Manifeste démocratique: propositions programmatiques
La république nationale indépendante
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38. Les Canadiens (français), prolétaires ou non, n'ont pas le choix: étant destinés à survivre comme groupe distinct, s'ils veulent progresser librement et dans la dignité - non seulement vivoter - ils doivent se créer progressivement un État souverain. Ils doivent viser à se gouverner, non seulement par l'autonomie, mais aussi à se rendre capables d'atteindre la souveraineté intégrale et, d'étape en étape, à obtenir l'indépendance absolue dans un État qui donnera satisfaction aux aspirations sociales et nationales conjuguées.
39. Les Canadiens (français) doivent se fixer comme idéal et but ultime l'indépendance prolétarienne-nationale. Cet objectif sera atteint, en y accédant par degrés après une période plus ou moins longue de construction radicalement planifiées et intensifiée.
40. La révolution de 1837-1838 fut une lutte pour la liberté au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, proclamé par la révolution française de 1789, droit dont doit se prévaloir le Québec d'aujourd'hui.
41. Les Canadiens (français) ont un droit naturel et imprescriptible à l'autodétermination. Qui nie leur droit à disposer d'eux-mêmes, ou refuse d'appuyer les mesures en vue de l'appliquer, nie qu'ils existent comme peuple ou insinue qu'ils doivent demeurer en servage jusqu'à leur écrasement complet.
42. Si la centralisation du pouvoir économique et financier en Amérique du Nord, dirigé par la bourgeoisie des États-Unis, ne milite pas en faveur de l'annexion du Canada par ce pays, à plus forte raison, à cause de la différence de langue, de croyance et de culture, la centralisation économique similaire qui se fait dans la Confédération outaouaise ne justifie pas la réduction du gouvernement autonome du Québec au rang d'administration cantonale. L'utopie, la lubie par excellence, ce n'est pas de croire que l'État national indépendant garantit, non seulement la survivance dans la grisailles des Canadiens (français), mais la « vivance », c'est de professer qu'ils survivront comme tels, mais surtout prospéreront sous la subordination politique d'une confédération évoluant vers l'État unitaire, et que les masses ouvrières pourront s'y libérer économiquement et nationalement à l'égal des autres prolétaires canadiens.
43. Les Canadiens (français) ne sauraient faire dépendre leur droit de libre disposition de la volonté d'une majorité nord-américaine ou pan-confédérale, prolétaire ou non, sans risquer leur perte. Le principe de l'autonomie culturelle-nationale, sans le droit à l'autodétermination, est un leurre. Il est mis de l'avant par la bourgeoisie des nations oppressives afin de pouvoir continuer l'exploitation des peuples assujettis. Des pseudo-gauchistes approuvent ce mot d'ordre pour masquer leur collaboration avec la bourgeoisie colonialiste, tels ceux qui préconisent la centralisation fiscale ou la remise de tous les pouvoirs à Ottawa, out en prétendant sauvegarder l'autonomie de la culture canadienne (française) au Québec.
44. Seul l'État indépendant, générateur de libération nationale, permettra à la communauté culturelle francophone de sortir de son isolement forcé, de se placer sur la carte du monde et de prendre part à la vie internationale.
45. Un État dont les caractéristiques majeures de son mode de vie ne différeraient point de celles de l'américanisme mercantiliste, et dont le jansénisme ferait concurrence d'austérité au puritanisme yankee n'aurait aucune raison d'être. L'État national devra créer une aire de civilisation francophone, selon le génie méditerranéen, en donnant libre cours aux innéités latines du peuple canadien (français) issues de son héritage gréco-romain.
Le socialisme
46. Seul l'établissement, par l'outil socialiste, d'une république souveraine, parce que seule le socialisme affranchit des chaînes capitalistes et de l'oppression nationale, émancipera le Québec du joug des colonialistes et de l'expansionnisme impérialiste du capital étranger.
47. Seul le socialisme, en empruntant la voie nationale, fournira les moyens d'utiliser l'autonomie pour faire évoluer les Canadiens (français) vers la souveraineté intégrale. À moins qu'elle ne soit imposée de l'extérieur, il ne peut y avoir de révolution socialiste au Québec sans qu'elle soit nationale de fait.
48. La planification ou le dirigisme économique ne suppriment pas les principales contradictions internes et irréconciliables du capitalisme qui engendrent les crises économiques et la misère, de même que l'hégémonie des cartels financiers avec le pouvoir le coercition qui l'accompagne. La seule voie possible de salut pour un peuple qui veut sortir de sa vassalité, c'est le socialisme.
49. Le socialisme, par la conscription de la richesse, rend un peuple prolétarisé capable de déployer les efforts et d'entreprendre les tâches indispensables à la création d'une économie planifiée et forte au service de ses intérêts vitaux. Par l'appropriation et la gestion collectives des moyens de production et de distribution les plus importants, le socialisme restituera au peuple du Québec l'héritage de ses ressources naturelles.
50. L'État socialiste québécois, appuyé par les éléments les plus avancés de la classe ouvrière, mettra fin à l'exploitation du prolétariat par les puissances d'argent, à l'anarchie capitaliste, aux crises cycliques de surproduction artificielle, au chômage et à la participation aux guerres impérialistes. Il protégera également l'ouvrier contre l'insécurité économique.
51. Malgré qu'il ne soit pas une panacée universelle, le socialisme permettra au Québec d'entreprendre de grandes réalisations pour faire progresser la technique, la science et la culture; seul il rendra possible l'épanouissement de la personne humaine par la création d'un véritable humanisme.
52. Le socialisme démocratique ouvre des horizons sans bornes de développements extraordinaires et grandioses pour le Québec et le peuple canadien (français). L'État socialiste souverain du Québec fera se concrétiser les vieux rêves et espoirs de notre peuple de briser ses entraves et de vivre dans un pays bien à lui, rêve qui a arrimé la révolution démocratique de 1837-1838. Il est ridicule de demander aux Canadiens (français) d'être patriotes quand la patrie n'existe pas et qu'il faut la créer. Seul un gouvernement socialiste organisera la nation canadienne (française) dans une grande corvée pour la construction d'une véritable patrie: une république française d'Amérique où la liberté du citoyen sera respectée et où la vie sera riche et cultivée.
53. Les Canadiens (français) ont le droit, tout comme les Anglo-Canadiens, de bénéficier du socialisme non seulement en tant qu'individus mais en tant que peuple. Si le socialisme n'est pas du fascisme, ni du nationalisme, dans d'autres pays qui en ont adopté une forme, il en sera de même au Québec. Le respect humain n'est pas du nationalisme, encore moins du chauvinisme. Seul un gouvernement socialiste au Québec rendra entière justice aux minorités de cette province, qu'elles soient de langue française ou autres, et seul il aura le pouvoir de s'ériger en défenseur des minorités dispersées de la fratrie française d'Amérique.
54. Pour ne pas sacrifier l'être humain à un socialisme mythique, au lieu d'édifier un socialisme concret, et pour que la plénitude de la vie matérielle et culturelle soit atteinte, il faut que soient créées les conditions politiques et économiques qui tiennent compte de tout l'homme et de tous les facteurs de la vie sociale. C'est pourquoi il importe que la révolution au Québec soit socialiste de contenu mais nationale de forme, afin de favoriser l'épanouissement d'une culture latine d'expression française qui pourra vaincre totalement l'envahissement d'un système où priment le profit et l'aliénation au gigantisme niveleur d'un mode de vie mercantiliste, ennemie de la culture authentique.
55. À cause de la trahison nationale de la bourgeoisie, les travailleurs du Canada (français) doivent prendre à leur charge le destin de la nation, dont, d'ailleurs, ils forment l'ossature, le corps principal. Grâce à l'industrialisation, le rêve d'un retour à l'immobilisme paysan, à l'agriculture familiale et à la production artisanale est aboli à jamais. C'est pourquoi les socialistes doivent s'atteler à la tâche de refondre la société canadienne (française) en travaillant pour établir le socialisme démocratique au Québec.
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