Lord Durham et ses détracteurs
Mathieu Gauthier-Pilote et Olivier Gaiffe
Juillet 2009
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Lord Durham and his assailants
NOUS NOUS SAISISSONS de la demande d'une seconde édition du présent numéro de notre Revue pour émettre quelques brefs commentaires sur la guerre de mots factieuse, malséante et en tout point indigne qui s'est déroulée dans les chambres des Communes et des Lords concernant les ordonnances de Lord Durham1.
Il y a deux façons d'évaluer l'acte d'un fonctionnaire public. La considération peut porter soit sur ses mérites, soit sur la procédure. La question à débattre peut être de savoir si l'acte est juste en lui-même — le moyen le plus souhaitable d'atteindre les fins visées — et qui conséquemment soit est légal, ou s'il ne l'est pas devrait l'être dans le plus brefs délais, ou alors l'objection peut porter sur les mots de la commission de l'officier public — les limites auxquelles ses pouvoirs ont été soumis, les formes et précautions dont on l'a entouré, non pas pour affaiblir son autorité à faire le bien (bien que cela puisse en occasionner l'effet), mais pour l'empêcher de viser le mal.
Maintenant, lorsqu'un homme a été choisi pour exercer un nouveau poste ; pour faire une chose nouvelle, dans des circonstances nouvelles — que vous, au nom desquels il agit, ne connaissez pas, ne pouvez connaître et n'avez pas la prétention de connaître, encore moins d'anticiper ; — lorsque cette nouvelle chose, qu'on l'a envoyé faire à l'autre bout du globe, est jugée si difficile, si délicate, si susceptible d'être contrariée si l'on s'y oppose d'une quelconque façon, que pour l'accomplir toutes les autres autorités constituées du pays doivent être supprimées, tous les lieux de discussion publique fermés, toute possibilité d'action contraire écartée, à tout prix, même celui de la constitution représentative d'un peuple libre ; sous laquelle des deux lumières dont nous venons de parler est-il convenable d'évaluer, en premier lieu, les mesures de ce fonctionnaire ? Et même alors, indubitablement, leurs mérites substantiels ne devraient pas être la seule considération ; même alors, en plus de considérer si ce qu'il a fait est juste, il faut également considérer s'il avait le pouvoir de le faire. Mais y a-t-il des mots capables d'exprimer le mépris que mérite une façon de traiter des affaires d'une si haute importante publique qui fait de cette dernière son unique considération? qui confond la première considération en elle? qui passe à côté de la question de savoir si ce que Lord Durham a fait est une chose qui se devait d'être fait — si cette chose, dans des circonstances comme celles dont il a été chargé de s'occuper, cette chose même qu'il aurait du recevoir le pouvoir de faire, qu'on aurait dû s'attendre à le voir faire, qu'il aurait dû être encouragé à faire — et subordonne la conservation des Canadas et la réconciliation de deux partis aigris, dernièrement occupés à verser le sang de l'un et l'autre, à la question de savoir si ce que Lord Durham pouvait légalement punir, il pouvait le punir pour trahison, et si des hommes qu'il pouvait légalement exiler, il pouvait légalement les exiler aux Bermudes.
Avec des hommes de bonne foi, et ayant l'intellect d'hommes d'État au lieu de frivoles ou de pédants juridiques, la question aurait en premier lieu été débattue seulement sur la base de la justice substantielle et de la politique. Aurait été consciencieusement examinée, après coup, la question de savoir si Lord Durham avait dépassé les bornes de ses pouvoirs, afin que s'il l'eût fait et que conséquemment ses actes fussent en manque de validité légale, que cette validité légale puisse leur être donnée ; et que l'objectif pour lequel ses pouvoirs ont été créé ne soit pas mis en échec par une quelconque erreur technique de sa part, ou par une bévue dans les termes par lesquels il en a été investi. Car si, sous la pression d'une nécessité alléguée, vous avez confisqué la constitution libre d'un peuple et écarté tous les principes reconnus d'un gouvernement constitutionnel, de façon à permettre à Lord Durham d'accomplir cet objectif, et s'il devait s'avérer que par ce sacrifice coûteux vous n'allez pas accomplir cet objectif, n'allez pas permettre à Lord Durham d'adopter les moyens qui conduisent le mieux à l'atteindre, que plaira-t-il à votre sagesse d'accomplir ensuite? De plier et d'abandonner la poursuite de l'objectif? Ou peut-être vous viendra-t-il à l'esprit par chance que si l'on peut de force faire céder les plus chères privilèges d'un demi-million d'êtres humains nés libres devant l'exigence de la situation, quelques gentils scrupules à propos de l'empiétement sur l'autorité du Parlement peuvent l'être tout autant? Cela en revient, n'est-il pas, à être trop avare de sa propre « petite et brève autorité2 », lorsque vous avez traité avec autant de légèreté, dans le même cas, les droits constitutionnels les plus sacrés de toutes les autres personnes?
Écartant cette façon chicanière de traiter le sujet, tournons-nous vers les questions véritablement importantes. Qu'a vraiment fait Lord Durham? Et était-ce une chose convenable à faire, ou que l'on peut présumer convenable à faire, dans les circonstances?
Parmi le si grand nombre d'envolées oratoires à propos de la simple forme des procédés de Lord Durham, à propos de l'énormité de l'empiétement allégué de ses pouvoirs, ce n'est qu'au moyen d'une seule figure de rhétorique qu'on a lancé une quelconque imputation sur la substance de l'ordonnance ; l'appel ad invidiam reposait entièrement sur une description erronée. On l'a appelée une ordonnance pour mettre des hommes à mort sans procès.
Mais sans procès! N'était-il pas, au contraire, spécifié distinctement dans l'ordonnance, qu'il devrait y avoir un procès? Non pas, en effet, pour rébellion ; l'ordonnance en est une d'amnistie pour rébellion ; amnistie aux hommes qu'elle bannie, autant qu'à ceux qu'elle libère. N'étant pas punis pour rébellion, il est plutôt inutile qu'ils subissent un procès pour rébellion. La punition dénoncée par l'ordonnance est la punition en cas de violation de l'ordonnance ; c'est la sanction qui doit accompagnée toute promulgation prohibitive. L'ordonnance n'est pas un acte juridique, c'est un acte législatif ; elle ne vise pas à punir des hommes pour leur conduite passée, elle vise à restreindre leur conduite future ; elle ne leur impute aucune culpabilité ; elle n'a rien à voir avec leur culpabilité, elle ne traite que des conséquences d'être en liberté dans la colonie.
Maintenant nous affirmons, sans crainte d'être contredit par quiconque connaît même les notions les plus élémentaires des affaires humaines, que si un homme est nommé pour rétablir la tranquillité dans un pays après la guerre, et si cette personne n'a pas le pouvoir d'ordonner que vingt-trois hommes, fussent-il les citoyens les plus vertueux du pays, s'en s'absentent jusqu'à ce que leur retour soit jugé compatible avec la sécurité publique et peu susceptible de troubler les esprits — alors la nomination de cette personne est une parodie, et s'il est un homme sensé, il a été induit à accepter le poste par une fraude honteuse.
Nous sommes curieux de savoir quelle idée les détracteurs de Lord Durham se sont faite de l'état dans lequel se trouve un pays où une insurrection vient juste d'être matée par la force ; ou de la nature du travail qui doit amener sa pacification. Notre opinion sur la conduite qui a provoqué l'insurrection est bien connue ; notre sympathie ne va incontestablement pas aux vainqueurs ; dans cette triste lutte, elle va aux vaincus. Cependant, ils ont été vaincus ; sur provocation, suffisante ou insuffisante, ils se sont jetés sur le sentier de la guerre et ont échoué. Lord Durham a ensuite été envoyé là-bas pour panser les plaies. Nous présumons que personne ne s'attendait à ce qu'il débute ce travail en renversant complètement l'état de choses qu'il a trouvé à son arrivée ; en faisant des vaincus les vainqueurs et des vainqueurs les vaincus ; en stimulant les sentiments du triomphe chez le parti défait, l'indignation amère et le ressentiment chez le parti qui prédomine actuellement. Son rôle n'était pas de stimuler mais de calmer tous les sentiments soit de triomphe, soit de mortification. Sa fonction était celle d'un conciliateur — d'un médiateur. Ce n'était pas son affaire de déterminer qui avait le plus raison et qui avait le plus tort dans le précédent conflit ; mais comment prévenir tout conflit futur. C'était son devoir d'éviter d'irriter tout parti, de ne rien faire qui puisse être interprété par l'un ou l'autre des partis comme un déclaration en sa faveur ; de formuler chacun de ses procédés de façon à ne pas gêner, chez les deux partis, le retour à un état d'esprit tranquille, dans lequel il soit possible de satisfaire les deux, en concédant, dans les demandes de l'un et l'autre, ce qui est vraiment juste et rien d'autre.
Maintenant, sans prétendre discuter l'état d'esprit actuel au Canada, dont, nous sommes trop éloigné pour juger, comme la plupart de nos lecteurs ; nous affirmons qu'il est catégoriquement impossible, qu'en aucun pays, les chefs d'un parti populaire qui vient juste de tenter l'insurrection soit en liberté au pays sans retarder le progrès de l'esprit public vers la tranquillité et la raison. Monsieur Papineau et quelques autres nommés dans l'ordonnance peuvent ne pas avoir participé à l'insurrection ; ou peut-être peuvent-ils y avoir participé et néanmoins être les plus droits et plus purs patriotes qui soient dans la colonie. Tout ça n'a rien à voir avec la question ; ils sont les chefs d'un parti insurgé, et comme tels, leur absence est nécessaire, aussi longtemps que leur présence fera entrave à la réconciliation des partis, qui, maintenant que le leur a été battu, est la plus désirable chose qu'il reste à faire, même pour eux-mêmes. La mesure en est une d'ostracisme, non de punition: ils sont bannis parce qu'ils sont dangereux, non parce qu'ils sont des criminels. Mais s'ils doivent être bannis, il doit y avoir une pénalité pour revenir d'exil, et la pénalité est capitale, car c'est la pénalité habituelle pour les offenses contre l'État ; et il est convenable qu'il en soit ainsi, puisque toute pénalité inférieure pourrait être une prime à l'offense, tandis qu'en infligeant la pénalité la plus élevée de toutes, il ne devient pas nécessaire de l'infliger réellement.
Si en effet il y avait le moindre fondement à l'hypothèse d'après laquelle même un seul de ces vingt-trois hommes était exilé pour toujours ; s'il n'était pas évident par toute la teneur de l'ordonnance, de même que tout ce qui est connu de Lord Durham, ses conseillers et ses objectifs, que le seul objet de l'ordonnance est, dans les mots mêmes de l'ordonnance: « de pourvoir à la sécurité immédiate de cette province » [p. 914] ; si la porte n'était pas intentionnellement grande ouverte pour laisser même Monsieur Papineau lui-même revenir demain, s'il devait se montrer capable de convaincre Lord Durham que son influence serait utilisée pour restaurer la paix dans l'esprit public au lieu de le perturber ; nous pourrions alors comprendre les invectives passionnées de Monsieur Leader, qui pour le moment nous sont tout aussi inintelligibles qu'elles sont lamentables pour lui3.
Monsieur Leader ne peut pas jusqu'ici croire que nos sentiments envers lui laissent supposer que nous entretenons une opinion incompatible avec le respect entier de ses principes et de ses intentions et les vœux les plus sincères de succès dans sa future carrière politique que nous serions peinés de voir compromise. Nous sommes presque les seuls dans la presse périodique à nous être rangés avec lui4 à une époque où agir de la sorte pouvait être vu comme un acte de courage de notre part, ou du moins il aurait été beaucoup plus dans notre intérêt de ne pas le faire. Nous n'étions pas tenus de nous joindre aux adversaires du Canada Act5 ; nous ne nous y sommes jamais opposés ; nous avons déclaré qu'il serait soit bon soit mauvais suivant la manière dont il serait exécuté. Notre point de vue pratique différait autant de celui de M. Leader que notre langage pouvait différer du sien, et la plupart des gens dans notre position auraient fait autant pour séparer leur cause de la sienne que nous en avons fait pour éviter toute semblance de séparation. Car grande est la vertu qu'il y a à glisser un mot en reproche aux « opinions extrémistes » et au « langage excessif » de son propre parti, pour donner un air de modération aux sentiments de ce dernier : en dire un peu d'un côté et un peu de l'autre est la seule façon de donner une apparence d'impartialité aux yeux du vulgaire. Nous avons dédaigné l'indigne avantage. Et la justice que nous rendions alors à M. Leader, nous la devons cette fois à ceux qu'il attaque, et nous nous méprenons grandement sur son caractère s'il n'estime pas bientôt qu'une réparation de sa part est à l'ordre du jour.
Si Lord Durham et ses conseillers officiels sont tels que M. Leader les représentent, il peut compter sur le fait qu'ils lui donneront bientôt une plus juste raison d'attaque. L'épreuve qui révélera qui ils sont sera le plan qu'ils concevront pour la colonisation permanente du Canada ; attendons de voir ce qu'il sera — qu'il soit fondé sur la prédominance d'un parti oligarchique, ou le retrait de quoique ce soit qui est justement répréhensible à l'un et l'autre des partis. Si la première option s'avérait en être le résultat, nous administrerons le même traitement à Lord Durham que celui que nous aurions administré à n'importe quel homme par l'entremise duquel un semblable coup d'injustice tyrannique aurait été commis par quelque gouvernement que ce soit, Whig ou Tory — et nous déplorerons la déception des espoirs que nous avions fondés en lui, non seulement pour la justice due au Canada, mais pour le bénéfice de l'empire et de la réforme, dont il n'est pas lieu de parler ici. Mais si Lord Durham nous déçoit, devons-nous nous attendre à mieux de la part de son successeur? Imagine-t-on, par exemple, que s'il était suffisamment affaibli, le gouvernement du Canada tomberait aux mains de Lord Brougham? En ce qui nous concerne, croyant un tel dénouement assez peu probable, et ayant peu d'assurance qu'un tel changement serait une amélioration, nous ne croyons pas sage de déclarer la guerre au seul homme qui a le pouvoir de faire ce que nous désirons qu'il soit réalisé, pour mettre à sa place quelqu'un qui ferait certainement le contraire. Il est compréhensible que les Tories, plus factieux encore, et plus aigris que ce qu'ils étaient pour une bonne part d'entre eux au cours du dernier semestre, s'efforcent, per fas et nefas, à rabaisser dans l'estime publique le seul homme dans les rangs de leurs ennemis qu'ils craignent vraiment. Mais ce qui est un gain pour eux est une perte amère pour le peuple ; et Lord Durham est le dernier homme sur qui quiconque se bat pour la Réforme devrait se permettre, à l'heure actuelle, de montrer une hostilité qu'aucun devoir impérieux ne commande.
Notes
1. See PD, 3rd ser., Vol. 44, cols. 1019-35 (7 Aug., 1838), 1056-1102 (9 Aug., 1838), 1127-46 (10 Aug., 1838), 1211-92 (14 Aug., 1838), 1296-1310 (15 Aug., 1838).
2. Shakespeare, Measure for Measure, II, ii, 118.
3. John Temple Leader, Speech on Canada (14 Aug., 1838), PD, 3rd ser., Vol. 44, cols. 1242-50.
4. See John Stuart Mill, “Radical Party and Canada,” pp. 434-5 above.
5. 1 Victoria, c. 9 (1838).
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