Militantisme et question nationale
Et le vent devant ma porte les emporta. - Rutebeuf
Pourquoi les jeunes se désintéressent-ils autant de la politique?
Voilà une des questions à laquelle je suis immanquablement appelée à répondre, chaque fois que je prends la parole devant une assemblée, quelle que soit sa composition.
S’en désintéressent-ils vraiment?
Ne les voit-on pas en grand nombre monter aux barricades pour lutter contre les effets destructeurs de la mondialisation d’un système fondé sur l’économisme, le scientisme et l’individualisme, sur l’exploitation économique des richesses naturelles et humaines de toutes les sociétés, riches et pauvres, sur la recherche militaire et la vente d’armes?
Ne les voit-on pas en grand nombre marcher pour la paix, contre un système en train de nous mener tout droit à la troisième guerre mondiale?
Ne les voit-on pas manifester pour la protection de l’environnement, pour l’égalité des femmes et des hommes, pour une plus grande justice sociale sous toutes ses formes?
Ne les rencontre-t-on pas en grand nombre dans le mouvement équitaire et dans les multiples associations vouées au dépannage quotidien des pauvres, des drogués, des prostitués et autres victimes de notre société de plus en plus inégalitaire?
Et qui s’inquiète de la production des OGM et des technologies qui fabriquent les clones animaux et, bientôt, humains, si ce ne sont en majorité les jeunes?
Pourquoi avons-nous donc l’impression que les jeunes se désintéressent de la politique quand les luttes qu’ils mènent sur ces nombreux fronts sont toutes hautement politiques? Ne serait-ce pas parce qu’elles ne tournent pas autour de l’axe central qu’est un projet de société? Et au Québec tout projet de société n’est-il pas indissociablement lié à la question nationale? Notre histoire nous montre qu’en effet la société québécoise n’a toujours progressé que dans la convergence de la lutte nationale et des luttes sociales, autrement dit, quand la lutte nationale assumait les revendications sociales.
Si les jeunes nous donnent aujourd’hui l’impression de se désintéresser de la politique, c’est qu’effectivement la question nationale ne les mobilise d’aucune manière?
Pourquoi? Voilà la question pertinente.
Je reviens d’une tournée de conférences dans les Hautes Laurentides, invitée par la SNQ de la région à présenter à ses membres le film RIN et à le commenter avec eux. Je n’ai rencontré, chaque soir que des ex militants, âgées en grande majorité de plus de 40 ans, certains ayant même franchi le cap des 70 ans. Tous étaient des indépendantistes convaincus, amèrement déçus par l’incompétence du Parti québécois à réaliser l’indépendance du Québec, faute d’en avoir fait le principal enjeu de son existence et de son action, faute d’avoir pris constamment les moyens de réaliser son programme social-démocrate, faute d’avoir favorisé le militantisme comme forme privilégiée d’engagement politique dans une véritable lutte de libération nationale, lui substituant, au fil des années, l’organisation de plus en plus technocratisée et bureaucratisée d’une activité limitée aux campagnes de financement et à l’organisation électorale, entièrement vouée à la quête du pouvoir ou au maintien au pouvoir.
Car il s’agit bien de cela.
Après avoir assuré son hégémonie sur l’ensemble du mouvement indépendantiste, par crainte de perdre le contrôle de ses troupes, le Parti québécois a tué le militantisme comme expression libre et gratuite de l’engagement politique de celles et ceux qui étaient prêts à payer de leur personne et à prendre le temps nécessaire pour faire progresser dans la conscience du peuple le désir de l’indépendance politique du Québec, conçue comme le seul moyen de réaliser un projet de société à la mesure de ses besoins, de ses aspirations et de ses valeurs.
Peut-être sont-elles encore sous l’influence du film qui montre l’effervescence suscitée par un tel projet de libération nationale, dans les années 1958-1968, mais toutes les personnes qui prennent la parole dans les lieux où je le présente, y compris celles âgées de moins de trente ans, déplorent l’absence actuelle d’un mouvement où elles pourraient à nouveau militer pour l’indépendance, plutôt que d’être appelées à seulement remplir des tâches partisanes, rigoureusement encadrées. Activités, en outre, de plus en plus souvent rémunérées ou, à tout le moins, dont les frais qu’elles entraînent sont remboursés.
Cette conception de l’activité politique est désormais si bien ancrée dans la manière d’être et d’agir du Parti québécois que celui-ci évacue d’emblée la pertinence d’un réel militantisme, même en ce moment où il prétend vouloir reprendre le flambeau de la cause indépendantiste. Aussi, son président, également Premier ministre, s’est-il empressé d’examiner publiquement la proposition de monsieur Parizeau de financer la reprise du débat, quitte à également financer celui de l’adversaire.
Comment en est-on arrivé à croire qu’un peuple peut échapper à son impuissance séculaire à prendre son destin en main, en payant des professionnels de la communication et des mercenaires de la publicité pour lui faire valoir la nécessité et l’urgence de se donner un pays bien à lui, s’il veut le façonner à son image et à sa manière.
Comment en est-on arrivé à oublier que seuls les militants et les militantes engagés librement avec conviction et détermination dans leur milieu familial et de travail, à l’école et dans le voisinage, peuvent être les catalyseurs de l’intuition politique de la majorité du peuple, qu’au Québec, il ne saurait avoir résolution des problèmes sociaux sans résolution de la question nationale et inversement.
Quand tous les porteurs du projet indépendantiste sauront se mobiliser pour lutter avec les jeunes en vue de créer une société québécoise libre et juste, à partir de leurs problèmes, préoccupations et objectifs propres et qui sont ceux de notre temps, alors les jeunes s’intéresseront nécessairement à la question nationale puisqu’elle demeure la question primordiale.