Pétition des comtés des districts de Montréal et des Trois-Rivières

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Pétition des comtés des districts de Montréal et des Trois-Rivières
Janvier 1828




Source : Rapport du comité choisi sur le gouvernement civil du Canada - Appendice No. 2, p. 350-355 et [1]. Il s'agit d'une pétition des habitants du Bas-Canada en dénonciation de l'administration du gouverneur Dalhousie. Voir également la Pétition des comtés du district de Québec et du comté de Warwick, district de Montréal.



A LA TRÈS EXCELLENTE MAJESTÉ DU ROI,

La pétition des soussignés fidèles et loyaux sujets de Votre Majesté résidents dans le Bas Canada.

QU'IL PLAISE À VOTRE MAJESTÉ.

Dans une partie éloignée des immenses domaines de Votre Majesté, il existe un peuple peu nombreux, il est vrai, mais fidèle et loyal : il jouit avec orgueil et reconnaissance, sous la domination de Votre Majesté, du noble titre de sujets britanniques, qui lui a été conféré sous le règne de votre père1 de glorieuse mémoire, avec tous les droits qui font de ce titre un objet d'envie.

Plus ce bienfait était grand, plus votre bon peuple du Bas-Canada a cru devoir montrer de reconnaissance : l'histoire est là pour déposer en notre faveur : laissons lui le soin de prouver que nous avons deux fois empêché ce pays de passer sous une domination étrangère.2

Reconnaissants de l'inestimable présent que nous a fait la mère-patrie en nous accordant notre constitution, convaincus qu'elle peut faire le bonheur de vos fidèles sujets en Canada, le premier de nos vœux est de la conserver intacte et de jouir librement des droits précieux qu'elle nous assure.

Parmi les droits inhérents au titre de sujets britanniques, celui de pétition est un des plus importants et des plus sacrés : il assure au plus pauvre individu le droit d'être entendu et l'espoir de la justice lors même qu'il se plaint des personnes les plus élevées en dignité. La voix de tout un peuple sera sans doute encore plus puissante, lorsqu'elle parviendra aux pieds de votre trône, et qu'elle révélera à Votre Majesté que l'oppression peut exister sous son Gouvernement paternel.

L'éloignement où nous sommes du siège de l'empire, et l'espoir d'un changement pour le mieux, nous ont engagés jusqu'à ce jour à un pénible silence; mais l'excès du mal nous force enfin à le rompre. Il ne convient pas au caractère de Sujet Britannique de souffrir servilement l'oppression : la patience dans ce cas n'est une vertu que pour des esclaves.

Nous venons déposer à vos pieds nos justes plaintes contre Son Excellence George comte de Dalhousie. Chargé par vous-même de vous représenter dans votre colonie, et de nous faire éprouver les bienfaits du gouvernement de Votre Majesté, il s'en faut de beaucoup, malheureusement pour nous, qu'il ait rempli la haute mission dont vous l'aviez gracieusement chargé pour le bonheur de vos fidèles sujets Canadiens.

Il a, pendant son administration, commis différents actes arbitraires, tendant à aliéner l'affection des fidèles sujets de Votre Majesté, et subversifs du Gouvernement tel qu'établie par la loi dans cette province.

Il a, par warrant ou autrement, tiré des mains du receveur-général de cette province, des sommes considérables sans y être autorisé par la loi.

Il a, volontairement et méchamment, tronqué, supprimé, gardé, par-devers lui et soustrait à la connaissance du parlement provincial, divers documents et papiers publics nécessaires à la dépêche des affaires et au bon gouvernement de cette province, et ce au grand détriment du service public et au grand préjudice des sujets de Votre Majesté en la dite province.

Il a volontairement et en violation de son devoir envers son souverain et ses fidèles sujets en cette province, conservé dans l'exercice de ses fonctions, John Caldwell, écuyer, ci-devant receveur-général, entre les mains duquel le revenu public de cette province était versé, en vertu de la loi et des instructions royales, longtemps après que ce fonctionnaire public avait avoué sa malversation et déclaré son incapacité de satisfaire aux demandes faites conte lui pour le service public : et ce au grand détriment des habitants de cette province, et au grand préjudice du service, et de la foi publique.

Il a en opposition à la pratique constante du gouvernement de Votre Majesté, et en violation de son devoir comme administrateur du gouvernement de cette province, nommé John Hale, écuyer, pour remplacer le dit John Caldwell, comme receveur-général, sans exiger ni requérir de lui les sûretés ordinaires requises pour assurer la due exécution des devoirs de cette place.

Il s'est en différents temps servi de son autorité comme Commandant en chef, pour influencer, intimider les habitants de cette province dans l'exercice de leurs droits civils et politiques.

Il a comme commandant en chef renvoyé et disgracié un grand nombre d'officiers de milice dans la province, sans cause juste, ou raison suffisante.

Il a sans cause, ou raison suffisante, arbitrairement et despotiquement, renvoyé et privé plusieurs officiers civils des places de confiance et de responsabilité qu'ils occupaient, et ce au préjudice de ces officiers du service public.

Il a maintenu et conservé, conserve et maintient en place, plusieurs fonctionnaires publics, après qu'il a été prouvé que leur nomination à telles places, ou que leur conduite dans l'exercice de leurs fonctions étaient préjudiciables au service de Votre Majesté et aux intérêts de ses Sujets dans cette Province.

Il a multiplié dans des temps de tranquillité, et sans aucune nécessité, des Cours spéciales d'oyer et terminer, outre les termes réguliers et ordinaires des Cours criminelles établies par la loi, imposant par là un fardeau considérable aux Sujets de Votre Majesté, et une dépense énorme à la Province.

Il a, par des prorogations et dissolutions subites et violentes du Parlement provincial, nui aux intérêts Publics de cette province, retardé ses progrès, empêché la passation d'actes utiles : Il a dans ses discours lors de telles prorogations faussement accusé les représentants du peuple, afin de les décrier dans l'opinion de leurs constituants et dans la vue de créer auprès du gouvernement de Votre Majesté des préjugés défavorables à la loyauté et au caractère des Sujets Canadiens de Votre Majesté : Il a toléré et permis que les gazettes du gouvernement publiées sous son autorité ou sous son contrôle, portassent journellement les accusations les plus fausses et les plus calomnieuses contre la Chambre d'assemblée, ainsi que contre tout le peuple de cette province.

Il a par le même moyen menacé le pays d'exercer la prérogative royale d'une manière violente, despotique et désastreuse, c'est-à-dire, de dissoudre continuellement, ou selon l'expression insultante de ces menaces, de chasser le corps représentatif jusqu'à ce que les francs-tenanciers et les propriétaires se vissent obligés de choisir pour représentants, non plus ceux qui auraient leur confiance, mais ceux qui seraient disposés à tout accorder à l'Exécutif et à lui sacrifier le droit qu'a le peuple de cette province, agissant par ses représentants, de déterminer quelle somme des deniers publics l'administration aura le droit de dépenser, et d'assurer l'emploi fidèle de ces deniers; ou bien qu'il punirait la province en rejetant les bills passés par les représentants du peuple pour l'avantage général, jusqu'à ce qu'ils abandonnassent le droit de fixer et de contrôler la dépense; et que les magistrats et les juges du pays seraient, aussi bien que les bas officiers, destitués des hautes et importantes places qu'ils occupent, et qui, dans l'intérêt public comme dans l'intérêt des particuliers, exigent l'indépendance et l'impartialité la plus absolue, s'ils n'étaient pas agréables à la présent administration.

Il a, conformément à la politique vindicative ainsi avouée par ces écrivains par lui employés, puni en effet le pays, en ne donnant point la sanction Royale à cinq bills d'appropriation pour aider les progrès et l'amélioration du pays en 1826, auxquels Votre Majesté a bien voulu depuis donner sa sanction, et en permettant à ses conseillers exécutifs et autres personnes sous son contrôle et possédant des places durant plaisir3, de se servir de leur prépondérance dans le Conseil législatif dont ils sont aussi membres, pour supporter cette politique vindicative et rejeter en 1827, tous les bills d'appropriation pour l'avancement de la province et pour des objets de charité qui avaient été passés annuellement depuis une grand nombre d'années.

Il a violé les franchises électives des habitants de cette province, en essayant directement et indirectement d'influer sur l'élection des membres de la Chambre d'assemblée de cette province.

Il a enfin, par tous ces divers actes d'oppression, créé dans tout le pays un sentiment d'alarme et de mécontentement, déprécié l'autorité du pouvoir judiciaire dans l'opinion publique, affaibli la confiance du peuple dans l'administration de la justice, et inspiré dans toute la province un sentiment insurmontable de méfiance, de soupçon et de d'égout contre son administration.

Nous osons donc supplier Votre Majesté de vouloir bien prendre en sa royale considération les vexations qu'ont éprouvées vos fidèles sujets dans cette partie éloignée de vos domaines. Pressés sous le poids de tant d'actes d'oppression nous avons cru devoir supplier Votre Majesté de vouloir bien, pour l'intérêt de son service dans cette colonie, et l'avantage de ses fidèles sujets y résidant, rappeler pour toujours son Excellence le gouverneur en chef, comme ne pouvant plus jouir de la confiance publique dans cette province, ni en administrer le gouvernement avec honneur pour la Couronne ou avec avantage pour le peuple.

QU'IL PLAISE À VOTRE MAJESTÉ.

Privés comme nous le sommes maintenant, par la prorogation du Parlement provincial, des services publics de nos représentants, des services que nous avions droit d'attendre de leur zèle connu pour les intérêts de la province, et de leur patriotisme éprouvé, nous sommes dans la nécessité de soumettre nous-mêmes à la bienveillante considération de Votre Majesté, quelques objets que nous estimons de la plus haute importance pour le bien être du Pays, objets qui tendent également à assurer le bonheur du peuple, et à rendre cette colonie plus utile à l'Empire britannique, ce qui ne peut qu'intéresser le cœur royal de Votre Majesté, sous le double rapport de père de son peuple et de chef suprême d'un puissant empire.

L'éducation est le premier des biens qu'un père puisse donner à son fils, le premier des biens qu'une législation éclairée puisse assurer aux peuples. En rendant justice aux efforts qui ont été faite dans ce pays vers cet objet important, par plusieurs corps et par un grand nombre de particuliers, on ne peut cependant disconvenir que l'éducation publique n'est pas encouragée dans ce pays en proportion de ses besoins. Et pourtant la province n'était pas dépourvue de moyens : la munificence des rois de France et les bienfaits de quelques particuliers n'avaient rien laissé à désirer à ce sujet. Des fondations vraiment royales tant par leur objet que par leur étendue, assuraient à ce pays des ressources suffisantes pour le temps, et croissantes avec les besoins de la population. Depuis l'extinction de l'Ordre des jésuites en ce pays, ses biens sont passés aux mains du Gouvernement de Votre Majesté. Votre Majesté peut seule les rendre à leur première, à leur bienfaisante destination. Nous l'en supplions très humblement. Qu'il ne puisse pas être dit que cette province a été privée sous le gouvernement du Roi constitutionnel de la Grande-Bretagne, des bienfaits que le roi absolu de la France lui avait conférés pour l'éducation de ses habitants.

Un des droits naturels, fondamentaux, inaliénables des sujets britanniques, un des titres de leur gloire et de leur sûreté, c'est le droit de se taxer eux-mêmes et de contribuer librement aux charges publiques selon leurs moyens. A ce titre naturel nous joignons encore les droits résultants de la loi écrite, des actes du Parlement impérial qui déclarent que l'Angleterre renonce à imposer des taxes dans les colonies, et qui donnent à cette province le droit de faire des lois pour sa tranquillité, son bonheur, et son bon gouvernement. Nous supplions humblement Votre Majesté d'excuser notre témérité, ou bien plutôt d'approuver la confiance en votre justice et en celle du Parlement impérial, qui nous engage à nous plaindre de ce que ces droits ont été lésés d'une manière grave par des actes du Parlement impérial. Nous faisons allusion surtout à l'Acte de commerce du Canada, passé dans la troisième année du règne de Votre Majesté, ch. 119, et à celui des tenures des terres, passé dans la sixième année du règne de Votre Majesté, ch. 59, contre lequel nous avons déjà adressé par la voie de nos représentants à Votre Majesté nos humbles réclamations : l'un établit directement des impôts dans cette colonie, et les rend perpétuels sans la participation du Parlement provincial; l'autre touche à des objets de législation intérieure sur lesquels nous croyons humblement que la législature coloniale avait pleine juridiction.

Nous croirions, Sir, mériter bien peu les inestimables bienfaits que nous procure la constitution qui nous régit, si nous ne faisions tous nos efforts pour la conserver intacte. C'est prouver combien nous en sentons tout le prix.

La cumulation dans une seule et même personne de plusieurs places importantes dans ces colonies et qui nous semblent incompatibles, est un obstacle virement senti, un obstacle considérable au bon gouvernement de cette province. Nous voyons dans ce Pays les places de juges du Banc du roi, de Conseillers exécutifs et législatifs, possédées par la même personne. Nous croyons humblement que ces hautes fonctions devraient être exercées isolément au lieu d'être cumulées : que des Juges bornés aux importantes fonctions de leur état ne devraient pas siéger dans les Conseils : que les Conseillers législatifs ne devraient pas être admis au Conseil exécutif, et vice versa : qu'il serait convenable que les juges fussent plus indépendants, sujets seulement avec les autres grands fonctionnaires publics à un tribunal établi dans la province pour juger des impeachments.

Nous avons déjà fait des représentations et des démarches concernant ces différents objets par le moyen de nos représentants dans la Chambre d'assemblée. Les mesures par eux proposées ont échoué dans les autres branches de la législature. Nous supplions humblement Votre Majesté de vouloir bien prendre en sa considération royale les maux nombreux qui doivent inévitablement résulter de cette distribution impolitique, et peu sage de tous les pouvoirs du gouvernement afin qu'étant très-justement condamnés par Votre Majesté, il vous plaise ordonner à vos Ministres de donner des instructions au gouvernement colonial à ce sujet, de manière a autoriser la passation d'actes par le Parlement provincial, qui tendraient à corriger ces abus.

L'accroissement rapide de la population depuis la première démarcation des comtés, rendant nécessaire un changement correspondant dans le représentation provinciale, notre Parlement jugea prudent, comme mesure préliminaire, de constater l'état actuel de la population, par un recensement qui devait servir de base aux changements à faire dans la représentation. La Chambre d'assemblée passa ensuite à plusieurs reprises un bill pour augmenter le nombre des comtés et des représentants. Ces bills ont également échoué dans les autres branches de la législature.

Il est encore un objet qui intéresse vivement le peuple de cette province; c'est la nomination d'un agent provincial accrédité, auprès du gouvernement de Votre Majesté, qui pourrait faire parvenir aux pieds du trône, l'expression de nos besoins, fournir aux ministres de Votre Majesté des renseignements utiles et veiller à nos intérêts particuliers. Cette province a déjà plus d'une fois éprouvé le besoin d'un semblable agent : ses représentants n'ont pas encore pu réussir à obtenir la passation d'un acte à cet effet.

Les accusations mal fondées portées par le gouverneur en chef contre la Chambre d'assemblée, dans son discours de prorogation du dernier Parlement, auxquelles la Chambre n'a pas encore eu occasion de répondre, démontrent la nécessité d'un agent ; le gouverneur qui accuse la Chambre ne pouvant guère être le canal de communication dont les accusés puissent se servir avec confiance pour défendre leur cause. — Nous supplions humblement Votre Majesté de vouloir bien ordonner à vos ministres de donner des instructions au gouvernement colonial, en vertu desquelles un bill pour l'augmentation de la représentation puisse être sanctionné, ainsi qu'un bill pour accorder à cette Province l'avantage dont jouissent la plupart des autres Colonies de Votre Majesté, celui d'avoir un agent colonial, nommé et député par le peuple de la colonie, pour veiller à ses intérêts en Angleterre.

Le tout très-humblement soumis à la bienveillance et à la sagesse de Votre Majesté, par les fidèles et loyaux sujets de Votre Majesté dans le Bas-Canada, les pétitionnaires soussignés qui comme il est de leur devoir ne cesseront de prier.

Bas-Canada, janvier, 1828.




Récapitulation des signatures, en date du 6 février 1828 :


Comté de Montréal     —         —         —         —         —         —         7 753
Kent     —         —         —         —         —         —         2 163
Huntingdon     —         —         —         —         —         —         5 327
Leinster     —         —         —         —         —         —         6 192
Surrey     —         —         —         —         —         —         3 080
Bedford     —         —         —         —         —         —         1 342
York     —         —         —         —         —         —         4 199
Richelieu     —         —         —         —         —         —         8 175
Effingham     —         —         —         —         —         —         2 654
_____
Total du district de Montréal     —         —         —         —         —         —         40 885
Total du district de Trois Rivières     —         —         —         —         —         —         10 665
_____
51 550
District de Québec     —         —         —         —         —         —         29 338
_____
Total des deux pétitions 80 888


Transmis depuis, en date du 17 février 1828 :


Districts de Montréal et de Trois-Rivières,
et district de Québec
    —         —         —         —         —         6 212
_____
Grand total 87 099


Les présidents des divers comités de comtés qui ont attesté de la nomination des représentants des pétitionnaires, c'est-à-dire, Messrs. Neilson, Viger et Cuvillier, membres de l'Assemblée du Bas-Canada;


District de Montréal, février 1828.

Notes

1. George III, père de George IV.

2. Allusion à la guerre de 1775 et et celle de 1812 contre le anciennes colonies britanniques qui ont fait sécession et sont devenues les États-Unis d'Amérique.

3. C'est-à-dire, selon le bon vouloir de l'autorité royale (at the pleasure of the Crown).


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