’atteindre. Dans le vide de leurs cerveaux frustres, deux ou trois paroles enflammées de Papineau sonnaient comme des grelots. Ils ne soupçonnaient pas l’infinie complexité des problèmes sociaux, à la réalisation desquels ils travaillaient obscurément. Gens de la glèbe, jardiniers, agriculteurs et bûcherons, ils avaient cultivé la terre, sans regarder par dessus la charrue. On leur disait qu’ils avaient des droits imprescriptibles à ce sol par eux fécondé, et dont ils étaient les premiers occupants. Ils se croyaient des vaincus; on leur fit comprendre qu’il ne tenait qu’à eux d’imposer leurs conditions aux maîtres.
A époques fixes, Papineau avait passé dans les campagnes pour préparer les voies au grand événement. Ses paroles avaient fermenté tout au fond de leur âme comme le raisin au temps des vendanges. Les simples, les voilà partis, galopant à brides abattues sur leur chimère, à travers l’impossible, en plein champ d’enthousiasme. Chaque jour, s’ancrait en eux la résolution de résister par tous les moyens à l’envahissement de l’étranger. Les visites de Papineau ne suffisaient plus à alimenter leur flamme dévorante; ils prenaient le moindre prétexte pour se réunir et parler en petits et en grands comités afin de traiter de la question passionnante qui hantait continuellement leur esprit. Sur le perron de l’église, le dimanche, à l’auberge du vinage, sur la place du marché, ils se portaient en foule, pour entendre le récit des griefs de chacun et se communiquer les dernières nouvelles de la situation politique. Papineau n’était pas seul à prêcher l’évangile de la révolution : son esprit était passé en d’innombrables disciples. Par ces nouvelles voix, il parlait à tout le Canada à la fois.
Comme on s’y attendait, l’insurrection éclata à Montréal, chauffé à blanc par le chef révolutionnaire et témoin des exploits belliqueux de la soldatesque anglaise. Un simple incident, provoqué par les Fils de la Liberté, mit le feu aux poudres. Les membres de cette société se recrutaient parmi les hommes de profession, les bourgeois, et les libéraux éclairés, qui voulaient des réformes à tout prix. Elle se grossit ensuite de tous les mécontents, à quelque classe qu’ils appartinssent, tous amateurs de discours violents. Il arrive que des gens turbulents et emportés sont inoffensifs tant qu’ils sont dispersés, mais groupez-les c’est autre chose. Ils s’excitent les uns les autres, et se portent à des actes regrettables. Un instinct sûr amenait là les haineux, les vindicatifs, tous ceux qui avaient eu maille à partir avec les autorités, et ils étaient nombreux, trop heureux de servir les rancunes d’autrui et de venger en même temps leurs griefs personnels. L’association leur fournissait une tribune pour exhaler leurs récriminations. Un auditoire, animé des mêmes haines, frémissait des mêmes espérances. C’étaient des conspirateurs, en somme, qui se faufilaient à l’ombre des maisons, entre chien et loup, pour assister aux séances tenues secrètes. Parmi eux, on comptait un certain nombre d’imberbes avec la gravité d’hommes mûrs, pénétrés de la grandeur de leur mission. Au milieu d’un air épais, saturé de fortes odeurs de tabac, l’assemblée s’agitait dans sa hâte d’entendre l’orateur — n’importe qui — car tous pour l’occasion étaient orateurs. On applaudissait tout le temps, avant, pendant et après le discours, et l’on faisait ensuite une ovation à l’orateur. Parfois, un délégué des sociétés-sœurs lisait un rapport des nouvelles opérations dans les campagnes, mais la « maison mère », comme ils l’appelaient, était à Montréal. Là, s’élaborait la pensée directrice, que l’on transmettait ensuite aux sociétés affiliées. Ainsi, s’était formé comme un réseau souple et serré, au centre duquel se trouvait Papineau. Une sorte de toile d’araignée enlaçait tout le district de Montréal.
Ce soir du 7 novembre, 1837, Les Fils de la Liberté étaient tous réunis à l’hôtel Bonacina, rue Saint-Jacques. L’assemblée était particulièrement houleuse. Soudain, un des membres, placé en sentinelle à une fenêtre, aperçut des constitutionnels qui les épiaient avec l’intention évidente de leur faire un mauvais parti. Il s’empressa de donner l’alarme à l’assistance qui crut plus sage de devancer l’attaque en prenant eux-mêmes l’offensive. Le temps de le dire, les patriotes s’étaient précipités dans la cour de l’hôtel, et à défaut de balles faisaient pleuvoir une grêle de cailloux sur les écornifleurs. Un coup de feu parti inopinément, on ne sait de quel clan, fut le signal du combat entre patriotes et constitutionnels. Un autre coup de feu, aussi accidentel, alla loger une balle dans la poche d’habit d’un Anglais, ce qui acheva de gâter les choses. Deux citoyens anglais, ralliés au parti national, M. Brown et M. Hoofstetter, furent particulièrement maltraités dans la bagarre.
Les Fils de la Liberté après avoir chassé les espions, mis en belle humeur guerrière, s’en furent briser les carreaux de la maison du Dr. Robertson, un bureaucrate reconnu, et les vitres d’un magasin, propriété d’un M. Bradley, quand les membres du Doric Club, une association de loyalistes, avertis des dangers que couraient les loyaux, se portèrent à leur secours. Les patriotes croyant que leurs adversaires étaient plus nombreux et mieux armés, détalèrent prudemment, en passant par la rue Saint-Laurent. Mais arrivés à la rue Dorchester, les fuyards furent rejoints par les bureaucrates, et une bagarre sanglante s’en suivit. Les Doric, naturellement, eurent le dessus et dispersèrent leurs agresseurs. Les vainqueurs à leur tour firent des randonnées dans la ville. En passant près de la maison où d’habitude, les patriotes se réunissaient, ils décidèrent d’un commun accord de s’emparer des armes qui s’y trouvaient. Ils se rendirent chez M. Papineau et prirent sa demeure d’assaut. Ils auraient même porté la main sur le chef révolutionnaire, sans le secours des soldats du roi qui vinrent le tirer de cette impasse. C’était la deuxième fois, que l’on attentait à ses jours et, saccageait sa maison. Après cet exploit, les Doric allèrent briser les presses du Vindicator, un journal patriote, et éparpillèrent les caractères dans les rues. Précieuse semence qui devait lever avant peu. Ces forcenés prenaient plaisir à terroriser les inoffensifs citoyens, les femmes, surtout. Parfois, on voyait un coin de la toile blanche collée aux vitres se soulever, et une coiffe en mousseline, un bonnet de coton apparaissaient effarés, ou l’œil d’un enfant blanc de peur interrogeait l’horizon.
La rue n’était pas sûre, dans les maisons on tremblait de frayeur. Au milieu de la nuit, des coups de poing retentissaient aux portes et faisaient trembler les contre-vent : « Ouvrez vite, pour l’amour de Dieu, je suis poursuivi par les Anglais ! Cachez-moi... » C’était la voix d’un ami, d’un parent, d’un inconnu. On tirait le verrou en tout hâte, on mettait le fuyard entre deux paillasses, dans l’horloge, dans la cheminée, dans les placards. Quelles visions de sang, de larmes, de lueurs incendiaires, défilaient sans cesse devant les yeux de ces pauvres gens, la nuit comme le jour.
Ces premiers exploits des Fils de Liberté et l’approbation que leur donnait la presse excitèrent l’irritabilité des gouvernants. Les autorités lancèrent des mandats d’arrestation contre MM. Papineau, Nelson, O’Callaghan et Morin. Gosford offrait mille louis pour la tête de Papineau, 500 louis pour les têtes de S. Brown, E. B. O’Callaghan, C. H. Coté de Napierville, L. F. Drolet de Saint Marc, J. G. Girouard de Saint-Benoit, W. H. Scott de Saint-Eustache, Edouard Rodier, Amury Girod, suisse, Julien Gagnon de l’Acadie, Pierre Amyot de Verchères, Timothée Franchère de la Pointe-Olivier, Louis Perrault, A. Gauvin, Louis Gauthier, R. Desrivières, de Montréal.
Il se passa un incident qui ne mit pas les rieurs du côté des Anglais : M. Démarais et le Dr Davignon de Saint-Jean, ayant été accusés de haute trahison et poursuivis pour tel, par les agents du gouvernement, ne semblaient pas disposés à céder leur peau à bon compte. Le gouvernement chargea un détachement de la cavalerie volontaire de Montréal, sous les ordres du capitaine Moulton, d’aller arrêter les insurgés. Ces braves réussirent leur magnifique exploit. Le docteur Davignon et M. Démarais tombèrent entre leurs mains. Ils ramenèrent triomphalement leurs prisonniers par le plus long chemin pour étaler leur gloire et la faire durer plus longtemps. Mais il arriva que la population, qu’on voulait tout à la fois émerveiller et terroriser, fut indignée, au contraire, de cette lâcheté : toute une escouade de soldats pour s’emparer d’un homme sans défense !... II n’y avait pas lieu vraiment pour les « habits rouges » de dresser leur crête, de bomber leur pectoral dans cette pavane ridicule... Ils allaient toujours du pas solennel des processions, quand un jeune homme surgit soudain de la forêt et sauta à la bride du cheval qui conduisait la voiture où se trouvait le captif : « Arrêtez ! » cria-t-il. En même temps des coups de fusil éclatèrent derrière une clôture où s’étaient tapis quelques patriotes. Les cavaliers affolés éperonnèrent leurs montures. Le défilé majestueux se débanda dans un sauve-qui-peut général. Les Anglais, sans regarder en arrière, sautèrent les ponts, les fossés, les décharges, comme s’ils avaient eu le diable à leurs trousses. Quand ils arrivèrent à Montréal, à la place du Manège, leurs chevaux s’abattirent sous eux, blancs d’écume. Un détail assez important, les Anglais avaient perdu leurs prisonniers en route.
Lorsqu’on apprit cette équipée des volontaires, l’hilarité fut générale. Comment ! tant de guerriers, avec leurs mousquets, n’avaient pas eu raison de quelques hommes si piètrement armés ! On en conçut un double sentiment, d’orgueil pour la valeur canadienne, et de mépris, pour la couardise des loyalistes. Quand maintenant ces derniers paradaient dans les campagnes les paysans s’en moquaient et leur lançaient en guise de fleurs, des légumes trop mûrs, des œufs pourris et autres projectiles malodorants. Cette prouesse des guerriers couleur de homards cuits déclencha avec un fou rire le mouvement insurrectionnel dans le district de Montréal. En quelques heures, Napierville, Saint-Eustache, Saint-Jean, Saint-Denis, Sorel, Chambly, Longueuil, Laprairie, Saint-Valentin, Boucherville, Saint-Césaire, Saint-Ours, Châteauguay, Saint-Athanase mobilisèrent, c’est-à-dire que les soldats improvisés fouillèrent les caves et les greniers pour y dénicher de vieux fusils rouillés qui rataient deux coups sur trois. Pour s’entretenir la main, dans les entr’actes, ils se livraient à de légers engagements, en attendant le moment de livrer les batailles décisives, qu’ils désiraient avec impatience. Ils eurent le tort de gaspiller inutilement leur poudre et de laisser le temps à l’ennemi de concentrer ses forces pour l’attaque inévitable.
Du 16 novembre 1837 au 16 mai 1840, il y eut dans la seule prison de Montréal, au-delà de douze cents incarcérations. Parmi ceux qu’on avait mis à l’ombre se trouvaient François Bossu-Lionais, George de Boucherville, Louis Michel Viger, Côme Séraphin Cherrier, Dr Jacques Dorien, le sergent Rodolphe Desrivières, Luc et Damien Masson, le notaire Cardinal. William Scott, Louis Courcelles, J. Berthelet, Chevalier de Lorimier, Louis de Coigne, Dr Léonard, M. Brown, Peter O’Callaghan, Louis Papineau, Jean Félix Labrie, François Fournier, Bonaventure Viger, Charles Mareil, François Duquette, Maurice Le Pailleur, F. X. Dubord, le notaire Girouard, les avocats L. H. Lafontaine, Denis B. Viger et Charles Mondelet, Louis Coursolles, Pierre de Boucherville, le notaire La Badie, Michel Bourbonnière, Dr Lacroix, Joseph Emery Coderre, Édouard R. Fabre, François Paradis, Antoine Coupal, Félix Poutré, Charles Hindelang, Joseph Marceau, J. B. Lukins, l’abbé François Turcotte, vicaire à Sainte-Rose, F. X. Prieur faits prisonniers avant et après les batailles.
Tous ces insurgés, qu’on avait mis dans la geôle au moment psychologique, et dont plusieurs se trouvaient être des meneurs, et des gens notoires constituaient une force immobilisée dont les rebelles ne pouvaient tirer parti. II est certain que si l’on avait pu mettre toute la province sous verrous, on se serait payé ce luxe quel qu’en fut le prix. Mais c’était déjà gentil que de réduire à l’impuissance une aussi notable partie de la population. Comme on le voit, le « Boyish trick » ainsi que les Anglais se plaisaient à appeler subséquemment la révolution, quand leur frousse fut passée, commençait à dépasser les limites d’une simple espièglerie. Mgr Lartigue en convient dans une de ses lettres pastorales, qu’il adressait à ses ouaille pour calmer une agitation qu’aucune puissance humaine déjà ne pouvait contenir :
Ne vous laissez pas séduire, si quelqu’un voulait vous engager à la rébellion contre le gouvernement, sous prétexte que vous faites partie du peuple "souverain"; la trop fameuse convention Nationale de France, quoique bien forcée d’admettre la souveraineté du peuple, puisqu’elle lui devait son existence, eut soin de condamner elle-même l’insurrection populaire en insérant dans la Déclaration des droits de l’homme, en tête de la constitution de 1795 "que la souveraineté réside, non pas dans une partie ou même dans la majorité du peuple, mais dans l’universalité des citoyens." Or qui oserait dire que dans ce pays, la totalité des citoyens veut la destruction du gouvernement ?
Une question n’est pas une affirmation. L’évêque, évidemment, veut jeter de l’huile sur la mer. Il n’ose pas affirmer que la totalité des habitants du Bas-Canada fût hostile à l’absolutisme établi, mais il admet tacitement que la majorité des citoyens voulaient renverser le gouvernement. Vu les circonstances, il lui était difficile de se prononcer plus catégoriquement. Mgr Lartigue fait des subtilités nécessaires, car après avoir été en faveur de la révolution, force lui était, pour la condamner, de jouer sur les mots. C’est étrange pour un prince de l’église de s’inspirer des droits de l’homme afin de justifier la rébellion et sa participation implicite au mouvement. Il est assez rare qu’on puisse rencontrer l’unanimité, surtout dans un pays mixte depuis cinquante ans.
Le district de Québec se contint dans les bornes d’une indignation platonique, mais le district de Montréal se leva comme un seul homme contre le pouvoir tyrannique des Anglais, ainsi que le témoignent les douze cents personnes jetées en prison, nombre qui représente à peu près le dixième de la population en état de porter les armes. Mgr Lartigue a donc raison de ne pas préciser, plus qu’il le fait, le nombre de gens qui se sont révoltés contre l’autorité et d’abandonner à l’histoire le soin de décider si c’est la majorité ou la totalité des citoyens qui voulaient la révolution.
Les Anglais n’ont pas cru à un simple feu de paille, puisqu’ils déployèrent un luxe de pompes sanguinaires pour l’éteindre. On ne fait pas brûler deux villages, ni pendre dix-sept rebelles pour terroriser une population qui ne pense pas à se révolter. On ne met pas à feu et à sang une province que l’on veut conserver, le lendemain de la déclaration d’indépendance des États-Unis, si au moins la majorité des citoyens n’a pas été engagée dans le mouvement.
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