La "particule" grandit en Écosse...

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La "particule" grandit en Écosse...
8 octobre 1974

Transcrit par Benoît Rheault de:

Le Jour



René Lévesque, Premier ministre du Québec de 1976 à 1985.

On ne parle plus que de l’Écosse.

L’Angleterre se décidera-t-elle après-demain, comme les sondages s’y attendent à l’unisson, à donner cette fois un pouvoir légèrement majoritaire aux travaillistes de M. Wilson? Question que les Anglais eux-mêmes ne trouvent que fort modérément passionnante... Mais l’Écosse, c’est autre chose.

Tout près d’un tiers des électeurs écossais s’apprêteraient à voter pour le SNP (Scottish Nationalist Party) dont l’objectif avoué et claironnant est le recouvrement d’une souveraineté nationale morte et apparemment enterrée à jamais depuis 267 ans . C’est donc la ruée des observateurs sur ce «cas» dont les analogies avec celui du Québec, pour être lointaines et à «n’employer qu’avec précaution», ne sont pas moins intéressantes.

En 1707, un bon demi-siècle avant notre propre conquête, un Acte d’Union prétendait donc abolir à jamais une indépendance farouchement défendue depuis les premières invasions romaines. Désormais, on ne parlerait plus officiellement des royaumes d’Angleterre et d’Écosse, mais de Grande-Bretagne. Un seul Parlement, celui de Londres où 71 des 635 sièges sont présentement réservés à la «région» écossaise. Au moins l’Irlande du nord, qu’on peut indifféremment appeler province ou... territoire occupé, conserve-t-elle en temps normal son Assemblée législative dotée de quelques compétences autonomes. Rien de tel pour l’Écosse. Dès le départ, l’objectif fut de l’absorber aussi complètement que possible dans le «melting pot» britannique, ne lui laissant en rechignant que sa religion et une reconnaissance partielle de ses traditions judiciaires comme seuls reliquats de sa vieille identité.

Depuis plus de 250 ans, l’Écosse est ainsi demeurée un appendice systématiquement négligé de l’Angleterre. Le niveau de vie y est perpétuellement inférieur à celui de la «métropole» et la plupart de ses habitants n’ont que le plus classique des choix coloniaux : ou bien manger sur place le p’tit pain de la main-d’oeuvre à bon marché, ou bien partir à la recherche de cieux meilleurs. Pour une population actuelle qui dépasse à peine 5 millions d’âmes, c’est ainsi que l’Écosse a dispersé de par le monde une multitude d’émigrants dont la descendance se chiffrerait aujourd’hui à une bonne vingtaine de millions. Le même genre d’hémorragie constante, soit dit en passant, que celle subie également par l’Irlande et, en plus petit, par le pays de Galles. Décidément, la domination anglaise aura eu sur ses sujets de près comme de loin de coûteux effets centrifuges...

Mais jamais le régime central ne parvint — peut-être justement parce qu’il avait trop essayé—à diluer la personnalité collective du peuple écossais. Même la disparition de toute identité linguistique propre n’y a pas suffi. Avec une nostalgie indéracinable, les gens d’Edimbourg, de Glasgow et d’Aberdeen ont continué à parler de leur «pays». Puis en 1934, naissait l’instrument politique de cette aspiration alors purement velléitaire, ce même SNP que l’on prend enfin au sérieux—40 ans après... Au début et pendant bien des années, ce ne fut qu’un «particule», élisant de çà et là un député accidentel, reconnu surtout pour l’aimable fantaisie de certains gestes comme le déplacement des bornes-frontières ou le vol de l’antique pierre de couronnement des rois écossais «captive» à Westminster...

Brusquement, lors des premières élections générales de 1974, celles de février d’où sortit le mandat minoritaire du Parti travailliste, le SNP devenait important : 22% des suffrages écossais et 7 députés.

Depuis trop longtemps, l’administration londonienne nourrissait l’antipathie écossaise à force de morgue lointaine et d’incompréhension bureaucratique. Par exemple, il aura fallu quatre ans, de 1969 à 1973, à une Commission Royale sur... tiens, tiens... les questions constitutionnelles posées par l’autonomisme régional pour aboutir à un rapport qui se contente d’évoquer le plus vaguement possible l’éventuelle renaissance d’Assemblées législatives en Écosse et au pays de Galles. Parlements qui, bien sûr, n’auraient que le plus strict minimum de pouvoirs. C’est ce «trop peu trop tard» que l’électorat écossais se trouvait à rejeter, au début de l’année, en se tournant dramatiquement vers le SNP.

À ce contentieux traditionnel s’ajoute maintenant l’impact spectaculaire et la prise de conscience chaque jour plus vive d’un énorme facteur nouveau : la mise en exploitation prochaine des nappes de pétrole découvertes dans le segment britannique (i.e. écossais) des eaux côtières de la Mer du Nord. Il y en aurait bientôt, si les difficultés surhumaines de l’extraction sous-marine finissent par être surmontées, des dizaines de millions de tonnes annuelles pendant une bonne génération. «À nous ce pétrole! (It’s Scotland’s Oil!)» proclame le slogan le plus percutant du SNP. Lequel est d’autant plus contagieux qu’à une politique londonienne aussi floue qu’excessivement généreuse à l’égard des multinationales pétrolières, politique dont l’Écosse ne pourrait de surcroît que recueillir les miettes, il oppose systématiquement la sagesse égoïste mais autrement éclairée de la petite Norvège, juste en face. Celle-ci, en effet, a également sa large part du nouveau pactole dans son propre segment de la Mer du Nord. Mais en plus d’y établir des normes sévères d’exploitation et l’assurance d’un rendement national de 60%, des profits, les 4 millions de Norvégiens ont aussi coiffé le tout d’une société d’État, la Statoil, qui semble promise à un brillant avenir international. «Pourquoi pas nous?» répètent les candidats du SNP. Et l’écho électoral semble déjà leur promettre un nombre sans précédent de réponses positives.

Et puis après? L’un des députés sortants du SNP, M. Gordon Wilson, répondait tout dernièrement à cette question avec un réalisme serein qu’on aimerait parfois retrouver dans toutes les anticipations souverainistes : «Eh bien, disait-il, nous nous contentons pour le moment de souligner que c’est notre pétrole et que, pour exercer effectivement ce droit de propriété, nous devons redevenir politiquement maîtres chez nous. Jusqu’à nouvel ordre c’est bien assez. Si nous arrivons à conquérir la majorité des sièges écossais, alors nous exigerons de Londres notre self-gouvernement... Et si c’était refusé? Alors fatalement nos votes augmenteraient jusqu’au point où le refus deviendrait intenable!»

Voir aussi

Note

Ceci est un article du journal indépendantiste Le Jour (8 octobre 1974) par René Lévesque.