Lettre aux Canadiens et Canadiennes

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Lettre aux Canadiens et Canadiennes
septembre 1998




Voir également la version anglaise intitulée A Letter to Canadians.



Introduction

Le texte qui suit s'adresse principalement aux intellectuels et leaders d'opinion du Canada anglais. Il vise à attirer leur attention sur le sentiment grandissant d'intolérance qui anime une large partie de la classe politique canadienne. Il se veut également un appel au sens démocratique des intellectuels et une invitation à dénoncer l'autoritarisme dans lequel le gouvernement fédéral est de plus en plus en train de s'engager. Il se veut enfin une interpellation à faire preuve de sens civique et à se démarquer de l'invective, de la calomnie et de l'arrogance avec lesquelles plusieurs citoyens réagissent à l'égard du nationalisme québécois.

Nous commencerons par rappeler ce qui, à notre avis, constitue l'un des problèmes centraux de la fédération canadienne, à savoir l'incapacité de reconnaître l'existence de la nation québécoise. (SECTION 1) Nous examinerons ensuite certains des aspects les plus problématiques de la dérive anti-démocratique dans laquelle le gouvernement fédéral risque de s'engager. (SECTION 2) Cette dérive anti-démocratique comporte trois volets. Nous examinerons tout d'abord les allégations sur l'illégalité d'une déclaration unilatérale de souveraineté. (2.1) Nous critiquerons ensuite certaines des affirmations faites au sujet des soi-disant troubles politiques qui seraient engendrés par la démarche souverainiste. Nous nous pencherons tout particulièrement sur le problème d'une éventuelle partition du territoire québécois. (2.2) Nous nous attarderons enfin à certaines insinuations concernant le caractère soi-disant anti-démocratique de la démarche québécoise vers la souveraineté. (2.3) À ce propos, trois sujets devront faire l'objet d'un examen attentif. Il s'agira de se demander si le choix de la question référendaire doit résulter d'une entente entre le gouvernement fédéral et le Québec. Nous nous interrogerons ensuite au sujet de la majorité requise. Nous nous demanderons finalement si la loi référendaire québécoise doit être modifiée.

Après avoir mis en évidence les remarques fallacieuses, l'arrogance verbale et l'intransigeance grandissantes dans le discours de certains fédéralistes purs et durs, nous nous pencherons sur la proposition souverainiste en mettant en évidence un aspect négligé par la plupart des commentateurs anglophones, à savoir la proposition de partenariat politique et économique. (SECTION 3) Nous la décrirons tout d'abord dans ses grandes lignes, puis nous tâcherons par la suite de mettre en évidence certains de ses aspects les plus positifs, à savoir, les avantages qu'elle représente pour le Canada, pour les autochtones, pour les Anglo-Québécois et pour les francophones hors Québec.

Section 1. Une nation dans la nation

1.1 Il faut admettre plusieurs conceptions de la nation

Il existe plusieurs concepts de nation irréductibles les uns aux autres. Il y a la conception purement civique selon laquelle la nation est identique à un État souverain. Dans ce cas, la nationalité est pour l'essentiel identique à la citoyenneté. Il y a aussi la conception ethnique, qui suppose ou bien l'existence d'une origine ancestrale commune ou la croyance en une telle origine commune. Il y a aussi la conception purement culturelle de la nation qui suppose une homogénéité de langue, de culture et d'histoire entre des individus qui peuvent néanmoins avoir une origine ethnique différente. On peut parler aussi de la nation diaspora qui suppose l'étalement d'un groupe culturel donné en plusieurs sous-groupes répartis sur plusieurs territoires donnés et qui sont minoritaires sur tous ces territoires.

Il y a enfin la conception sociopolitique qui identifie la nation à une sorte de communauté politique. En cela, la nation sociopolitique est une nation civique. Mais contrairement à la conception purement civique, la nation sociopolitique n'est pas nécessairement un État souverain. Plus important encore, la communauté politique en question doit avoir certains traits sociologiques précis. Elle doit inclure sur son territoire une majorité d'individus ayant une certaine langue, une certaine culture et une certaine histoire. Cette majorité doit constituer également à l'échelle mondiale la plus grande concentration de gens ayant cette langue, cette culture et cette histoire. Les critères linguistique et culturel sont donc importants comme pour la nation purement culturelle. Mais contrairement à cette dernière conception, la nation sociopolitique peut être pluriculturelle en plus d'être pluriethnique. La nation sociopolitique est une nation civique qui reconnaît explicitement son caractère pluriculturel. Il s'agit en somme d'une communauté politique composée le plus souvent d'une majorité nationale, de minorités nationales et d'individus ayant d'autres origines nationales.

1.2 Il faut admettre un principe de tolérance

La deuxième remarque qui s'impose est qu'il ne faut pas chercher à donner les traits essentiels de la nation. Les nations ne sont pas des phénomènes parfaitement objectifs. Il faut souligner le caractère partiellement subjectif de toute définition de la nation. Les communautés nationales n'existent pas indépendamment de la conscience nationale. Pour qu'une population devienne une nation, il faut qu'un très grand nombre d'individus se représentent comme formant une nation. Toute définition de la nation prend en fait la forme d'une conception de la nation, c'est-à-dire qu'il s'agit de la représentation qu'une population donnée se fait d'elle-même.

On doit cependant reconnaître que des populations différentes peuvent faire avoir une autoreprésentation différente au point de faire intervenir un concept différent de nation. Cela découle inévitablement du fait qu'il existe plusieurs concepts de nation et du fait que l'autoreprésentation joue un rôle important dans la constitution d'une identité nationale. Les nations n'existent pas en soi. Elles sont le résultat d'un processus de construction nationale (nation building). La représentation que la population se fait d'elle-même n'est pas seulement une description de ce qu'elle est, car il s'agit aussi de l'expression de ce qu'elle veut être. Il faut prendre acte de ces croyances et de ces désirs, et il est normal qu'ils varient d'une population à l'autre. Il est en effet normal que des populations différentes puissent en venir à articuler des désirs et des croyances différents, au point de faire intervenir des concepts différents de nation.

L'un des problèmes fondamentaux que doivent résoudre ceux qui réfléchissent au nationalisme concerne la cohabitation harmonieuse des différents nationalismes. Nous ne pouvons pas, en particulier, esquiver la difficulté de penser les conditions d'une cohabitation harmonieuse entre des populations qui vivent sur un même territoire mais qui ont une conscience nationale différente.

Cette question est cruciale puisqu'elle renvoit précisément au problème fondamental du Canada. Si l'on excepte le cas de la nation acadienne et des nations autochtones, on doit reconnaître l'existence des nationalismes canadien et québécois. Les Québécois sont majoritairement passés dans les trente-cinq dernières années d'une autoreprésentation fondée sur l'existence d'une nation purement culturelle canadienne-française à une nation sociopolitique québécoise. Pendant la même période, les Canadiens se sont pour leur part majoritairement engagés, d'une façon de plus en plus résolue et sous l'influence de Pierre Elliott Trudeau, dans la construction d'une identité nationale purement civique, et ils conçoivent maintenant majoritairement la nation canadienne comme identique au Canada dans son ensemble.

La cohabitation harmonieuse entre ces deux nationalismes est-elle possible? En théorie, il faut répondre par l'affirmative. Mais il faut, pour y arriver, que les Québécois et les Canadiens acceptent de prendre en considération l'autoreprésentation de l'autre. Il faut que les deux communautés fassent intervenir un principe fondamental de tolérance. Les Québécois doivent accepter de voir en principe leur nation inclue dans la nation purement civique canadienne, et les Canadiens doivent reconnaître que leur nation purement civique inclut une nation québécoise. Les Québécois peuvent autoriser que les Canadiens utilisent majoritairement un concept de nation purement civique et les Canadiens peuvent accepter l'existence d'une nation sociopolitique québécoise.

Autrement dit, on peut admettre de part et d'autre l'existence d'une nation sociopolitique dans la nation purement civique. Pour envisager favorablement la cohabitation de ces deux nationalismes, il faudrait par conséquent retourner à la conception de Lester B. Pearson d'une nation dans la nation, conception mise de l'avant juste avant l'arrivée de Pierre Elliott Trudeau.

1.3 Le mal canadien

Depuis le tout début de la fédération canadienne, les Québécois ont accepté l'idée qu'ils appartenaient au Canada en plus de faire partie d'une nation canadienne-française ou, plus récemment, d'une nation québécoise. Ils ont depuis toujours accepté l'expérience de la multination. Ils ont reconnu leur identité multiple, québécoise et canadienne. Le problème est que les Canadiens ont toujours refusé l'existence d'une nation québécoise. Telle est l'essence même du mal canadien, pour utiliser une expression heureuse (ou malheureuse?) d'André Burelle.

Une telle reconnaissance devrait faire l'objet d'une proposition formelle dans la constitution. Elle devrait aussi se traduire par l'ajout d'une clause affirmant l'obligation du gouvernement du Québec de promouvoir et protéger la langue française. Elle devrait se traduire ensuite par un droit de veto sur toute modification contitutionnelle qui concerne le Québec et un droit de retrait avec compensation financière sur tout nouveau programme. Elle devrait se traduire aussi par l'ajout d'une clause garantissant la limitation du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. La reconnaissance du peuple québécois devrait aussi inclure le principe d'une complète maîtrise d'oeuvre en matière de culture et de communications. Elle devrait aussi aller de pair avec l'admission du principe de l'asymétrie dans la distribution des pouvoirs. Elle devrait se traduire par une distribution effective de pouvoirs tels que l'assurance-chômage, le développement régional, l'environnement et un rôle international accru.

Mais les Canadiens ont refusé de manière de plus en plus explicite depuis une trentaine d'années l'existence d'une nation québécoise. Ils ont refusé de tenir compte du caractère biculturel du Canada mis de l'avant par la commission Laurendeau/Dunton. Ils ont refusé d'accorder des compétences additionnelles au Québec lors de la conférence de Victoria. Ils ont refusé aussi la souveraineté culturelle proposée par Robert Bourassa. Ils ont ignoré la recommandation de la commission Pepin/Robarts concernant le principe du fédéralisme asymétrique. Ils ont rapatrié la constitution sans l'accord du Québec, et ils ont par ce fait même traité le Québec comme une province et non comme peuple. Ils ont rejeté l'accord du Lac Meech, puis ils ont affirmé en juillet 92 le principe de l'égalité des provinces dans la première version de l'Accord de Charlottetown. Enfin, en dépit du message clair lancé le 30 octobre 1995, les premiers ministres des provinces viennent de consacrer à nouveau le principe de l'égalité des provinces.

C'est dans ce contexte que nous pouvons mieux apprécier la démarche souverainiste québécoise qui s'accompagne d'une offre de partenariat politique et économique. Il s'agit d'une option rationnelle que les Québécois doivent considérer étant donné les échecs constitutionnels répétés des trente cinq dernières années. Les Québécois sont de plus en plus nombreux à conclure que si la nation québécoise ne peut être reconnue comme telle à l'intérieur du Canada, elle doit alors obtenir cette reconnaissance en devenant souveraine. Les Canadiens prétendent que l'on peut être à la fois Québécois et Canadiens, mais ils sous-entendent par là que l'on peut appartenir à la fois à la province de Québec et au Canada. Mais les Québécois sont plus que les habitants d'une province: ils font partie d'un peuple, d'une nation qui doit être reconnue comme telle.

1.4 Le nationalisme québécois n'est pas ethnique

Plusieurs Canadiens interprètent à tort le nationalisme québécois comme un nationalisme ethnique. Mais le nationalisme québécois est un nationalisme de type civique, ouvert et inclusif: ouverture à l'immigration et familiarité avec l'interculturalisme, présence d'une minorité nationale anglophone, approfondissement des relations avec les peuples autochtones, expérience multinationale (ou éventuellement partenariat) avec le Canada, ouverture à la libéralisation des échanges, etc. La complexité même des dimensions sociale, culturelle, politique et économique de l'expérience québécoise en matière de pluralisme culturel rend possible une réflexion originale et nuancée qui permet de distinguer l'affirmation de soi du repli identitaire, le cosmopolitisme d'une adhésion aveugle à la globalisation et, plus généralement, le nationalisme libéral du nationalisme non-libéral. Ceux qui la perçoivent comme pratiquant l'exclusion à l'égard des minorités se trompent. Pour étayer cette perception erronée, ils n'ont le plus souvent que quelques citations à proposer. La plus récente renvoie aux propos tenus par Jacques Parizeau le soir du 30 octobre 1995.

Les propos de Jacques Parizeau tenus le soir du 30 octobre 1995 ont été perçus comme racistes ou xénophobes, mais doit-on dire qu'ils l'étaient? Très souvent en politique, si des propos sont perçus comme racistes, alors on sent le besoin de s'en distancier et d'admettre leur caractère raciste. Cette façon de réagir est sans doute compréhensible. Mais pour que les propos de Jacques Parizeau puissent être qualifiés de racistes ou xénophobes, il faudrait qu'il ait au fond voulu exclure de la nation québécoise les Québécois appartenant aux minorités. Il faudrait qu'il ne les considère pas comme de véritables Québécois ou qu'il les considère comme des citoyens inférieurs aux autres. Jacques Parizeau a-t-il tenu des propos de ce genre?

Il a exprimé de l'amertume à l'égard de ces groupes, et leur a implicitement fait des reproches quant à leur choix de vote. Pourtant, le choix des anglophones et des individus de différentes origines était compréhensible. La plupart des anglophones veulent demeurer Canadiens et les citoyens de différentes origines ont pour la plupart choisi (ou été obligés) de renoncer à leur affiliation nationale pour venir s'installer en Amérique du Nord. Plusieurs d'entre eux peuvent alors trouver difficile de comprendre la démarche de ceux qui restent attachés à leur affiliation nationale et qui refusent de s'intégrer au sein de la majorité anglophone en Amérique du Nord. Jacques Parizeau a en outre identifié le vote des anglophones et des individus ayant d'autres origines nationales comme la principale cause de l'échec référendaire alors qu'il y avait pourtant d'autres causes. Tant qu'à désigner des responsables, il fallait mentionner aussi l'étonnant résultat dans la région de Québec, où les souverainistes n'ont pas recueilli plus de 51% des votes.

Mais l'affirmation qui doit retenir le plus notre attention est celle d'avoir soutenu qu'il fallait dorénavant chercher à se convaincre entre nous, Québécois francophones, puisque les deux tiers d'entre nous avaient voté OUI. C'est dans cette référence au "nous" que réside le caractère problématique de son discours justifiant en apparence l'accusation de racisme ou de xénophobie. Envahi par le sentiment d'avoir été rejeté par la majorité des Québécois appartenant aux minorités, Jacques Parizeau s'est laissé entraîner à dire que les Québécois francophones devaient désormais ne chercher qu'à se convaincre entre eux. Contrairement à Jacques Parizeau, on peut penser qu'il faut poursuivre nos tentatives de convaincre tous les Québécois. Mais l'aspect le plus controversé est d'avoir en apparence exclu les minorités de la nation québécoise.

S'agissait-il de propos racistes ou xénophobes? Jacques Parizeau a dit cent fois que tous ceux qui choisissaient de vivre au Québec étaient des Québécois à part entière. Comment peut-on alors, à partir de quelques phrases malheureuses, conclure que tout le reste n'a été que façade et que le soir du référendum, le fond de sa pensée nous a été révélé? Nous croyons plutôt que Jacques Parizeau s'est fait prendre ce soir-là dans un piège qui guette tous les souverainistes. Face au refus apparent de certains de reconnaître leur appartenance à la nation québécoise, il est tentant de se réfugier dans un certain dépit et d'accepter cette auto-exclusion, plutôt que de calmement répéter notre désir d'être inclusifs. Voilà donc ce qui s'est passé le soir du 30 octobre 1995. Jacques Parizeau a donné l'impression de quelqu'un qui était prêt à accepter l'auto-exclusion apparente de certains Québécois. Il n'a donc jamais voulu délibérément exclure les Anglo-Québécois et les Québécois d'origines diverses de la nation québécoise. Il a seulement perçu (à tort) leur vote monolothique comme une auto-exclusion, et s'est ensuite comporté l'espace d'un instant comme quelqu'un qui acceptait par dépit cette auto-exclusion. Pour plusieurs, ce qui s'est produit à cet instant trahissait le fond de sa pensée. Mais ce jugement est injuste et il en dit plus long au sujet de celui qui le profère qu'au sujet de Jacques Parizeau. Il est très tentant pour les Canadiens de se faire une idée caricaturale du nationalisme québécois. Cela leur permet d'éviter d'avoir à faire leur propre examen de conscience. Mais ceux qui connaissent Jacques Parizeau savent qu'il promeut un nationalisme ouvert, civique, pluriculturel et multiethnique.

Il faut rappeler que la nation n'existe pas indépendamment de la représentation que la population dans son ensemble se fait d'elle-même, et cette auto-représentation ne fait pas que décrire qui on est, car elle exprime aussi ce que l'on veut être. La nation est une chose que l'on construit en choisissant de se donner des normes de conduite. Face à ceux qui caractérisent le peuple québécois à partir de son illusoire composante "pure laine" et qui choisissent ouvertement ou implicitement de s'exclure de la nation pour cette raison, il faut qu'une majorité écrasante persiste à affirmer le caractère civique, pluriethnique et multiculturel de la nation québécoise. Il faut décider déjà de maintenir une conception inclusive et choisir dès maintenant de conserver cette norme d'ouverture qui libère un espace assez grand pour tous ceux qui vivent au Québec, peu importe qu'ils acceptent ou non d'occuper cet espace. Et il ne faut pas que des déclarations de principe pour y arriver. Il faut mettre en place une politique de multiculturalisme qui vise à favoriser le maintien de la langue et de la culture d'origine des immigrants. Il faut également des politiques d'interculturalisme qui favorisent le métissage des cultures. Il faut enfin une politique d'intégration linguistique pour qu'ils puissent acquérir la langue publique commune, ainsi qu'une politique d'insertion à la culture publique commune.

Il peut sembler qu'une ambiguïté persiste dans le discours des souverainistes et que ceux-ci hésitent entre deux tendances: l'une plutôt culturelle ou ethnique, et l'autre plutôt civique. Mais en réalité, les nationalistes québécois tentent de dépasser l'opposition traditionnelle entre le nationalisme ethnique et le nationalisme purement civique. Ils sentent qu'il n'y aurait pas de nation québécoise s'il n'y avait pas une majorité nationale francophone, de laquelle doit émaner une langue publique commune, une culture publique commune, ainsi que des principes démocratiques communs. Les Québécois refusent avec raison un nationalisme exclusivement civique. Ils croient que la présence d'une majorité nationale francophone est cruciale et qu'elle conditionne l'existence du peuple québécois. Cela n'équivaut cependant pas à un nationalisme "culturel", voire ethno-linguistique. La nation est une sorte de communauté politique, composée sur le plan sociologique le plus souvent d'une majorité nationale ainsi que de minorités nationales et d'individus ayant d'autres origines nationales. La nation québécoise est déjà une telle communauté politique. Mais puisque, selon ce point de vue, la majorité nationale francophone joue un rôle fondamental dans l'identité québécoise, cela peut donner lieu à une perception erronée du nationalisme québécois, d'où les accusations constamment lancées contre les Québécois "pure laine". Or le rôle crucial joué par la majorité nationale dans la caractérisation de la nation sociopolitique québécoise est compatible avec le fait qu'il existe au sein de cette nation une minorité nationale anglophone et des individus ayant d'autres origines nationales.

L'ex-premier ministre du Québec a-t-il tenu des propos racistes ou xénophobes? Il a vécu le vote massif des minorités comme un rejet et une auto-exclusion, mais il n'a certainement jamais voulu délibérément les exclure de la nation québécoise. Deux ans plus tard, quand on se rappelle l'ampleur de la réaction suscitée au Canada anglais par la déclaration du 30 octobre 1995, on se dit que cet homme ne mérite pas d'avoir été qualifié de raciste ou xénophobe.

La société québécoise est multiethnique et pluriculturelle. Elle cherche à créer un équilibre entre les droits collectifs et les droits individuels. Elle récuse autant l'individualisme que le collectivisme. Ceux qui au Canada anglais endossent une conception individualiste de la vie en société ont sans doute le droit d'observer des divergences avec le Québec, mais ils n'ont pas le droit de colporter une interprétation étriquée, abusive, calomnieuse et réductrice de ce qui se fait et ce qui se dit ici.

Section 2 - Le plan B

2.1 Les attaques fédérales sur le front juridique: une déclaration unilatérale de souveraineté est-elle illégale?

La première offensive faite à l'encontre de la démarche souverainiste du Québec consiste à la décrire comme foncièrement illégale. C'est dans cette optique que le gouvernement fédéral s'est adressé à la Cour suprême. Nous voulons réagir ici au jugement que la Cour suprême risque de porter et à la tentation qu'ont plusieurs, et notamment le juge Lesage de la cour supérieure du Québec en 1995, de décrire une déclaration unilatérale de souveraineté comme étant "manifestement illégale". De nombreux arguments peuvent être invoqués contre cette prétention, et nous les passerons maintenant rapidement en revue.

(i) Ce sont les peuples qui créent les constitutions et non l'inverse

Il est vrai que le retrait du Québec de la fédération n'est pas prévu dans la Constitution canadienne. Il est vrai que la souveraineté du Québec ne peut s'accorder avec le document constitutionnel que si au moins sept provinces sur dix (et peut-être même dix provinces) consentent à modifier la constitution de façon appropriée, conformément à la procédure d'amendement introduite en 1982. Mais ce sont les peuples qui créent les constitutions et non les constitutions qui créent les peuples. L'acte de se doter d'une nouvelle constitution ne doit pas être subordonné aux règles particulières d'une constitution déjà existante. Les constitutions ne sont pas des réalités immuables.

Certes, la plupart des actions posées par les Québécois et Québécoises sont assujetties à la Constitution canadienne. Même si cette dernière est illégitime, elle constitue un ordre juridique qui contraint les comportements des individus vivant sur le territoire du Québec. En dépit de son caractère illégitime, elle continue de s'appliquer sur le territoire du Québec. Mais qu'en est-il de la démarche visant à faire du Québec un pays souverain? Ici, il ne s'agit pas de n'importe quelle action posée par tel ou tel citoyen, mais bien du remplacement d'un ordre juridique ancien par un ordre juridique nouveau. Il semble pour le moins hasardeux de prétendre que cette démarche devrait elle-même être assujettie aux règles de droit internes.

(ii) L'ordre constitutionnel de 1982 ne reflète pas les intérêts du Québec

Suite au rapatriement de la constitution en 1982, le Québec s'est vu imposer un nouvel ordre constitutionnel qui limite ses pouvoirs en matières de langue et d'éducation, puisqu'il incorpore une clause Canada qui oblige le Québec à admettre les enfants de Canadiens anglais dans les écoles anglaises du Québec. Ce nouvel ordre constitutionnel impose une formule d'amendement constitutionnel empêchant à toutes fins utiles toute réforme du fédéralisme, puisqu'une telle réforme requiert dans bien des cas l'assentiment de toutes les provinces. Le nouvel ordre constitutionnel n'inclut aucun transfert de compétences vers les provinces. Ce faisant, il ne tient pas compte des demandes historiques du Québec qui réclamait une nouvelle distribution des pouvoirs avant d'autoriser le rapatriement. Par l'imposition de ce nouvel ordre constitutionnel, le premier ministre de l'époque, Pierre Elliott trudeau, a manqué à sa parole. Sa promesse de changement, lors du référendum de 1980, s'est traduite plutôt par un coup de force constitutionnel.

Mais il y a plus grave. La Charte des droits et libertés qui fût incorporée au nouvel ordre constitutionnel est en grande partie d'inspiration individualiste. Elle ne tient pas compte des droits fondamentaux du peuple québécois. La constitution reconnaît l'existence des peuples autochtones, mais elle ne reconnaît pas l'existence du peuple québécois. En somme, ce nouvel ordre constitutionnel ne reflète aucunement les intérêts du Québec. Or c'est seulement relativement à un tel ordre juridique que la démarche québécoise apparaît illégale.

(iii) La Constitution canadienne est illégitime

Plusieurs autres arguments peuvent être invoqués pour récuser le point de vue de ceux qui cherchent à assujettir la démarche souverainiste à l'ordre constitutionnel canadien. La Cour suprême a statué en 1981 sur le caractère illégitime du projet de rapatrier unilatéralement la Constitution, projet entretenu par le premier ministre de l'époque, Pierre Elliott Trudeau. Pour cette raison, ce dernier a réalisé qu'il devait associer les provinces au processus. Il y est parvenu sauf pour le Québec. Est-ce que cela rendait le processus "légitime"? Si le Québec était une province comme une autre, on pourrait peut-être le prétendre. Mais l'État fédéré du Québec est l'expression politique de la nation québécoise. En excluant le Québec, on excluait du même coup la nation québécoise.

On peut supposer que dans le cadre d'un régime démocratique, une telle démarche peut être jugée légitime pourvu qu'elle soit au moins appuyée par une majorité de citoyens. Mais ce changement constitutionnel est survenu sans que la population canadienne n'ait été consultée. Et, plus grave encore aux yeux du Québec, ce changement constitutionnel est survenu en dépit du refus exprimé presqu'unanimement par tous les membres de l'assemblée nationale québécoise. On a donc raison de voir dans la Constitution canadienne un ordre juridique illégitime, et ce fait vient entacher la déclaration du juge Lesage ou de tout autre juge, fussent-ils de la Cour suprême, qui voudraient déclarer illégale une déclaration unilatérale. La démarche souverainiste n'est "manifestement illégale" que relativement à un ordre juridique qui, lui, est manifestement illégitime!

La légitimité de la Constitution canadienne est rendue encore plus problématique par le fait qu'elle a été imposée à un peuple tout entier contre son gré. Le pacte fédératif a alors été violé aux yeux des Québécois. La cour suprême a, il est vrai, décidé en 1982 que le Québec n'avait pas de droit de veto. Mais on ne saurait se servir de ce jugement pour déclarer la démarche souverainiste illégale. La Cour suprême n'est là que pour interpréter l'ordre juridique constitutionnel et la valeur juridique de ses décisions en cette matière est largement tributaire de la légitimité de l'ordre juridique lui-même. Il est paradoxal de se servir des tribunaux pour conférer une légitimité à la constitution alors que les tribunaux ne sont en fait que les interprètes d'un ordre constitutionnel illégitime.

Certains prétendent que le Québec a en un sens appuyé le rapatriement unilatéral de la constitution, puisque les députés fédéraux du Québec ont entériné à la Chambre des Communes la proposition de leur chef, Pierre Elliott Trudeau. D'autres évoquent aussi certains sondages survenus au Québec après le rapatriement et qui laissaient entrevoir un appui massif de la population. Ces remarques trahissent toutefois le sens démocratique douteux de ceux qui les profèrent. Selon la Cour suprême elle-même, ce sont les provinces que le gouvernement fédéral devait chercher à convaincre pour rendre le rapatriement légitime. Et lorsque le processus se déroule sans l'approbation d'une province qui est l'expression politique de l'un des peuples fondateurs, on est alors en droit de parler d'illégitimité. En ce qui concerne les sondages, la population change très souvent d'idée une fois que le débat est engagé à l'occasion d'un référendum. Ce phénomène s'est vérifié à plusieurs reprises, notamment à l'occasion du référendum de 1992 portant sur l'accord de Charlottetown. Or il n'y a pas eu de débat sur ce qui constitue la loi fondamentale du pays. La vérité est que l'on ne sait pas si la population approuverait l'ordre constitutionnel de 1982. C'est là est une raison supplémentaire nous permettant de conclure que cet ordre constitutionnel n'a pas été légitimé sur le territoire québécois.

La population n'a pas donné son accord. Il n'y a pas eu de référendum ou d'élections portant sur cette question. Bien au contraire, le premier ministre avait laissé entrevoir qu'une réforme du fédéralisme allait voir le jour si le Québec votait NON au référendum de 1980. L'assemblée nationale a adopté une résolution contre le rapatriement. La signature du Québec ne figure pas au bas de ce document. Tous les gouvernements qui se sont succédés au Québec, qu'ils soient fédéralistes ou souverainistes, ont refusé de l'entériner. Comment peut-on dans ce contexte parler de légitimité?

Le Québec ne verrait-il pas sa démarche jugée "illégale" même relativement à l'ancien ordre constitutionnel? Sans doute que oui. Toute la question serait alors de déterminer si la désobéissance civile peut dans le présent contexte être justifiée. Mais le problème est que nous ne nous trouvons pas sous l'égide de l'ancien ordre constitutionnel, mais bien en face d'un nouvel ordre juridique imposé de force et sans que la population n'ait été consultée. L'ordre constitutionnel nouveau est entaché d'illégitimité, et cela déteint sur la constitution dans son ensemble. C'est dans un tel contexte que le jugement de la Cour suprême intervient, et c'est la raison pour laquelle nous sommes justifiés à déclarer invalide toute éventuelle déclaration portant sur le caractère illégal d'une déclaration unilatérale.

Lorsqu'une constitution est imposée à un peuple contre sa volonté, ce dernier peut en toute légitimité se doter d'une autre constitution et accéder à la souveraineté politique pour y parvenir. Pour qu'un comportement soit illégal, il faut que l'ordre juridique à partir duquel on pose un tel jugement soit légitime. Or la Constitution canadienne est illégitime aux yeux des Québécois et Québécoises. Comment peut-on dans ce contexte affirmer sans vergogne que le processus référendaire est illégal?

(iv) L'ordre constitutionnel de 1982 est inopérant

Il existe dans la constitution canadienne un article qui impose au gouvernement canadien l'obligation de traduire le texte constitutionnel de 1982 en français. Cette obligation reflète la nécessité de se doter d'un ordre constitutionnel représentatif dans les deux langues officelles. Or cette obligation n'a jamais été remplie. La traduction officielle en français du texte constitutionnel n'a jamais eu lieu. Le gouvernement fédéral n'a jamais fait approuver la version française du nouvel ordre constitutionnel. Ce faisant, il ne s'est même pas conformé aux prescriptions contenues dans son propre document constitutionnel. Cela accentue le caractère illégitime et inopérant de l'ordre constitutionnel de 1982.

(v) Il existe une convention constitutionnelle permettant au Québec d'exercer son droit à l'autodétermination

On pourrait aussi raisonnablement prétendre qu'il existe une convention constitutionnelle permettant au Québec d'exercer son droit moral à l'autodétermination. Les premiers ministres canadiens qui se sont succédés ont reconnu de manière explicite la légitimité de la démarche québécoise. La participation fédérale aux référendums de 1980 et de 1995, l'absence de contestation de la loi 150 et plusieurs autres gestes posés par les autorités fédérales sont autant d'exemples qui révèlent la reconnaissance du droit à l'autodétermination des Québécois et Québécoises.

Il est vrai qu'il existe une différence importante entre le référendum de 1980 et celui de 1995. Le premier n'était que consultatif alors que le second était décisionnel. Mais on ne saurait se servir de ce fait pour nier l'existence d'une convention constitutionnelle. La convention dont nous parlons a trait à l'exercice du droit à l'autodétermination, que ce droit soit exercé suite à un référendum consultatif ou décisionnel. Les tentatives actuelles du gouvernement fédéral pour remettre en cause cette convention arrivent trop tard. Or s'il y a une convention constitutionnelle, cela veut dire que l'exercice du droit du Québec à l'autodétermination est légal, même sur le plan interne.

Il ne faut sans doute pas accorder trop de poids à cet argument. La Cour suprême est habilitée à se prononcer sur les questions de droit interne, et elle pourrait être tentée de ne pas reconnaître l'existence d'une telle convention, comme elle a, à une certaine époque, nié l'existence d'un droit de veto au Québec. Il ne faut donc pas trop insister sur cet argument. Bien qu'il soit sans doute fondé, l'argumentaire souverainiste serait politiquement vulnérable, puisque soumis au l'interprétation de la cour suprême, s'il ne reposait que sur l'existence d'une convention constitutionnelle l'autorisant à faire sécession.

Mais que l'on s'accorde ou non avec cette idée qu'il existe une convention constitutionnelle permettant au peuple du Québec d'exercer son droit à disposer de lui-même, cela ne change rien quant au fond de la question. Même sans convention constitutionnelle, les arguments précédents s'appliquent. Le fait que l'on puisse en plus parler raisonnablement d'une convention constitutionnelle ne fait que renforcer nos prétentions contre des jugements portant sur l'illégalité de la démarche.

(vi) Le processus d'accession à la souveraineté est d'abord et avant tout politique et non juridique

Une déclaration unilatérale de souveraineté donnerait lieu à une compétition entre des ordres constitutionnels qui se déclareraient tous les deux légitimes sur le territoire québécois. Il s'agirait d'une confrontation politique et non juridique. En ce sens, une déclaration éventuelle de la Cour suprême apparaîtrait comme un geste politique visant à influencer le cours politique des événements.

Certains reconnaissent explicitement ou implicitement que le droit à l'autodétermination déborde largement la seule sphère juridique, et ils croient que la dimension politique est déterminante à cet égard. Mais ils s'estiment quand même justifiés à imposer l'ordre constitutionnel canadien, et ce, même si cela va à l'encontre de la volonté démocratique du peuple québécois. Aux arguments moraux que le Québec peut invoquer pour justifier sa démarche souverainiste, on peut en somme, selon ce point de vue, opposer l'ordre constitutionnel canadien, et il est alors difficile de déterminer laquelle des deux options est juste.

Mais en choisissant de rapatrier la Constitution sans le consentement du Québec et de son Assemblée nationale, le Canada a facilité en quelque sorte la résolution de ce dilemme. Même si on peut en principe opposer au poids politique de certains arguments moraux en faveur de la souveraineté le poids politique d'un certain ordre constitutionnel, la balance doit pencher en faveur des arguments québécois étant donné que l'ordre constitutionnel qu'on lui oppose a été imposé sans référendum et sans le consentement de l'un des peuples fondateurs et de son Assemblée nationale.

Ceux qui prétendent que le Québec ne peut accéder à la souveraineté politique sans l'accord du Canada devraient comprendre que le Canada n'aurait pas dû imposer un nouvel ordre constitutionnel sans l'accord du Québec. Puisqu'il l'a fait, il doit maintenant en accepter les conséquences. Les Canadiens et Canadiennes seraient de toute façon tenus de reconnaître l'expression de la volonté populaire des Québécois et des Québécoises. On peut s'interroger, en effet, sur le caractère démocratique d'un gouvernement canadien qui refuserait d'entériner la décision démocratique du peuple québécois et chercherait à le maintenir contre son gré à l'intérieur d'un carcan juridique qui, lui, n'a jamais fait l'objet d'une approbation explicite de la part des Canadiens et Canadiennes.

La vérité est que la décision de la cour suprême aura un caractère éminemment politique. Toute déclaration sur le caractère "illégal" est une tentative de créer de la confusion dans l'esprit des gens. Ceux-ci risquent de se sentir soudainement en train de poser un geste moralement répréhensible. C'est ce qui est sous-entendu quand on dit de quelqu'un qu'il agit illégalement, et c'est précisément cela que les juges insinueraient en employant ce mot au lieu de reconnaître que cette question ne peut être résolue à partir de considérations strictement juridiques.

En s'engageant dans une démarche visant à faire du Québec un pays souverain, les Québécois et Québécoises n'adoptent pas un comportement répréhensible. Le seul geste moralement répréhensible est l'exclusion que le Canada pratique à l'égard du peuple québécois en refusant de le traiter comme une nation à part entière au sein du Canada. C'est ce fait fondamental et incontournable qui justifie la démarche souverainiste par-delà toute considération juridique.

(vii) Le droit international n'interdit pas une déclaration unilatérale de souveraineté

La nation québécoise ne peut invoquer un droit formel à l'autodétermination pleine et entière tant sur le plan du droit international qu'en vertu du droit constitutionnel canadien. Mais si le droit international n'autorise pas de déclaration unilatérale de souveraineté, il ne l'interdit pas non plus. Le droit à l'autodétermination pleine et entière se situe donc à l'extérieur de la légalité sans être toutefois illégal. Il s'agit somme toute d'un droit moral et politique et non d'un droit juridique.

Si le Québec déclare unilatéralement sa souveraineté, ce sont les règles de droit international qui s'appliquent et non celles du droit interne. Au moment de se déclarer souverain, le Québec remplace l'ordre constitutionnel ancien par un ordre constitutionnel nouveau. Il ne s'agit pas de prétendre qu'il est alors automatiquement souverain au sens d'être reconnu par la communauté internationale, mais nous sommes quand même entrés dans la sphère où les règles de droit international s'appliquent. Les règles de droit international pertinentes s'inspirent de la doctrine de l'effectivité. Les deux gouvernements entreront en compétition l'un avec l'autre pour assurer le contrôle effectif du territoire.

Vu sous cet angle, une déclaration d'illégalité émise par la Cour suprême n'est qu'une étape dans un processus visant à maintenir le contrôle effectif du territoire par le gouvernement canadien. Une fois placé en face d'une déclaration unilatérale, la déclaration d'illégalité se révèlerait pour ce qu'elle est, à savoir, une tentative de contrer politiquement le contrôle effectif que le Québec cherche à assurer sur son propre territoire. Il en va de même pour la prétention que les règles de droit interne s'appliquent encore même après une déclaration unilatérale.

Quand on se situe à l'intérieur de l'ordre constitutionnel canadien, une déclaration unilatérale du Québec peut apparaître comme étant techniquement illégale. Il faut dire "peut apparaître" parce que, comme on l'a vu, ce ne serait pas le cas si l'on reconnaissait qu'il existe déjà une convention constitutionnelle permettant au Québec d'exercer son droit à l'autodétermination. Mais supposons pour les fins de la discussion que la déclaration unilatérale de souveraineté soit techniquement illégale du point de vue du droit interne. Le problème est qu'après une déclaration unilatérale de souveraineté, c'est la doctrine de l'effectivité qui s'applique et non le droit interne.

(viii) La déclaration unilatérale s'accorde avec la primauté de l'État de droit

Bien sûr le processus d'accession du Québec à la souveraineté doit se faire en accord avec l'État de droit. L'accession du Québec à la souveraineté doit se faire sans que l'État du Québec ne viole les droits fondamentaux des citoyens. Il faut donc qu'aucun vide juridique ne survienne. Il faut qu'au moment d'accéder à la souveraineté, le gouvernement du Québec remplace l'ordre juridique ancien par un ordre juridique nouveau qui assure la protection des libertés fondamentales appartenant en propre à tous les citoyens. Autrement, on imposerait la tyrannie de la collectivité sur les individus et cela doit bien entendu être évité à tout prix.

Mais on ne doit pas perdre de vue qu'il existe aussi un autre danger. Il ne faut pas que l'État canadien impose son ordre constitutionnel contre le voeu de la majorité des Québécois. Procéder de cette façon, ce serait imposer la tyrannie de la majorité canadienne sur la nation québécoise. Telle est l'erreur commise par certains juristes. Sous prétexte de protéger la liberté de tous les citoyens contre la tyrannie du gouvernement québécois, ils tentent d'imposer la tyrannie du peuple canadien sur le peuple québécois.

Plusieurs juristes ont produit une argumentation de ce genre. Ils partent du principe fondamental de la primauté de l'État de droit, mais ils cherchent à se servir de ce principe pour justifier l'illégalité de la déclaration unilatérale de souveraineté. Or cette inférence n'est d'aucune façon valide. Il est pour le moins controversé de prétendre que les droits individuels des citoyens seraient menacés par une telle déclaration unilatérale. Tous les souverainistes s'accordent avec l'idée que les libertés fondamentales de tous les citoyens devraient être maintenues dans un Québec souverain. L'accession du Québec à la souveraineté irait de pair avec la création d'une Cour suprême québécoise à laquelle le gouvernement québécois serait lui-même assujetti. Tous les souverainistes acceptent l'idée qu'aucun vide juridique ne doit survenir. Il faut qu'au moment d'accéder à la souveraineté, un ordre nouveau s'instaure et assure la continuité dans la préservation des libertés fondamentales. Il est par conséquent complètement erroné de laisser entendre que le remplacement de l'ordre ancien par l'ordre nouveau constitue en soi une menace aux droits et libertés fondamentales et une remise en question de la primauté de l'État de droit.

Tels sont donc les arguments que l'on peut invoquer à l'encontre de ceux qui voient dans une déclaration unilatérale de souveraineté un geste "illégal". Il s'agit en bonne partie d'arguments légaux, mais dans l'ensemble, nos réponses visent à nous sortir d'une perspective étroitement juridique. Les enjeux sont d'abord et avant tout moraux et politiques.

2.2 Les attaques fédérales sur le front politique

2.2.1 Le gouvernement fédéral a une responsabilité morale à l'égard du Québec

Le gouvernement fédéral se doute peut-être des dangers qu'il court à adopter une perspective strictement juridique à l'égard du processus d'accession du Québec à la souveraineté, et il se trouve lui-même contraint d'admettre que l'enjeu est fondamentalement politique. Mais c'est aussi la raison pour laquelle il tente de brosser un tableau sombre de la réalité politique dans laquelle se trouverait le Québec après une déclaration unilatérale de souveraineté. On a ainsi cherché à décrire cette éventualité comme étant celle du chaos et de l'incertitude: remise en question de l'intégrité territoriale du Québec, mouvements partitionnistes, difficile négociation suite à un vote favorable, rejet du partenariat, absence de reconnaissance internationale, violence d'une déclaration unilatérale, chaos économique, fuite des capitaux, tout y passe. Et pourtant, aucun de ces événements ne risque de se produire si le gouvernement fédéral assume ses responsabilités et accepte de reconnaître comme il se doit la décision démocratique du peuple québécois.

En effet, dans les déclarations faites par le gouvernement fédéral, tout se passe un peu comme si ce dernier n'avait pas une responsabilité morale pleine et entière à l'égard de toutes ces questions. Tout se passe comme si les événements appréhendés allaient survenir contre la volonté du gouvernement fédéral alors que, s'ils surviennent, ce sera parce que le gouvernement fédéral aura décidé de les provoquer. Car si le gouvernement fédéral agit de manière responsable et, après consultation avec les provinces et les autochtones, reconnaît la souveraineté du Québec suite à une déclaration unilatérale, la souveraineté deviendra légale. Si le gouvernement fédéral agit de manière responsable et ne remet pas en cause l'intégrité territoriale, le problème de l'intégrité des frontières du Québec ne risque même pas de se poser. Si le gouvernement fédéral agit de manière responsable et n'appuie aucun mouvement partitionniste par une intervention directe sur le territoire du Québec, il n'y aura pas de partition du Québec. Si le gouvernement fédéral agit de manière responsable et reconnaît la souveraineté du Québec, la reconnaissance internationale sera immédiate et automatique. Si le gouvernement fédéral agit de manière responsable et accepte de discuter avec le Québec dans le but d'en arriver à une entente de partenariat, le gouvernement québécois n'aura pas besoin de recourir à une déclaration unilatérale de souveraineté. Si le gouvernement fédéral agit de manière responsable et accepte de négocier rapidement un accord de partenariat politique et économique, il n'y aura pas d'instabilité économique ou politique.

Comme on le voit, le gouvernement fédéral a un rôle majeur à jouer dans le déroulement des opérations, et s'il adopte un comportement irréprochable, le processus d'accession à la souveraineté se fera en douceur. C'est donc seulement pour faire peur aux Québécois que les fédéralistes purs et durs laissent miroiter des perspectives sombres et brossent un tableau catastrophique de la situation. En réalité, rien de cela ne risque de se produire si le gouvernement fédéral prend ses responsabilités et se comporte de manière moralement correcte.

2.2.2 Le gouvernement fédéral a commis une faute morale très grave

Malheureusement, le gouvernement fédéral s'est jusqu'ici comporté de manière immorale. Rien ne l'illustre mieux que les déclarations du premier ministre et du ministre des affaires intergouvernementales concernant la possibilité d'une partition du territoire québécois. Ce sont ces déclarations qui ont contribué à attiser le feu partititionniste. Il s'agit d'une faute morale très grave que l'on ne doit pas passer sous silence. La partition du territoire québécois, advenant l'accession du Québec à la souveraineté, est-elle une solution envisageable ou souhaitable? C'est à ces questions que nous devons maintenant tenter de répondre.

Les arguments contre la partition du territoire québécois par la minorité anglophone du Québec et quelques francophones sont fort nombreux. Mais avant de les énumérer il convient de se demander ce qui est entendu par le terme "partition". Qu'entend-on par la partition du territoire? Nous entendons simplement le fait qu'un sous-groupe au sein d'une nation civique donnée (qu'il s'agisse d'une nation ethnique, d'une minorité linguistique, d'une minorité nationale ou d'individus de "citoyens de la nation) choisisse de ne pas associer le territoire sur lequel il se trouve majoritairement au territoire de la nation au moment où celle-ci se constitue en État. Les visées qui animent de tels groupes peuvent être irrédentistes, ethnicistes ou loyalistes, tout comme elles peuvent être animées simplement par la volonté expresse de faire échec, par un moyen détourné, à un processus d'accession à la souveraineté. Cela importe peu dans les circonstances présentes. Il peut s'agir de défendre le maintien de son territoire au sein de l'ancien État ou de constituer un nouvel État. Mais dans tous les cas, il s'agit d'une portion de la population qui ne constitue pas à elle seule une nation civique en tant que telle, et qui refuse de s'associer à l'État nouvellement créé.

Ainsi, il ne faut pas confondre le processus d'accession du Québec à la souveraineté avec la démarche de certains Québécois anglophones ou francophones qui cherchent à violer l'intégrité du territoire québécois pour rester Canadiens. Le ministre des affaires intergouvernementales se plaît à comparer les deux démarches et laisse entendre qu'elles s'équivalent, mais il n'en est rien. Le ministre prétend, en effet, que les souverainistes proposent rien de moins que la partition du territoire canadien et qu'en ce sens, leur démarche équivaut à la partition du territoire québécois par les Anglo-Québécois. Si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi, ajoute-t-il. Il ne fait donc pas la différence entre l'accession d'un peuple à la souveraineté et le comportement irrédentiste de certains Anglo-Québécois. Et pourtant, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'a rien à voir avec le partitionnisme. Seuls les peuples peuvent exercer ce droit. En confondant les deux démarches, on nie encore une fois l'existence du peuple québécois.

2.2.3 Les arguments contre la partition

Quels sont donc les arguments que l'on peut invoquer à l'encontre de la partition du territoire québécois?

(i) L'histoire prouve que la partition n'est pas une solution

On doit tout d'abord souligner que, d'un point de vue historique, la partition s'est toujours avérée désastreuse. Elle n'a jamais pu assurer la résolution des problèmes qu'elle était censée résoudre.

Les principaux exemples de partition sont survenus soit dans le contexte de l'application du principe des nationalités, c'est-à-dire du principe selon lequel toutes les ethnies doivent avoir leur État, soit dans un contexte plus pragmatique où elle est présentée comme un moindre mal.

Il faut dire tout de suite qu'à notre époque, plus personne ne défend le principe des nationalités. Plus personne ne croit que les nations ethniques doivent devenir souveraines. Tous s'en remettent au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce dernier principe est très différent, puisqu'il n'implique pas nécessairement un droit de sécession. En tant que droit juridique, la déclaration sur les relations amicales de 1970 précise les conditions sous lesquelles un peuple peut exercer son droit à disposer de lui-même. En tant que droit moral, il peut dans certaines circonstances prendre la forme d'un droit de sécession. Mais même dans ce cas, il n'équivaut pas au principe des nationalités qui affirmait que toute nation doit devenir souveraine.

Mais qu'en est-il de l'argument pragmatique en faveur de la partition? Il tire son inspiration de la volonté des États impliqués de l'extérieur dans un conflit entre un État englobant et un groupe partitionniste de se retirer le plus rapidement possible pour ne pas avoir à se retrouver au coeur d'un conflit jugé insoluble. La partition du territoire est alors un moyen de satisfaire le plus possible les différents groupes en présence sans avoir à se compromettre davantage dans le conflit.

La plupart des cas de partition au 20e siècle sont de ce type. Qu'on pense à la partition de l'Irlande, de l'Inde, de Chypre ou de la Bosnie, tous ces cas impliquaient des puissances étrangères (très souvent l'Angleterre) qui voulaient se retirer du territoire dans les plus brefs délais . Le principe suivi était celui de "diviser pour quitter". Mais comme le mentionne Radha Kumar dans un article important paru dans le numéro de janvier/février de la revue Foreign Affairs en 1997, Vol. 76, no 1, 22-34, la partition a presque toujours eu l'effet contraire. La règle suivie a été celle de "diviser pour rester". L'État tiers qui a favorisé la partition comme un moyen de permettre le retrait rapide de ses propres troupes s'est retrouvé englué dans un conflit qui s'est éternisé. L'armée britannique est toujours en Irlande, les Casques bleus sont toujours à Chypre, la FORPRONU est toujours en Bosnie. Seule l'Inde semble avoir échappé à cette règle, mais c'est parce que, dans ce cas, le pays tiers, l'Angleterre, était fort éloigné du lieu où se trouvait le conflit.

Bref d'un point de vue historique, il semble que la partition ne soit pas une bonne solution.

(ii) La partition du territoire pose des problèmes pratiques insolubles

L'argument le plus connu contre la partition est celui qui concerne la faisabilité pratique de l'entreprise partitionniste. Cette dernière se présente très souvent comme fondée sur la volonté qu'ont certains individus de rattacher le territoire sur lequel ils se trouvent à l'État de leur choix. Mais les partitionnistes ne réalisent pas que s'il fallait écouter les volontés de chacun, on se retrouverait vite dans le chaos le plus complet. Les citoyennetés se répartiraient différemment selon les villes, les quartiers, les rues et les adresses civiques. Si l'on généralisait la recette partitionniste à l'échelle planétaire, la pakistanisation des territoires nationaux serait généralisée. Tous les pays seraient comme des territoires éclatés. Cet éclatement aurait toutes les chances de se généraliser et de se poursuivre jusqu'à ce que chaque individu ait sa propre allégeance. Cela conduirait à des solutions absurdes. Les partitionnistes sincères, s'il en existe, doivent s'en rendre compte.

Mais, dira-t-on, le Québec ne risque-t-il pas, s'il fait sécession, de pakistaniser lui-même le Canada? C'est en effet à cette conclusion qu'il faudrait s'en remettre si aucun partenariat n'était possible avec le Canada. Mais le Canada n'aura d'autre choix que de s'entendre avec le Québec sur un certain nombre de dossiers chauds: la dette, l'union monétaire, l'union économique, les autochtones et les minorités nationales anglophone et francophone. Même si le Canada refuse l'offre de partenariat proposée par les souverainistes, il n'aura d'autre choix que d'approuver une union économique et politique minimale. Il n'y aura donc pas de paskistanisation du territoire, puisqu'il y aura une seule et même entité politique, l'Union Canada-Québec-Autochtones d'un océan à l'autre.

(iii) La partition créerait des frontières ethno-linguistiques

Le partitionnisme anglo-québécois a toutes les allures d'un mouvement qui vise à rassembler les individus ayant la même identité ethno-linguistique. Il ne se présente pas explicitement de cette façon, mais dans les faits le partage des frontières qu'il propose est en grande partie le reflet de la composition ethno-linguistique des groupes concernés. Pour contrer cet argument, les partitionnistes évoqueront sans doute le caractère multiethnique du Canada auquel ils veulent être rattachés et reprocheront aux souverainistes québécois d'être ceux qui défendent un point de vue ethniciste, mais tout cela ne parvient pas à camoufler le caractère ethno-linguistique de leur propre démarche. En effet, ce n'est pas parce que certains Anglo-Québécois se font une idée étriquée du nationalisme québécois en le concevant comme ethnique, et refusent pour cette raison d'appartenir à la nation québécoise, conçue par eux comme étant elle-même ethnique, que le nationalisme québécois cesse pour autant d'être civique et inclusif. L'absence d'un sentiment d'appartenance de certains Anglo-Québécois à l'égard de la nation québécoise ne démontre pas le caractère ethnique du nationalisme québécois, mais trahit bien au contraire l'incapacité de reconnaître l'existence d'une nation civique québécoise sur le territoire du Québec. Ce sont ces Anglo-Québécois eux-mêmes qui pensent à partir de catégories ethnicistes et c'est cela qui trahit le sentiment xénophobe qu'ils entretiennent à l'égard du Québec. Le partitionnisme anglo-québécois doit donc être combattu et rejeté pour la même raison que l'on doit combattre et rejeter les mouvements ethno-linguistiques.

(iv) La partition est anti-démocratique

Cet argument est lui aussi bien connu. La démocratie renvoit à la volonté populaire, et le peuple s'exprime toujours à travers une majorité des voies. Or les partitionnistes refusent de se plier à la décision de la majorité. Plus exactement, ils acceptent de jouer le jeu de la démocratie, mais pour eux il ne s'agit que d'un jeu. Car s'ils perdent à ce jeu, ils s'empressent de crier victoire et prétendent ne pas avoir à se sentir liés par la décision de la majorité. Cette réaction n'a rien à voir au fond avec le problème de déterminer une majorité qualifiée au lieu de la majorité absolue, car le partitionniste conséquent refuse de se sentir lié à une décision qui ne lui convient pas. Les partitionnistes ont donc une conception problématique de la démocratie. Leurs revendications supposent que les désirs de chaque individu puissent être satisfaits, ce qui est déjà en soi un objectif impossible à atteindre. Mais ils veulent aussi et surtout défendre leurs intérêts, et ce, même si cela va à l'encontre de la volonté démocratiquement exprimée par la population dans son ensemble. C'est en ce sens précis que leur démarche se révèle anti-démocratique.

(v) La partition est une absurdité sur le plan économique

Si l'on devait donner raison aux partitionnistes, le Québec perdrait son centre nerveux économique. La région de Montréal joue un rôle fondamental dans le développement économique du Québec, et il ne fait pas sens d'imaginer un Québec souverain qui en serait privé. On peut sans se tromper prétendre que le Québec deviendra souverain avec la ville de Montréal, ou ne deviendra pas souverain du tout.

La situation du Québec est à cet égard avantageuse, si on la compare par exemple à celle de la Belgique. La région de Bruxelles-Capitale,qui est le centre nerveux économique de la Belgique, est un lieu où vivent 80% de francophones tout en se situant sur le territoire du Brabant flamand, nouvellement créé de puis le 1er janvier 1995. En effet, depuis cette date, l'ancienne province du Brabant s'est scindée en deux, pour devenir le Brabant flamand et le Brabant wallon. Il est difficile d'imaginer comment les deux principales entités, flamande et wallone, pourrait se partager le territoire dans l'hypothèse d'une scission du pays en deux, et le problème apparaît pratiquement insoluble à cause de la région de Bruxelles. Mais telle n'est pas la situation du Québec, puisque son centre nerveux se situe sur le territoire québécois, alors que le centre économique du Canada, la région de Toronto, se trouve entièrement hors du Québec. L'idée que la ville de Montréal puisse être rattachée en totalité ou en partie au territoire canadien advenant l'indépendance du Québec est non seulement farfelue et dangereuse. Elle trahit une arrogance raciste à l'égard de la population québécoise qui doit être dénoncée sans ménagement.

(vi) La partition est injustifiable sur le plan juridique

Si l'on met pour le moment entre parenthèses le cas particulier des autochtones, la jurisprudence confirme que le Québec devrait préserver les frontières qu'il a présentement au moment de devenir souverain. Le principe juridique qui s'applique est celui de l'uti possidetis. Ce principe reçoit l'appui solide de la communauté internationale, surtout depuis la dissolution de l'URSS, de la Yougoslavie et de la Tchékoslovaquie. La règle de l'uti possidetis est celle qui a partout prévalu comme règle normative, même si elle a été parfois violée, comme ce fut cruellement le cas en Bosnie Herzégovine. Le fait que certaines exceptions tragiques comme la Bosnie puissent être mentionnées ne doit pas nous convaincre d'abandonner le principe de l'uti possidetis, bien au contraire. Cet exemple montre plus que jamais la nécessité de renforcer l'application du principe. L'avis exprimé en 1992 par les cinq juristes internationaux pour le compte du comité sur les questions afférentes à la souveraineté est très clair sur ce point. Il s'appuie notamment sur des avis exprimés par la commission Badinter qui devait pour sa part faire des recommandations au sujet de l'intégrité des territoires des anciennes républiques yougoslaves. La commission Badinter s'est de son côté appuyée sur des décisions prises par la Cour internationale de justice dans les conflits qui ont opposé le Burkina-Faso au Mali lors de la décolonisation. Il existe en somme une jurisprudence importante, appuyée dans les faits par les très nombreux pays issus de la dissolution des régimes communistes, pour venir renforcer le principe selon lequel le Québec devrait préserver ses frontières après l'accession à la souveraineté.

(vii) Les Anglo-Québécois ne peuvent se séparer du Québec puisqu'ils font partie de la nation québécoise

On ne peut pas assimiler la démarche sécessionniste du Québec à la démarche partitionniste de certains Anglo-Québécois, et ce pour une raison simple : les Anglo-Québécois ne forment pas à eux seuls une nation. Depuis que notre nationalisme est devenu québécois et non plus "canadien français", on doit même dire qu'ils font partie de la nation québécoise et qu'à ce titre, ils ne peuvent légitimement morceler le territoire. Les peuples peuvent dans certaines circonstances avoir des justifications morales pour exercer un droit de sécession, mais la partition du territoire par un sous-groupe au sein de la population est, dans la plupart des cas, illégitime et moralement irresponsable. Un sous-groupe au sein de la nation ne peut pas exercer un droit plein et entier à l'autodétermination.

Cependant, qu'arriverait-il si la minorité anglo-québécoise était composée de gens qui, majoritairement, ne s'identifient pas à la nation québécoise? Notons tout d'abord l'ironie de la chose. Après avoir reproché aux souverainistes québécois de ne pas les reconnaître comme des Québécois à part entière, voilà que certains Anglo-Québécois leur reprochent de se voir inclus dans la nation québécoise. Que peut-on répondre à cet argument? On peut certes s'employer à leur rappeler qu'ils ont joué un rôle historique déterminant au Québec. Des institutions comme notre système parlementaire, l'Université McGill, la Gazette, des penseurs et artistes comme Charles Taylor ou Leonard Cohen, ont forgé la spécificité sociale, politique et culturelle du Québec. Cette contribution fondamentale des Anglo-Québécois à l'histoire du Québec fait d'eux des Québécois à part entière.

(viii) Le partitionnisme présuppose une éthique individualiste qui confine à l'intégrisme

Le partitionnisme participe d'une conception individualiste de la vie en société, et doit être rejeté pour cette raison. Il faut éviter autant l'individualisme politique qui affirme la primauté absolue des droits individuels sur les droits collectifs, que le collectivisme qui est la doctrine inverse et qui affirme la primauté absolue de la communauté sur l'individu. Il faut assurer autant que possible un juste équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs. Si le peuple dans son ensemble choisit majoritairement la voie de la souveraineté politique, les individus qui demeurent sur le territoire de la communauté politique sécessionniste doivent se conformer à la volonté populaire, et le droit à l'autodétermination du peuple, en tant que droit collectif, doit primer sur la préférence qu'un individu accorde au rattachement du territoire sur lequel il se trouve à tel ou tel État. Cela ne doit pas être interprété cependant comme affirmant la primauté absolue de la collectivité sur les droits individuels, puisque les individus ont toujours l'option de se retirer du territoire s'ils le désirent. Autrement dit, l'exercice d'un droit collectif d'autodétermination ne doit pas prendre la forme d'une inclusion forcée des individus au sein d'une communauté politique à laquelle ils ne veulent pas appartenir. Le juste équilibre entre les droits individuels et collectifs requiert que les individus puissent s'ils le désirent choisir librement leur communauté politique d'appartenance. Si les partitionnistes en sont venus à accorder plus d'importance à la préférence individuelle qu'à la volonté majoritaire du peuple, c'est parce qu'ils ont une conception individualiste du peuple qui le réduit à n'être rien de plus qu'un ensemble d'individus. À la volonté de certains individus de voir leur territoire appartenir à un nouvel État, ils croient pouvoir opposer la volonté de certains autres individus qui préfèrent au contraire voir leur territoire maintenu au sein de l'ancien État. Cette façon de voir les choses trahit un fanatisme individualiste qui nie l'existence collective des peuples et nie l'existence de leurs droits collectifs.

(ix) La protection des droits acquis de la minorité anglophone leur permet de conserver leur langue et leur culture

Mais soyons plus attentifs à l'inquiétude qu'expriment les citoyens tentés par le partitionnisme. Ignorons le fanatisme de leaders comme Stephen Scott, William Johnson, Keith Anderson, Gerry Wiener, Brent Tyler ou Guy Bertrand, et rapprochons-nous des citoyens ordinaires qui se sentent interpellés par leurs propos. Que veulent-ils? Ils veulent demeurer Canadiens. Que faut-il comprendre par là? Ils veulent conserver leur identité culturelle et linguistique. Les souverainistes peuvent-ils les satisfaire en ce sens? Sans aucun doute : ils peuvent garantir leurs droits collectifs et leur accorder le statut de minorité nationale. Cela signifie que la constitution d'un Québec souverain contiendrait une référence explicite à la minorité nationale anglophone et garantirait le maintien de ses droits acquis. Le Québec pourrait reconnaître non seulement son caractère pluriethnique, mais aussi sa dimension pluriculturelle, c'est-à-dire qu'il reconnaîtrait formellement l'existence et la contribution de la majorité nationale francophone, de la minorité nationale anglophone et des citoyens de toutes autres origines nationales. Certes, les nationalistes québécois adhèrent à un nationalisme civique. Ils affirment l'égalité de tous les citoyens et défendent une citoyenneté québécoise fondée sur l'acceptation d'une seule langue officielle et l'intégration au sein d'une seule culture publique commune. Mais en plus de reconnaître ce que nous avons en commun, nous pouvons et nous devons reconnaître notre pluralisme culturel. Le nationalisme exclusivement civique ignore cette reconnaissance. C'est la raison pour laquelle il nous faut le rejeter au profit d'une conception civique qui reconnaît explicitement le caractère pluraliste de la nation.

(x) Le partenariat leur permettrait de conserver un lien avec le Canada

Mais lorsqu'ils manifestent le désir de rester Canadiens, les Anglo-Québécois affirment aussi qu'ils veulent continuer d'appartenir au pays qu'est le Canada. Que faut-il alors leur répondre? Il faut leur dire que nous les comprenons, que c'est normal, et que c'est avec regret que nous verrions partir certains d'entre eux advenant la souveraineté du Québec. "Mais non, vous ne comprenez pas, nous voulons rester canadiens et en même temps nous voulons rester ici!" Que peut-on opposer à cela? Le dialogue semble ne plus pouvoir se poursuivre. Comment les souverainistes pourraient-ils répondre à une telle attente? La séparation du Québec ne rend-elle pas impossible le fait de rester ici et de demeurer canadien? Oui, en effet, tel serait le cas si les souverainistes préconisaient tout bonnement la séparation du Québec. Mais depuis toujours, ils ont proposé autre chose: ils veulent affirmer leur souveraineté et ils souhaitent une association économique avec le Canada. Depuis le 11 juin 1995, ils proposent même un partenariat économique et politique avec le Canada. Bien entendu, il n'y aura plus jamais de trait d'union: la souveraineté n'est pas conditionnelle à une entente de partenariat. Mais qu'arriverait-il si une telle entente était conclue? Les Anglo-Québécois pourraient alors à la fois rester ici et faire partie d'une union Canada-Québec-Autochtones. Ils maintiendraient par conséquent un lien avec le Canada. On pourrait même inventer une citoyenneté de l'union, en plus des citoyennetés québécoise et canadienne. Plusieurs Anglo-Québécois pourraient sans doute aussi maintenir leur citoyenneté canadienne. Ainsi, il n'est pas nécessaire d'envisager la partition pour assurer un couloir entre le Canada et les Maritimes après la souveraineté, ni pour conserver un lien avec le Canada. Le partenariat tient compte des inquiétudes profondes des Anglo-Québécois. Certains souverainistes se demandent comment répondre aux partitionnistes, mais la réponse est dans leur programme. Si le discours partitionniste prend de l'ampleur, c'est peut-être parce que les souverainistes n'ont pas assez fait la promotion du partenariat. En proposant le partenariat, ils font sans doute bonne figure aux yeux de la communauté internationale et s'assurent d'un plus grand nombre d'appuis à la souveraineté, mais ils remplissent aussi leurs obligations à l'endroit des Anglo-Québécois.

Voilà donc en résumé quelques-uns des arguments qui peuvent être invoqués contre la partition du Québec par les Anglo-Québécois. On doit rejeter le partitionnisme pour des raisons historiques. Il s'agit d'une démarche qui n'est pas réalisable sur le plan pratique, qui participe d'un point de vue ethniciste, et qui est fondamentalement anti-démocratique. Cette doctrine va à l'encontre de toute logique sur le plan économique et elle est réfutée par la pratique internationale actuelle sur le plan juridique. Elle nie le fait que les Anglo-Québécois fasse partie du peuple québécois et elle promeut un individualisme débridé qui confine à l'intégrisme. Finalement, les inquiétudes qui sont à l'origine de la tentation partitionniste peuvent être apaisées en accordant aux Anglo-Québécois le statut de minorité nationale et en préservant leurs droits collectifs acquis. Leur désir de rester Canadiens peut aussi être en partie satisfait grâce à la proposition de partenariat que les souverainistes mettront de l'avant.

Qu'on se le tienne pour dit, les Anglo-Québécois ne pourront pas partitionner le territoire du Québec. Le gouvernement canadien n'osera jamais les appuyer dans cette démarche. Il n'osera jamais envoyer l'armée pour venir les appuyer. S'il le faisait, sa réputaton internationale serait ternie à tout jamais. Et sans l'appui du gouvernement fédéral, le mouvement partitionniste apparaît dans toute sa vulnérabilité comme une lubie entretenue par quelques agitateurs racistes isolés qui exploitent de manière irresponsable les inquiétudes de nos concitoyens anglophones.

2.2.4 La problématique autochtone

Les objections soulevées contre la partition du territoire québécois ne semblent pas s'appliquer aux autochtones. Après tout, si la nation québécoise a le droit à l'autodétermination, la même chose peut être dite au sujet des nations autochtones. On doit reconnaître que si le Canada est divisible, le Québec souverain pourrait éventuellement l'être aussi s'il ne reconnaissait pas formellement l'existence des peuples autochtones. Les onze nations autochtones ne représentent au total qu'environ 74 000 personnes sur le territoire québécois, mais il s'agit néanmoins de nations. Elles devraient être considérées sur un pied d'égalité avec la nation québécoise. Pour l'essentiel, ces considérations apparaissent exactes, mais il ne faut pas en rester à des généralités. Regardons la situation de plus près.

Il y a sur le territoire canadien environ 700 000 autochtones répartis en 600 bandes et susceptibles de former entre 60 et 80 nations. Il serait extravagant d'autoriser l'exercice d'un droit de sécession à l'ensemble de ces peuples. Si le rapport Dussault-Erasmus était mis en application, et certains croient que c'est une utopie de croire qu'il le sera, les peuples autochtones jouiraient seulement d'un droit limité à l'autodétermination, à savoir l'autonomie gouvernementale. Les auteurs du rapport affirment d'ailleurs explicitement que les autochtones n'ont pas l'intention de violer l'intégrité territoriale du Canada. Au Québec cependant, les Cris et les Inuit ont déjà dit à maintes reprises qu'advenant la souveraineté du Québec, ils voudraient être rattachés au Canada et non au Québec. Or, le droit d'association qu'ils exerceraient en ce cas aurait pour effet de violer l'intégrité territoriale du Québec. Il équivaudrait en ce sens à l'exercice du droit de sécession. Pourquoi ces deux poids, deux mesures? Au Canada, on accueille le rapport Dussault-Erasmus dans l'indifférence la plus totale alors qu'il ne préconise que l'autonomie gouvernementale. Mais au Québec, il faudrait accorder aux peuples autochtones un droit de violer l'intégrité territoriale? L'autonomie gouvernementale autochtone, soutiennent les auteurs du rapport, est compatible avec le respect de l'intégrité territoriale du Canada. Pourquoi ne serait-elle pas compatible avec l'intégrité territoriale du Québec? Pourquoi trouve-t-on raisonnable que les Cris ou les Inuit choisissent de violer l'intégrité territoriale du Québec?

2.2.4.1 Un problème moral et politique

La relation que le Québec entretient avec les onze peuples autochtones vivant sur son territoire est d'abord et avant tout morale et politique. Toute la question est de savoir ce qui constitue un arrangement adéquat qui puisse satisfaire les deux parties en présence. De notre point de vue, le gouvernement du Québec doit reconnaître que, malgré son caractère illégitime, la constitution de 1982 comporte un article qui protège les autochtones, l'article 35, et il doit pour cette raison accepter de le reconduire dans la constitution du Québec souverain. Il doit s'engager à reconnaître les droits ancestraux des autochtones et à admettre le principe de l'autonomie gouvernementale. Le gouvernement a eu tort de défendre la terra nullius à la cour suprême et il a tort d'exiger encore à notre époque l'extinction des droits en échange de l'autonomie gouvernementale. Il pourrait même, une fois que le Québec serait devenu souverain, accepter si cela s'avère nécessaire, de partager pendant un certain temps la responsabilité de fiduciaire avec le gouvernement fédéral à l'égard des peuples autochtones vivant sur les deux territoires. Il devrait favoriser un règlement des revendications autochtones parallèlement au processus d'accession à la souveraineté, et ne pas reporter ces questions aux calendes grecques.

Mais les autochtones doivent eux aussi reconnaître le peuple Québécois et comprendre les raisons qui le motivent à devenir souverain. L'une des meilleures façons de le faire est de s'engager à respecter l'intégrité du territoire québécois après une déclaration unilatérale de souveraineté. Telle est la voie dans laquelle Bernard Cleary semble vouloir s'engager advenant l'impossibilité de réformer en profondeur le fédéralisme. Cette position constitue un compromis raisonnable, et le gouvernement québécois devrait dès à présent tenter de conclure une entente avec des porte-parole de ce genre.

Mathew Coon Come et Ghislain Picard pensent les choses d'une toute autre façon. Ils laissent entendre que si le Québec peut s'engager dans la voie de la souveraineté, les autochtones peuvent de leur côté exercer un droit d'association et rester Canadiens. Il faut dire tout de suite que l'on ne peut entièrement rejeter cette hypothèse du revers de la main. Les autochtones sont, comme tous les autres peuples, en principe libres de choisir leur propre destin, et ils pourraient être justifiés dans certaines circonstances à exercer de cette façon leur droit à l'autodétermination. Mais il faut aussi que les nationalismes québécois et autochtones puissent cohabiter harmonieusement et que l'autodétermination des uns n'entrave pas celle des autres. C'est dans cet esprit que le Québec procède avec le Canada en proposant encore un partenariat politique même après que les tentatives de réforme aient toutes échoué, et c'est dans cet esprit qu'il procèderait à l'égard des autochtones s'il appliquait les mesures que je viens de mentionner. Mais si toutes les nations autochtones du Québec exerçaient un droit d'association avec le Canada, le Québec se retrouverait avec onze enclaves. Cela compromettrait le contrôle effectif du territoire et rendrait par conséquent impossible le processus d'accession à la souveraineté. Cela heurterait de front les intérêts économiques du Québec dans le grand nord et encouragerait les mouvements partitionnistes de certains Anglo-Québécois. Il est évident que la solution proposée par Ghislain Picard et Mathew Coon Come aurait pour effet de faire reculer de nombreux Québécois devant le projet souverainiste. En somme, quand on l'examine concrètement, la solution qu'ils proposent ne tient pas compte des revendications légitimes du peuple québécois. C'est une solution qui cherche à défendre le droit à l'autodétermination des peuples autochtones, mais sans tenir compte du droit à l'autodétermination du peuple québécois. Les auteurs prétendent que l'association au Canada est le pendant inévitable de l'accession du Québec à la souveraineté, mais en réalité, c'est une action qui empêche la souveraineté de se réaliser.

Ils laissent entendre que le Québec ne pourra pas maintenir son intégrité territoriale advenant l'accession du Québec à la souveraineté. Mais suite à une éventuelle déclaration unilatérale, le Québec remplacera l'ordre constitutionnel ancien par un ordre nouveau qui contiendra sans aucun doute des clauses portant sur le territoire québécois. Si les peuples autochtones exercent alors un droit d'association après une telle déclaration de souveraineté, ils devront violer l'ordre constitutionnel québécois, de la même manière que le Québec doit s'opposer à l'ordre constitutionnel canadien s'il choisit de déclarer unilatéralement sa souveraineté. Les peuples autochtones auraient sans doute raison de s'engager dans une telle contestation si le Québec ne reconnaissait pas leurs droits, mais ils ne seront pas moralement justifiés de le faire dans le cas contraire. Après trente cinq d'échecs constitutionnels et de refus obstinés des Canadiens à reconnaître l'existence du peuple québécois, ce dernier a des raisons morales profondes pour choisir la souveraineté. Les peuples autochtones ont-ils vraiment des griefs semblables à l'égard du Québec?

Les peuples autochtones n'auraient pas de raison de violer l'intégrité du territoire québécois si le Québec avait un comportement irréprochable à leur endroit. De la même manière, les Québécois n'auraient pas de légitimité morale pour accéder à la souveraineté s'ils étaient reconnus comme une nation avec un statut particulier au sein de la fédération. C'est en ces termes moraux et politiques qu'il faut poser le problème. Les considérations morales laissent certaines personnes "grandement perplexes". (Voir, par exemple, le texte de Carol Hilling dans le Devoir du 8 septembre) Pourtant dans les sociétés libérales, un rapport de force politique doit, pour être respectable, s'appuyer sur des justifications morales solides. Une grève syndicale, par exemple, doit être motivée par des principes de justice et d'équité. Or messieurs Picard et Coon Come ne semblent pas s'embarasser de considérations morales lorsqu'il s'agit d'examiner les conséquences d'une association avec le Canada. Le cynisme et la désinvolture avec lesquels ils traitent les considérations morales montrent qu'ils n'ont pas suffisamment réfléchi à la gravité des questions qu'ils soulèvent. Cela explique aussi pourquoi ils ne se sont pas rendu compte du caractère dangereux des solutions qu'ils proposent.

Il faudra que parallèlement à la démarche souverainiste, on règle les revendications légitimes des peuples autochtones. Leur cause est aussi honorable que celle du Québec. Le Québec ne doit pas se comporter à leur endroit comme le Canada s'est comporté à l'égard du Québec. Les problématiques autochtone et québécoise peuvent être réglées séparément l'une de l'autre, mais elles doivent aussi être réglées en même temps. Il faudra tout mettre en oeuvre pour que des ententes avec les autochtones puissent intervenir avant la tenue d'un prochain référendum, sinon avant une déclaration de souveraineté. Il faudra faire preuve d'imagination et reprendre à son compte les propositions intéressantes du rapport Dussault-Erasmus. Je souhaite même pour ma part qu'on associe les autochtones à la proposition de partenariat avec le Canada. C'est de cette façon que l'on tiendra vraiment compte de leur droit à l'autodétermination.

2.2.4.2 Des arguments juridiques?

Le débat ne doit pas se perdre dans des arguties juridiques. Il est vrai que les autochtones se sentent dans l'obligation d'utiliser tous les outils possibles mis à leur disposition, et cela comprend très souvent des outils juridiques. Il ne faut pas leur en faire le reproche à cet égard, mais le problème demeure quand même d'ordre politique.

Pour s'en convaincre, acceptons encore une fois de faire un détour par des considérations d'ordre juridique. On fera valoir l'argumentaire autochtone, puis celui que le gouvernement pourrait être tenté d'invoquer. On cherchera enfin comment résoudre le conflit juridique entre les deux points de vue. La conclusion sera en grande partie inspirée par un compromis politique, ce qui nous permettra encore une fois d'illustrer les limites de la rationalité juridique.

Pour comprendre la position des autochtones, il faut distinguer différents concepts. Il faut distinguer l'autodétermination légale de l'autodétermination au sens moral. Seule la seconde peut inclure un droit de violation de l'intégrité territoriale. Puis l'autodétermination au sens moral se distingue elle-même en autodétermination interne ou externe. La première suppose un droit exercé à l'intérieur et dans le respect des frontières territoriales d'un État englobant alors que la seconde suppose la violation de l'intégrité territoriale. Un droit d'autodétermination externe peut prendre différentes formes. Il peut s'agir d'un droit d'asscociation à un autre État ou d'un droit de sécession. Enfin, l'exercice du droit à l'autodétermination externe peut avoir lieu après la déclaration de souveraineté du Québec ou après que le Québec ait pleinement accédé à la souveraineté en un sens qui implique la reconnaissance par les autres États.

Une fois que ces distinctions ont été faites, on peut résumer de la façon suivante un argument juridique qui autoriserait les autochtones à violer l'intégrité territoriale du Québec. Il est prétendu que les autochtones pourraient exercer un droit moral à l'autodétermination externe qui prendrait la forme d'un droit d'association à l'État canadien après que le Québec ait déclaré sa souveraineté, et avant qu'il obtienne la reconnaissance internationale.

En somme, certains supposent que le Québec ne pourra pas maintenir son intégrité territoriale advenant le processus d'accession à la souveraineté. Cette prétention s'appuie sur des considérations relatives à la période qui suivrait immédiatement une déclaration unilatérale de souveraineté. Ces personnes supposent qu'après la déclaration unilatérale de souveraineté, il existera un vide juridique puisque le Québec ne sera pas encore devenu souverain. Il ne pourra donc pas bénéficier tout de suite de la protection du droit international pour ce qui est de la délimitation de ses frontières. Ils supposent que si les autochtones exerçaient à cet instant précis un droit d'association au Canada, il s'en suivrait une modification des frontières du Québec, mais non une violation de l'intégrité territoriale du Québec souverain. Qu'en est-il exactement?

Avant de répondre à cette question, il convient de considérer maintenant l'argument que plusieurs souverainistes invoquent parfois. Cet argument prend lui aussi une forme juridique. On invoque le principe de l'uti possidetis affirmé par les cinq juristes qui ont témoigné devant le comité sur les questions afférentes à la souveraineté. Il est prétendu que ce principe l'emporte sur les arguments des autochtones. Même si les auteurs du rapport cherchent d'abord et avant tout à statuer sur la situation qui prévaudrait après l'accession du Québec à la souveraineté en un sens qui implique la reconnaissance internationale, il y a un passage où les auteurs écrivent qu'après la déclaration unilatérale et avant l'accession à la souveraineté, les frontières du Québec ne peuvent être modifiées sans son consentement.

Comment pouvons-nous trancher ce différend? Il faut reconnaître en premier lieu que le rapport des cinq juristes n'est pas la bible. La commission Badinter qui l'a inspiré en grande partie a fait l'objet de nombreuses critiques. Georges Burdeau, Stéphane Pierré-Caps, Hurst Hannum, Richard Falk et, d'une manière générale, les juristes pro-autochtones ont critiqué les conclusions auxquelles la commission d'arbitrage est parvenue. Car pourquoi devrions-nous appliquer le principe de l'uti possidetis dans le cas où l'État sécessionniste est un État multinational comme c'est le cas au Québec? Pourquoi les autochtones n'auraient-ils pas le droit de choisir de rester à l'intérieur du Canada?

Il faut accepter tout d'abord la distinction entre la modification des frontières du Québec tout juste après la déclaration de la souveraineté, et la violation de l'intégrité du territoire après l'accession au statut d'État souverain en un sens impliquant la reconnaissance internationale. Il faut, en effet, reconnaître que les frontières du Québec ne seront pas protégées par le droit international immédiatement après la déclaration de souveraineté.

Mais on se trompe gravement lorsqu'on laisse entendre qu'après une déclaration unilatérale, le Québec se trouverait dans un vide juridique. On oublie qu'au moment d'accéder à la souveraineté, le Québec remplacera l'ordre constitutionnel ancien par un ordre nouveau qui contiendra sans aucun doute des clauses portant sur le territoire québécois. Au lendemain d'une déclaration unilatérale, la souveraineté du Québec est donc déjà en voie de se réaliser, et elle se fait en assurant notamment le contrôle effectif du territoire québécois. Par conséquent, si les autochtones exerçaient un droit d'association à cet instant précis, ils devraient contester cet ordre constitutionnel, et s'opposer au contrôle effectif du territoire. Or contester le contrôle effectif du territoire équivaut déjà à violer l'intégrité territoriale du Québec.

Les autochtones ne voient sans doute pas les choses de la même façon. Ils pourraient prétendre qu'ils sont sous la juridiction du droit interne canadien. Ils pourraient réclamer du gouvernement fédéral que ce dernier exerce sa responsabilité de fiduciaire, et ils pourraient se prévaloir de l'article 35 pour justifier l'exercice d'un droit à l'autodétermination qui les autoriserait à rester Canadiens. Dans un tel contexte, nous nous retrouverions à nouveau dans une lutte de légitimité pour le contrôle effectif du territoire. Comment résoudre ce conflit?

Il semble clair que nous sommes en face d'un conflit politique. Ici comme ailleurs, les luttes juridiques finissent par se révéler essentiellement politiques . C'est pourquoi la solution au conflit se doit elle aussi d'être morale et politique. Quand on examine les conséquences d'une association avec le Canada immédiatement après une déclaration unilatérale en adoptant une perspective morale et politique, on constate que les conséquences sur l'intégrité du territoire québécois avant la souveraineté sont au fond aussi dommageables que dans le cas d'une violation de cette intégrité après la souveraineté.

Pour contrer la difficulté que je viens de poser, certains voudraient fonder la démarche souveraniste non pas sur l'exercice du droit du Québec à l'autodétermination, mais plutôt sur la volonté démocratiquement exprimée de l'ensemble des citoyens vivant sur le territoire québécois. La distinction peut paraître subtile, mais elle peut être justifiée par les considérations suivantes. Si l'on fonde l'accession à la souveraineté sur le droit à l'autodétermination du peuple québécois, alors c'est la nation québécoise qui accède à la souveraineté et non les peuples autochtones, et on ne sait trop quel sera le territoire du Québec souverain. Si l'on fonde l'accession à la souveraineté sur la décision démocratique des citoyens vivant sur le territoire québécois, alors il semble que le processus inclut les autochtones et que le territoire souverain soit celui qui correspond aux frontières actuelles de la province de Québec.

Cette solution ne nous apparaît pas très prometteuse pour plusieurs raisons. Il s'agit d'une tentative d'inclure les autochtones dans un processus qui ressemble beaucoup à la construction d'une nation purement civique. Plus important encore, il y a de fortes raisons de penser que les membres de la nation québécoise sont en même temps les seuls à être les véritables citoyens du Québec. La classe des citoyens québécois et celle de la nation québécoise sont deux classes coextensives. La raison est qu'il apparaît problématique de prendre pour acquis que les membres des onze nations autochtones sont des citoyens du Québec.

Cette affirmation peut paraître controversée, mais elle peut être étayée de la manière suivante. Les autochtones ont (à tort, faut-il le préciser) été tenus à l'écart du processus ayant présidé à la création de la fédération canadienne. Ils ne sont pas concernés par les délimitations territoriales du canada tel qu'on le connaît. Plusieurs nations autochtones du Québec existent sur plusieurs territoires provinciaux, qu'il s'agisse des Cris, des Inuit, des Micmac ou des Mohawks. La plupart d'entre eux ne semblent pas disposés à se décrire comme Québécois. Plusieurs n'ont pas voté lors du référendum de 1995, et la plupart ont été invités à ne pas prendre part au vote. Plusieurs nations ont tenu leur propre référendum quelques mois avant le référendum québécois. Ils n'ont pas les mêmes charges fiscales et ils ont leur propre communauté politique. Les réserves peuvent en effet être considérées comme des embryons de communautés politiques. Pour toutes ces raisons, il apparaît hasardeux d'inclure les groupes autochtones dans la communauté politique québécoise et de forcer ces individus dans le carcan de la citoyenneté québécoise. Si telle est la situation présentement, il apparaît que l'on ne peut neutraliser l'autodétermination autochtone en exploitant une distinction oiseuse entre les citoyens de la province de Québec et les membres de la nation québécoise.

Le fait que les autochtones ne fassent pas clairement partie de la société québécoise révèle dans toute son ampleur le problème auquel les souverainistes doivent faire face au moment d'accéder à la souveraineté. Comment peut-on envisager le sort réservé aux peuples autochtones? La difficulté que nous venons de poser nous indique en même temps la voie à suivre pour résoudre le différend. On est en mesure de prétendre que le règlement des revendications autochtones peut être séparé du processus d'accession à la souveraineté. Il doit sans doute se faire concurremment et parallèlement mais aussi séparément. L'accession du Québec à la souveraineté peut se faire sans bouleverser le statut actuel des autochtones vivant au Québec. La loi sur les Indiens fait en sorte que la situation actuelle est une sorte d'apartheid qui ne peut plus être tolérée, mais cela montre aussi que le règlement des revendications autochtones doit se jouer indépendamment du processus d'accession à la souveraineté.

Pour satisfaire aux revendications autochtones, il faut que parallèlement à l'accession du Québec à la souveraineté, soit institutionnalisé le caractère multinational du Québec par l'instauration de gouvernements autochtones autonomes. Il faut associer les autochtones aux nouvelles structures proposées dans l'offre de partenariat. Le Québec peut et doit devenir un pays où l'expérience de la multination réussit. C'est une condition sine qua non pour que les peuples autochtones acceptent éventuellement de partager une citoyenneté commune avec les Québécois dans le Québec souverain.

2.3 Les attaques fédérales à l'égard du modèle démocratique québécois

Le gouvernement fédéral est fortement tenté d'adopter une attitude d'intransigeance. Il est fortement tenté de se réfugier dans l'autoritarisme, de jouer la ligne dure contre le Québec. Mais le gouvernement fédral sait qu'il ne peut rien contre la volonté démocratiquement exprimée du peuple québécois. Il sait qu'une attitude d'intransigeance à l'égard du Québec est intenable face à la volonté populaire. Comment peut-il justifier une attitude autoritaire face à l'expression majoritaire de la volonté populaire? Il ne lui reste qu'un seul recours. Il doit chercher à tout prix à remettre en cause le caractère démocratique de la démarche québécoise.

2.3.1 Le choix de la question référendaire

Le gouvernement fédéral n'a pas à imposer ses directives quant au choix de la question. S'il le fait ou si la Cour suprême l'invite à le faire, il s'agira encore une fois d'une tentative de violer le droit du Québec à l'autodétermination. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes inclut le droit de formuler eux-mêmes la question référendaire. Si les Britanniques ont pu s'entendre avec les Écossais sur la question posée lors du récent référendum de 1997 concernant l'établissemnt d'une autorité gouvernementale en Écosse, c'est que la question n'avait pas pour conséquence une remise en question des frontières du Royaume-Uni. Il serait illusoire de s'attendre à ce que la question suggérée par les autorités fédérales puisse refléter les désirs de la population québécoise. Si les autorité fédérales tentent de s'immiscer dans le processus référendaire en imposant leur propre question, il s'agira d'un changement fondamental dans les règles du jeu qui trahira l'incapacité du gouvernement fédéral de se conformer au respect de l'autodétermination québécoise.

On invoque parfois le caractère ambigu de la question posée lors du référendum de 1995. Mais la question référendaire de 1995 n'avait rien d'ambiguë. Elle correspondait à un désir de plus en plus souvent exprimé à notre époque de maintenir un équilibre heureux entre la souveraineté politique et l'interdépendance économique. La question référendaire de 1995 était d'ailleurs beaucoup plus simple que la question proposée aux Européens concernant les propositions de Maastricht.

On a aussi souvent prétendu qu'un très grand nombre d'individus parmi ceux qui votent OUI n'ont pas du tout compris la question qui leur était posée. Plusieurs parmi ceux qui ont voté OUI pensaient que le Québec pourrait envoyer après la souveraineté des députés à la Chambre des Communes. Mais des récents sondages ont révélé que la plupart de ceux qui répondaient de cette façon ont bel et bien compris le sens de la question. Ils faisaient de cette façon ou bien allusion confusément aux structures supranationales qui seraient mises en place après la souveraineté, ou bien au fait qu'un vote favorable à la souveraineté permettrait d'exercer un rapport de force suffisamment grand pour entraîner une réforme en profondeur de la fédération. Dans tous ces cas, il s'agissait de personnes qui avaient une compréhension adéquate du sens de la question et qui devaient par conséquent comprendre la conséquence possible du geste qu'il s'apprêtait à poser.

2.3.2 Le pourcentage requis

Depuis quelque temps, plusieurs personnes s'interrogent ouvertement sur le caractère démocratique de la démarche souverainiste québécoise. On s'interroge notamment sur le processus référendaire. Cette question comporte plusieurs volets qu'il ne faut pas confondre entre eux. Je propose ici quelques éléments de réflexion.

Il y a beaucoup de confusion au sujet du pourcentage requis. Certains pensent que la majorité doit être qualifiée lors d'un référendum, mais ils s'inspirent de procédures utilisées lorsque les votants représentent des régions ou États qui diffèrent de façon significative par le nombre de leurs habitants. La situation est entièrement différente lorsque tous les habitants votent. Dans ce cas, il est normal d'exiger la majorité absolue.

Il existe de nombreux exemples de référendums où des majorités serrées ont été reconnues comme victorieuses. La France a ratifié l'Accord de Maastricht à 51,4% en 1991.Le Danemark a voté NON à 50,7% sur le même sujet en 1992. La Suisse a rejeté avec 50,3% des voix en 1992 son intégration dans l'espace économique européen. La Suède a tenu un référendum favorable à l'entrée dans l'Europe à 52,2% en 1994. Peut-on prétendre que la comparaison ne tient pas entre le fait d'être favorable ou non d'adhérer à une entité supranationale comme celle prévue par les Accords de Maastricht, et le fait d'être favorable ou non à la souveraineté accompagnée d'une offre de partenariat? Où est la différence? Le Canada est une fédération multinationale, et les souverainistes proposent une réorganisation des relations avec cette entité supranationale qui pourrait conduire à un arrangement ressemblant sous certains rapports à Maastricht.

Le Canada offre lui-même plusieurs exemples de votes référendaires à majorité absolue. La procédure utilisée par Terre-Neuve pour entrer dans la fédération, et celle envisagée par le Québec pour en sortir devraient être similaires. On ne saurait non plus adopter une procédure différente selon que la réponse est OUI ou qu'elle est NON. Et l'on ne peut finalement faire gagner la minorité sous prétexte que la majorité est insuffisante.

Le Québec fait-il bande à part en considérant que la décision référendaire doit se prendre à majorité absolue? On mentionne parfois le cas de Saint-Kitts et Nevis, où la sécession ne peut être autorisée que si un référendum à la majorité des deux tiers est remporté au sein de l'une de ses régions. Mais la population de Saint-Kitts et Nevis est d'à peine 40,000 habitants, et la sécession risque dans ce cas d'aller de pair avec la désintégration de la fédération. Voilà une bonne raison pour se donner une procédure référendaire exceptionnelle.

Si le Québec, quant à lui, décide démocratiquement d'endosser le projet souverainiste, cela ne désintègre pas la fédération canadienne. Cela fait en sorte que le Québec s'en retire. La fédération canadienne ne risque pas de se désintégrer s'il n'en tient qu'aux souverainistes, puisqu'ils sont d'accord pour que soit instauré un partenariat permettant la préservation d'un espace politique commun. En somme, puisqu'il n'y a pas de danger d'une désintégration causée par les souverainistes, on ne saurait exiger au Québec une majorité qualifiée semblable à celle adoptée pour Saint-Kitts et Nevis.

Quand on propose autre chose que la majorité absolue, on se voit vite confronté à d'autres personnes qui ont aussi leur pourcentage favori. Pour éviter de soumettre la démocratie aux évaluations subjectives de ce genre, on s'en tient à la majorité absolue. Au-delà de la majorité absolue, tout est affaire de rapports de force politiques. On reconnaîtra volontiers qu'une courte victoire à 50,5% des souverainistes aurait rendu l'accession à la souveraineté à toutes fins utiles impraticable. Mais il faut distinguer le problème de la mise en application d'un vote victorieux suite à une faible majorité des voix, et la question de savoir ce qui constitue un vote victorieux. Il serait insensé de changer les règles du jeu après deux référendums.

Certains font valoir que le Québec ne peut se retirer de la fédération canadienne sans l'accord des autres provinces. Toutefois, les Canadiens sont pour leur part moralement tenus de reconnaître la volonté du Québec advenant un vote favorable. D'un point de vue moral, il faut l'accord du Canada. Mais d'un point de vue moral, le Canada doit donner son accord si le Québec décide démocratiquement de se retirer de la fédération. Il faut éviter autant que possible une décision unilatérale de la part du Québec, mais le refus de consentement des Canadiens serait une façon pour le Canada de forcer le Québec à déclarer unilatéralement sa souveraineté.

Plusieurs prétendent que le processus démocratique n'est pas légitime s'il ne se fait pas en accord avec la constitution canadienne. Mais cela dépend dans une très large mesure des Canadiens eux-mêmes. Ceux-ci pourraient après un OUI s'entendre rapidement (après une élection fédérale) sur des amendements appropriés à leur propre constitution. Ils pourraient notamment biffer toutes les occurrences du mot "Québec" dans leur document constitutionnel, et ajouter une clause autorisant la province de Québec à faire sécession. Le gouvernement fédéral nouvellement élu pourrait s'entendre ensuite rapidement avec les neuf provinces sur l'ensemble des conditions qui devraient s'appliquer pour autoriser la sécession, conditions qu'ils iraient ensuite négocier ensemble avec les représentants autochtones et Québécois. Mais si les provinces se servent de leur constitution pour bloquer le processus, ce seront elles qui auront alors décidé de soumettre leur ordre constitutionnel à la logique des rapports de force et de substituer l'autoritarisme politique à l'État de droit.

Quel que soit le résultat d'un prochain référendum, le gouvernement québécois peut s'engager à agir de manière responsable. Il peut s'engager à ne pas poser des gestes qui compromettent la sécurité politique et économique des Québécois. Il peut s'engager à recourir à une déclaration de souveraineté que si les négociations échouent et que les circonstances sont favorables à l'accession du Québec au statut d'État souverain. Le gouvernement doit agir en ayant toujours comme priorité fondamentale la défense des intérêts supérieurs du Québec. En procédant de cette façon, les Québécois pourront voter en toute quiétude en faveur de l'option qu'il favorisent. Ce sera le meilleur moyen d'obtenir un vote décisif qui permettra de trancher la question. Avec une majorité significative de voies en faveur de la souveraineté, le gouvernement fédéral n'aura d'autre choix que de se soumettre à la volonté populaire.

2.3.3 Faut-il amender notre loi référendaire?

Le récent jugement de la cour suprême concernant notre loi référendaire ne laisse plus aucun doute sur les intentions de cette cour. Elle est plus que jamais en train de devenir un agent politique au service du gouvernement fédéral. Ceux qui en doutait encore jusqu'ici sont obligés de se rendre à cette évidence. La preuve nous en est donnée non seulement par le jugement en tant que tel, mais aussi par l'absence de réflexion des neuf juges au sujet de solutions alternatives. Le zèle que la cour suprême déploie à critiquer notre loi ne s'accompagne pas d'une réflexion qui permettrait de mettre en lumière les difficultés que représente l'abrogation pure et simple de l'article "controversé". La cour ne semble pas avoir de scrupules quant au danger de voir se multiplier les intervenants ne se trouvant sous aucun comité-parapluie. Il suffit que quelques centaines personnes appartenant au même camps (devinez lequel) dépensent 2 000 dollars séparément pour débalancer complètement les forces en présence et favoriser le pouvoir de l'argent. Le zèle de la cour est douteux parce qu'elle ne considère pas cette conséquence prévisible. On cherche à limiter les montants alloués et on vante les mérites d'une loi qui cherche à limiter le pouvoir de l'argent, mais on ne s'inquiète pas d'invalider un article qui joue pourtant un rôle important dans le contrôle des dépenses.

Que doit faire le gouvernement québécois face à une telle attaque dirigée contre la démocratie québécoise? Il doit tout d'abord dénoncer cette ingérence politique de la cour suprême. Mais doit-il avoir recours à la clause nonobstant? Pourquoi s'interdire un tel recours si celle-ci se trouve de toute façon dans la constitution canadienne? Le problème posé par cette solution est justement le fait que la clause dérogatoire se trouve dans le texte constitutionnel. S'en réclamer à ce stade-ci pour une question aussi importante, n'est-ce pas courir le risque de cautionner l'ordre constitutionnel de 1982? La clause nonobstant est justement un élément qui fait partie intégrante du nouvel ordre constitutionnel de 1982. Le gouvernement québécois doit profiter de l'occasion qui lui est donnée pour affirmer à nouveau le caractère illégitime de la constitution canadienne. S'il ne se prévaut pas de la clause dérogatoire, c'est pour ne pas légitimer l'ordre constitutionnel de 1982. Robert Bourassa s'est déjà prévalu de la clause nonobstant dans des circonstances différentes, mais un gouvernement souverainiste ne doit pas sur un sujet aussi important que celui de la démocratie québécoise se conformer implicitement à cet ordre constitutionnel.

En de telles circonstances, que doit faire le gouvernement? Doit-il se conformer au jugement de la cour suprême? N'est-ce pas alors se soumettre dangereusement à l'autorité de la cour en matière de démocratie? Dans le contexte d'un jugement à venir concernant une déclaration unilatérale de souveraineté, ne risque-t-on pas de reconnaître à la cour suprême une légitimité dans les décisions qu'elle va prendre concernant le processus démocratique québécois? Pour éviter que tout amendement apporté ne soit interprété comme une soumission aux décisions de la cour, le gouvernement doit affirmer haut et fort qu'il n'a pas l'intention de reconnaître à la cour suprême une autorité légitime en matières de démocratie québécoise.

Il faut en profiter pour souligner le caractère hautement démocratique de notre loi référendaire et insister sur son caractère progressiste. Ceci étant dit, toute loi est perfectible et le gouvernement peut "remercier" les membres de la cour d'avoir attirer son attention sur un aspect de la loi qui pourrait être amélioré. Il peut s'inspirer de la solution récemment appliquée pour sa loi concernant les commissions scolaires linguistiques. Certains ont demandé des garanties concernant la gestion des éventuelles commissions scolaires linguistiques par la communauté anglo-québécoise advenant l'abrogation de l'article 93 dans son application au Québec. L'article 93 reconnaît un droit de gestion sur les commissions scolaires confessionnelles. Bien sûr, l'article 23 de la constitution a déjà été interprété par la cour suprême comme impliquant un tel droit de gestion. Mais le gouvernement québécois n'a pas intérêt à s'appuyer sur une clause appartenant à l'ordre constitutionnel de 1982 pour répondre aux attentes d'Alliance Québec. Julius Grey suggérait dans un article du Devoir d'incorporer l'article 23 dans la charte des droits et libertés du Québec. Le gouvernement a, à toutes fins utiles, adopté la solution de compromis de Julius Grey puisque, pour satisfaire aux requêtes de la minorité anglophone du Québec, il a inscrit dans son propre projet de loi une clause qui reprend le libellé d'une partie de l'article 23. Il a procédé ainsi au lieu d'appuyer sa démarche sur le recours à l'article 23. (Il est vrai cependant qu'il a dû recourir à l'article 43 pour justifier une procédure bilatérale de modification, mais ce recours est largement neutralisé par l'affirmation que le gouvernement ne veut pas entériner l'ordre constitutionnel de 1982) Dans le même ordre d'idées, le gouvernement québécois peut apporter un amendement à sa loi référendaire pourvu que cela soit dissocié de l'ordre constitutionnel canadien, et dissocié de quelque soumission que ce soit à l'autorité de la cour suprême en ce qui a trait à la démocratie québécoise. Au lieu de se conformer explicitement à l'article 3 de la Constitution canadienne, il peut invoquer sa propre charte des droits et libertés.

L'amendement doit être celui-ci. Le nouvel article énonce qu'un tribunal chargé d'évaluer les demandes de ceux qui ne désirent pas se soumettre à l'un ou l'autre des comités-parapluie doit être créé. Dès que la question référendaire est connue, le tribunal reçoit les demandes. Les requérants doivent préciser s'ils ont l'intention de militer pour le OUI, pour le NON ou pour l'abstention. Ils doivent préciser le thème qu'ils entendent développer, montrer que ce thème s'inscrit dans une démarche qui est cohérente par rapport à leur orientation politique, et expliquer les raisons qui les motivent à ne pas vouloir se ranger sous l'un des deux comités-parapluie. Le tribunal étudie les différentes requêtes jusqu'au début de la campagne référendaire. Les décisions prises doivent respecter les critères suivants. Le tribunal accorde un montant de 2 000 dollars à chaque individu ou groupe qui aura répondu à sa satisfaction aux questions posées. Il peut autoriser un nombre illimité de telles requêtes provenant de ceux qui souhaitent s'abstenir. Il doit cependant chercher à préserver l'équilibre entre les individus ou groupes qui désirent oeuvrer pour le OUI et ceux qui désirent oeuvrer pour le NON. Dans la mesure du possible, il ne doit donc pas autoriser un nombre plus élevés de comités indépendants en faveur d'une option. Si ceux qui choisissent d'intervenir en tant qu'indépendants se réclament tous de la même option, le tribunal doit limiter leur nombre. Mais le tribunal peut intervenir de plusieurs autres façons pour équilibrer les forces en présence. Il peut refuser la requête de certains en démontrant qu'ils peuvent en fait oeuvrer sous l'un ou l'autre des comités-parapluie sans que leur liberté d'expression ne soit compromise. Le tribunal peut aussi inviter certains requérants à se joindre à un individu ou groupe appartenant à un comité indépendant qui a déjà été reconnu. Dans ce cas, les requérants ne pourront pas bénéficier d'un montant additionnel à celui qui est déjà octroyé au comité. Le tribunal peut aussi examiner en alternance les requêtes pour le OUI et des requêtes pour le NON. Enfin, lorsque la campagne référendaire débute, ceux qui n'ont pu faire entendre leur requête sont invités à se joindre à l'un ou l'autre des comités indépendants qui ont déjà été sélectionnés.

Une telle solution comporte plusieurs avantages. Elle rencontre l'objectif fondamental de la loi qui est de limiter autant que possible le pouvoir de l'argent. Telle que je l'ai formulée, elle n'autorise pas une différence financière importante entre les options défendues au sein de comités indépendants (à l'exception des abstentionnistes). Elle permet à des individus ou groupes indépendants de s'exprimer librement, et elle permet d'éviter d'entacher la réputation du Québec à l'étranger. Elle permet aux abstentionnistes d'avoir droit au chapitre et de s'exprimer autant qu'ils le veulent. Elle permet au gouvernement de ne pas avoir à justifier le recours à la clause nonobstant. Mais surtout, elle a l'avantage de reproduire au coeur même de l'amendement l'esprit de justice et d'équité qui anime la loi dans son ensemble. Si les juges de la cour suprême admirent et respectent l'esprit de la loi, ils ne pourront qu'accréditer l'amendement proposé.

La solution peut sembler cependant ouvrir la porte à de nombreuses autres contestations. On imagine que ceux qui verront leur demande refusée, ou qui se verront imposer une incorporation au sein d'un comité indépendant déjà existant, ou encore qui n'auront pas eu l'occasion de faire examiner leur demande, pourront être tentés de contester la loi et de porter leur grief devant les tribunaux. Mais il ne faut pas trop s'inquiéter de cela. Plus la cour suprême cherchera à s'immiscer dans le processus référendaire, plus nous serons en mesure de dénoncer le caractère politique de toutes ces manoeuvres.

Section 3. Les vertus du partenariat

3.1 Comment peut-on bonifier l'offre?

En terminant, il convient d'examiner en détail une proposition particulière de partenariat qui cherche à tenir compte des intérêts de toutes les parties en présence. Le projet de partenariat devrait être reformulé pour tenir compte de l'intérêt de toutes les parties. Il pourrait être bonifié de la manière suivante. Il faudrait proposer un cadre pour gérer une union économique, une citoyenneté de l'Union et une défense commune aux Canadiens, aux Québécois et aux autochtones. On imagine, par exemple, un conseil des ministres dont la composition varierait selon les sujets à traiter (1). Pour les questions relatives à la citoyenneté et au territoire, le conseil ministériel serait composé d'un représentant canadien, d'un représentant québécois et d'un représentant autochtone. Pour des matières telles que la langue et la culture, le conseil ministériel serait composé de cinq représentants. Aux trois premiers représentants mentionnés plus haut, viendraient s'adjoindre des représentants pour la minorité francophone canadienne (incluant la nation acadienne) et la minorité anglophone québécoise. En ce qui a trait aux matières proprement économiques, le conseil serait composé toujours des trois représentants canadien, québécois et autochtone, auxquels viendraient s'ajouter des représentants pour chacune des quatre autres régions économiques: Colombie-Britannique, Prairies, Ontario et Maritimes.

Chaque représentant au sein du conseil ministériel aurait un droit de veto à l'égard de toute proposition soumise pour approbation. Une fois qu'une proposition aurait été approuvée par le Conseil, elle devrait dans tous les cas être soumise et entérinée par un vote majoritaire à la chambre des communes du gouvernement fédéral canadien, à l'assemblée nationale du Québec et à l'assemblée des premières nations.

Ce conseil des ministres ne pourrait intervenir que sur des sujets relatifs à l'union économique et politique. Il n'aurait pas à s'immiscer dans des secteurs de juridictions nationales. Sa tâche consisterait à adopter des mesures visant à consolider et raffermir l'union économique et politique. Le traité qui lierait les peuples canadien, québécois et autochtones consacrerait dans un premier temps le statu quo actuel en ce qui a trait à l'Union économique. Il faudrait que soient maintenus l'union monétaire, l'union douanière et la libre circulation des biens, des capitaux et des personnes.

On pourrait, en outre, considérer la possibilité de se doter d'un tribunal chargé d'arbitrer les différends, tribunal obtenu par l'adjonction de deux juges québécois et d'un juge autochtone à quatre juges de la Cour suprême du Canada représentant les quatre autres régions. On abolirait aussi le Sénat. Les mesures proposées par le conseil ministériel devraient être adoptées en fonction de règles procédurales qui variraient selon les matières concernées. D'une manière générale, pour être adoptée, toute proposition devrait faire l'objet d'un appui majoritaire au sein de chacune des assemblées canadienne, québécoise et autochtone. Mais en ce qui a trait aux propositions concernant l'union économique, elles devraient en plus requérir le vote favorable d'une majorité de députés au sein des cinq régions. La formule d'amendement constitutionnel nécessiterait des majorités au sein de chacune des trois assemblées.

Ce conseil des ministres à géométrie variable serait une structure politique peu coûteuse et relativement légère. Il constituerait l'élément-clé de l'union Canada-Québec-Autochtones. Il viendrait coiffer l'union économique et devrait faire l'objet d'un traité entre les parties. Cette solution a tout d'abord l'avantage de satisfaire les aspirations québécoises puisque le Québec est au sein de cette structure un État souverain. Elle répond également aux exigences et inquiétudes de nos partenaires canadiens, puisqu'elle satisfait à leur besoin d'unité en garantissant une union politique et économique d'un océan à l'autre. En outre, grâce au conseil ministériel à géométrie variable, on s'éloigne d'une structure binationale comme c'était le cas dans la première proposition de partenariat. La nouvelle proposition répond aussi aux aspirations des peuples autochtones, puisqu'elle leur donne une fois pour toutes un droit de cité au sein des instances décisionnelles. On met fin à l'apartheid dont ils ont été victimes. En même temps, on accentue la présence des différentes régions économiques au sein du conseil, et ce faisant, on répond aussi à une exigence qui s'impose étant donné la diversité régionale du Canada tel qu'on le connait. Cette union reflèterait par conséquent mieux la diversité canadienne.

Ce ne sont là que quelques-unes des règles qui pourraient être adoptées dans le cadre d'une union Canada-Québec-Autochtones. Celle-ci existerait d'abord et avant tout pour gérer l'union économique entre les Canadiens, les Québécois et les autochtones, et c'est la raison pour laquelle il faudrait assurer en ce qui a trait aux matières économiques une représentation adéquate des cinq régions économiques actuelles au sein de cette entité politique. L'Union pourrait aussi comporter une dimension sociale et favoriser la mise en place de mesures de transfert et de péréquation visant à aider les régions les plus démunies. Elle pourrait aller de pair avec une entente portant sur le partage de la dette. Elle pourrait enfin aussi autoriser que soient conclues des ententes bilatérales entre les régions. D'une manière générale, le Québec serait, dans toutes les matières autres que celles de l'Union, le seul habilité à percevoir les impôts, promulguer des lois et signer des accords internationaux sur son propre territoire.

Un tel arrangement aurait le mérite de répondre aux critiques maintes fois adressées à l'égard de la proposition de partenariat des souverainistes de 1995. Elle n'entraînerait pas une bureaucratie supplémentaire, ou la création d'un autre palier de gouvernement, puisque le Sénat serait aboli, qu'il n'y aurait pas d'assemblée à l'échelle supranationale et que le conseil aurait une composition minimale. Elle ne souffrirait d'aucun déficit démocratique puisqu'elle assurerait une représentativité régionale accrue, et que les assemblées nationales canadienne, québécoise et autochtones seraient appelées à entériner toutes les propositions. En outre, puisque les députés sont ceux des assemblées nationales respectives, ils seraient tous directement élus au suffrage universel. Cette proposition de partenariat n'accorde pas au Québec un pouvoir équivalent à celui du Canada, puisque le Québec aurait une présence variable au sein du conseil. Il ne constituerait que l'une des trois assemblées législatives et ne compterait que deux juges sur sept au sein d'un éventuel tribunal supranational. La proposition répondrait en outre aux critiques de ceux qui prétendent qu'une union économique doit aller de pair avec une union politique. Mais elle répondrait en même temps aussi aux attentes des souverainistes qui veulent surtout un gouvernement supranational pour mieux gérer l'union économique.

3.2 Les vertus du partenariat

Il y a de très nombreuses raisons pour accepter un partenariat politique de ce genre advenant l'accession du Québec à la souveraineté. Le premier objectif est de gérer l'union économique. Une union économique suppose une union douanière, une union monétaire, et une libre circulation des capitaux et de la main d'oeuvre. Pour y parvenir, il faut notamment éliminer les obstacles protectionnistes, multiplier les ententes qui favorisent la libre circulation des biens, harmoniser les politiques fiscales, endosser les mêmes normes sur le marché du travail et contrôler la politique monétaire de la banque centrale. La mise sur pied d'un conseil ministériel, d'un tribunal et d'un traité seraient hautement souhaitables pour assurer la stabilité à tous ces niveaux.

Mais il y a d'autres raisons fondamentales pour favoriser l'existence d'une entité supranationale de ce genre. On pense notamment au partage de la dette. La gestion de la dette pourrait être sous le contrôle du conseil. Cette union permettrait aussi d'éviter la casssure du Canada en deux. Selon certains fédéralistes, la souveraineté du Québec est une absurdité géopolitique pour cette raison. Il y a sans doute de l'exagération dans de tels propos, mais il ne faut pas prendre à la légère la cassure qui surviendrait advenant la souveraineté du Québec. Cette pakistanisation du pays en deux entités séparées l'une de l'autre pourrait avoir un effet psychologique considérable et favoriser l'effritement du Canada. Le partenariat, par contre, aurait pour effet de maintenir un espace politique unique d'un océan à l'autre. Voilà donc un autre avantage qui tient compte, cette fois-ci, des aspirations légitimes du peuple canadien. Cette formule démontrerait clairement aux Canadiens que le partenariat est proposé pour tenir compte aussi du désir des Canadiens de maintenir un espace économique et politique unique de l'Atlantique au Pacifique.

Là ne s'arrêtent pas pour autant la liste des avantages. Il faut tenir compte aussi de la minorité francophone du Canada et de la minorité anglophone du Québec. Les francophones canadiens ne veulent pas être abandonnés à leur sort. La proposition de partenariat est une réponse généreuse à cette attente. Au lieu de s'en prendre constamment au promoteurs de la souveraineté, les francophones hors Québec pourraient se porter à la défense de la proposition de partenariat. En outre, les Anglo-Québécois veulent conserver leur pays, et ils ne veulent pas se sentir exclus sur le territoire québécois. Leurs inquiétudes doivent être entendues par les souverainistes. Or l'union permettrait justement de les rassurer à ce niveau. En plus de voir leurs droits collectifs enchâssés dans la constitution d'un Québec souverain, ceux-ci pourront acquérir une citoyenneté de l'union, que leur citoyenneté canadienne soit maintenue ou non (et il va sans dire que plusieurs Anglo-Québécois, comme tous les autres citoyens québécois d'ailleurs, pourraient en principe demander la citoyenneté canadienne). Le partenariat peut même répondre à certaines des inquiétudes entretenues par les partitionnistes. Ceux qui, parmi eux, veulent à la fois rester Québécois et Canadiens peuvent à juste titre lire l'offre de partenariat comme un moyen de répondre à cette attente. Nul besoin de partitionner le territoire québécois pour garantir un couloir entre le Canada de l'ouest et le Canada de l'est. Le partenariat peut faire l'affaire. Ce fait pourrait contribuer à désamorcer les idées partitionnistes entretenues par certains d'entre eux. Puisque l'on propose que soit instaurée une union avec le Canada, cela veut dire qu'ils pourront maintenir des liens politiques avec tous les Canadiens.

L'Union Canada-Québec-Autochtones pourrait avoir aussi pour effet d'apaiser certaines des inquiétudes des premières nations vivant sur le territoire du Québec. Celles-ci ont un droit moral à l'autodétermination. De la même manière que le Québec se voit contraint de violer l'intégrité territoriale du Canada parce qu'il n'est pas reconnu comme une nation au sein du régime fédéral, les premières nations pourraient en principe être justifiées à en faire autant à l'égard du Québec si elles n'étaient pas reconnues par lui. Ces nations peuvent déjà dans une certaine mesure exercer leur droit à l'autodétermination. Il faut donc tout faire pour qu'elles soient disposées à approuver le nouvel ordre constitutionnel. Avec une offre généreuse de partenariat comme celle que nous proposons, leurs réticences perdraient alors en grande partie leur raison d'être.



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