Adresse des Fils de la liberté de Montréal aux jeunes gens des colonies de l'Amérique du Nord

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Adresse des Fils de la liberté de Montréal aux jeunes gens des colonies de l'Amérique du Nord
Montréal, 4 octobre 1837.




SOURCE(S): Retranscrit à partir de la microfiche MIC/B524\47382 GEN de la Collection nationale de la Grande Bibliothèque à Montréal.



Amédée Papineau, fils de Louis-Joseph Papineau, membre de l'association des Fils de la liberté

Frères :

Lorsque des événements urgents dans les affaires d'un pays rendent nécessaire que les citoyens se forment en associations, le respect dû aux opinions de la société demande de leur part une déclaration explicite de motifs qui les ont induits à se coaliser, et des principes qu'ils ont l'intention d'établir au moyen de leur organisation[1].

Nous considérons, qu'après le privilège qui appartient à chaque individu d'agir pour lui-même, d'après les bases mêmes de la société, celui de joindre toute son énergie à celle de ses concitoyens dans tous les projets qui ont pour but la défense ou l'intérêt mutuel, et par conséquent le droit d'association, est un droit aussi sacré et aussi inaliénable que celui de la liberté personnelle. Nous maintenons que les gouvernements sont institués pour l'avantage et ne peuvent exister avec justice que du consentement des gouvernés, et que quelque changement artificiel qui survienne dans les affaires humaines, un gouvernement de choix n'en est pas moins un droit inhérent au peuple. Comme il ne peut être aliéné, on peut donc en aucun temps le revendiquer et le mettre en pratique.

Tous les gouvernements étant institués pour l'avantage de tout le peuple, nullement pour l'honneur ou le profit d'un seul individu, toute prétention à gouverner d'après une autorité divine ou absolue, réclamée par ou pour aucun homme ou classe d'hommes quelconque, est blasphématoire et absurde, tout comme il est monstrueux de l'inculquer et dégradant de l'admettre. L'autorité d'une mère-patrie sur une colonie ne peut exister qu'aussi longtemps que cela peut plaire aux colons qui l'habitent; car ayant été établi et peuplé par ces colons, ce pays leur appartient de droit, et par conséquent peut être séparé de toute connexion étrangère toutes les fois que les inconvénients, résultant d'un pouvoir exécutif situé au loin et qui cesse d'être en harmonie avec une législature locale, rendent une telle démarche nécessaire à ses habitants, pour protéger leur vie et leur liberté ou pour acquérir la prospérité.

En prenant le titre de « Fils de la Liberté », l'association des jeunes gens de Montréal n'a nullement l'intention d'en faire une cabale privée, une junte secrète, mais un corps démocratique plein de vigueur, qui se composera de toute la jeunesse que l'amour de la patrie rend sensible aux intérêts de son pays, quelque puisse être d'ailleurs leur croyance, leur origine ou celle de leurs ancêtres.

Les raisons, qui dans la conjoncture actuelle appellent impérieusement toutes les classes, mais plus spécialement celle des jeunes gens, à la vie active et à un dévouement héroïque à la cause de leur pays, sont nombreuses et imposantes.

Lors de la cession de cette province en 1763[2], en vue de consolider la puissance britannique sur les bancs du St-Laurent, certains droits de propriété, de religion et de gouvernement avaient été garantis aux Canadiens, et confirmés plus tard, en 1774[3], alors que la noble révolution des États américains[4] rendait des concessions aux nouveaux sujets de l'empire d'une politique urgente. Les succès brillants des États-Unis et le mouvement entraînant de la révolution française[5], ayant donné à l'Angleterre lieu de trembler pour les possessions qui lui restaient en Amérique, elle passa en 1791 l'acte constitutionnel, qui divisa la province en Haut et en Bas Canada, et établit une assemblée représentative pour chacun d'eux[6]. En 1812, la conciliation devint de nouveau une mesure de nécessité à raison de la déclaration de guerre par les États-Unis[7]. Ces époques de danger ont été pour le Canada des périodes de justice apparente, pendant que celles intermédiaires ainsi que celles qui ont suivi ne nous fournissent qu'une longue histoire d'injustices, d'atrocités et d'usurpation répétées. C'est ainsi que nous avons vu des administrateurs britanniques affichant une lâcheté et une perfidie tout à fait indigne d'une puissante nation, ne cesser de leurrer le peuple canadien de promesses pleines de déception, et cela dans des temps de nécessité pressante qui, aussitôt la crise passée, ne rougiraient pas de recourir à toutes sortes d'expédients pour différer ou éviter d'accomplir les engagements les plus solennels.

Après soixante et dix sept années de domination anglaise, nous sommes portés à regarder notre pays dans un état de misère comparé aux républiques florissantes qui ont eu la sagesse de secouer le joug de la monarchie. Nous voyons les émigrés des mêmes classes venus de l'autre côté de la mer, misérables chez nous, heureux du moment qu'ils ont joint la grande famille démocratique, et nous faisons tous les jours la triste expérience que c'est uniquement à l'action délétère du gouvernement colonial que nous devons attribuer tous nos maux. Une prétendue protection a paralysé toute notre énergie. Il a conservé tout ce qu'il y avait de bon, et entravé toutes les mesures de réforme et d'amélioration.

Pendant que chacun des townships répartis sur l'immense territoire de nos voisins a l'avantage d'être sagement gouverné par une libre démocratie, laquelle est formée à elle-même, et à agir avec énergie, nous, nous sommes abandonnés à la merci et au contrôle d'un gouvernement dans lequel le peuple n'a aucune voix, dont l'influence tend à corrompre la vertu publique dans sa source, à décourager l'esprit d'entreprise, et à anéantir l'impulsion généreuse de tout ce qui peut conduire avec efficacité à l'avancement et à la prospérité de notre pays.

Une légion d'officiers nommés sans l'approbation du peuple, auquel ils sont la plupart opposés et jamais responsables, pendant qu'ils tiennent leur charge durant le bon plaisir d'un |Exécutif sans responsabilité[8], est maintenant en autorité au dessus de nous avec des salaires énormément disproportionnés tant à nos moyens qu'à leurs services, de sorte que ces emplois semblent créés plutôt pour des intérêts de famille ou d'élévation personnelle, que pour l'avantage du peuple ou pour satisfaire à ses besoins.

Le procès par jurés que nous avons appris à regarder comme le palladium de nos libertés, est devenu une vaine illusion, un instrument de despotisme, puisque les shérifs, créatures de l'exécutif, dont ils dépendent journellement pour leur continuation dans une charge à laquelle sont attachés d'énormes émoluments, ont la liberté de choisir et de sommer tels jurés qu'il leur plaît, et peuvent devenir par là même les arbitres du peuple dans les poursuites politiques intentées par ses oppresseurs.

André Ouimet, président des Fils de la liberté de Montréal, emprisonné pour haute trahison en 1837

Des biens fonds d'une valeur immense, donnés par un gouvernement sage et prévoyant ou par des individus distingués par leur générosité, au ci-devant ordre des jésuites et consacrés par eux uniquement pour le bienfait de l'éducation, ont été détournés d'un objet aussi louable, pour servir d'instruments de corruption et stipendier des officiers inutiles et presque toujours répréhensibles, pendant que les enfants de la province privés des fonds destinés à leur instruction, ont vieilli sans pouvoir profiter de ce bienfait, pour s'entendre reprocher plus tard leur défaut d'éducation. Nos terres publiques, défendues pendant deux guerres consécutives par la bravoure des habitants du pays, mises ensuite en valeur par des communications ouvertes avec beaucoup de fatigues, et par des établissements étendus jusque dans les déserts, ont été vendues ou données, au mépris de nos représentations, à une compagnie de spéculateurs[9], vivant de l'autre côté de l'Atlantique, ou partagées entre des parasites officiels, qui par motif d'intérêts se sont combinés en une faction pour étayer un gouvernement corrompu, ennemi des droits et opposé aux désirs du peuple, pendant que nos pères, nos parents, nos frères colons n'éprouvent que des refus, ou sont incapables de se procurer de ces terres en friche pour s'y établir.

Des lois sur la tenure des terres[10] tout-à-fait inapplicables à la condition du pays, injustes dans leur opération, nous ont été imposées par un parlement étranger, qui pour favoriser des intérêts privés et d'une nature sinistre, s'est arrogé le pouvoir de la législation intérieure, laquelle appartient uniquement à la législature de la province.

Des règlements de commerce pour cette colonie[11], adoptés dans un parlement étranger sont actuellement en force contre notre consentement. Par là nous nous trouvons bornés à de certains débouchés et privés des moyens d'étendre notre commerce à tous les ports du monde, lorsque les marchés de la Grande-Bretagne ne sont pas aussi avantageux à la disposition de nos produits; de là l'impuissance et l'inertie de nos entreprises commerciales.

La représentation du pays est devenu un objet insigne de moquerie. Un exécutif corrompu a constamment travaillé à faire de notre chambre d'assemblée un instrument propre à infliger l'esclavage à ses constituants; et voyant qu'il ne réussissait point dans son infâme projet, il a rendu son action impuissante par des prorogations ou des dissolutions fréquentes, ou en refusant la sanction à des lois essentielles au peuple et qui avaient été passées à l'unanimité des représentants.

Un conseil législatif[12] dont les membres sont à la nomination d'une autorité ignorante des affaires de la colonie, et résidant à une distance de 3 000 milles, composé en grande partie de personnes qui n'ont aucune sympathie avec le pays, existe encore actuellement comme un écran impuissant entre les gouvernants et les gouvernés, toujours prêt à nullifier toutes les tentatives d'une législation utile. Un conseil exécutif nommé de la même manière, dont l'influence à empoisonner le coeur de chaque gouverneur successif, demeure encore intact, protégeant le cumul des places et tous les abus qui se rattachent à chaque département public. Un gouverneur aussi ignorant que ses prédécesseurs, et qui à l'exemple de chacun d'eux s'est fait partisan officiel, conduit la machine gouvernementale pour l'avantage du petit nombre, peu soucieux des intérêts de la majorité, ou même déterminé à y susciter des entraves.

Nos griefs ont été fidèlement et à maintes reprises soumis au roi et au parlement du royaume-uni, dans des résolutions passées par des assemblées primaires et par nos représentants assemblés en parlement, et dans les humbles pétitions de toute la nation. Nous avons fait entendre nos remontrances avec toute la puissance des arguments, et avec toute la force morale de la vérité. Aucun remède n'a été mis à effet, et à la fin lorsque la tyrannie de ceux qui sont investis du pouvoir dans la province s'est accrue à un point insupportable par l'impunité qui leur est assurée, une mère-patrie ingrate prend avantage d'un temps de paix générale, pour nous forcer à fermer les yeux et à approuver notre propre avilissement, en nous menaçant de se saisir avec violence de nos revenus publics[13], au défi des droits naturels, et de tous les principes de la loi, de la politique et de la justice.

Drapeau tricolore des Patriotes

L'état actuel de dégradation de notre pays étant le résultat de trois quarts de siècle d'un chaleureux dévouement à la connexion avec l'Angleterre, et d'une confiance trompée dans l'honneur britannique, ce serait nous montrer criminels et nés pour la servitude que de borner notre résistance à de simples représentations. - Les perfides projets des autorités britanniques ont brisé tous les liens de sympathie avec une mère-patrie qui se montre insensible. Une séparation est commencée entre des parties dont il ne sera jamais possible de cimenter l'union de nouveau, mais qui se poursuivra avec une vigueur croissante, jusqu'à ce qu'un de ces événements inopinés et imprévus tels qu'il s'en offre de temps à autre dans la marche des temps actuels, nous ait fourni une occasion favorable de prendre notre rang parmi les souverainetés indépendantes de l'Amérique. Nous avons laissé échapper deux superbes occasions : tenons-nous tous préparés pour une troisième. Une destinée toute pleine de gloire est réservée à la jeunesse de ces colonies. Nos pères ont passé une longue carrière de vexations à lutter journellement contre toutes les phases du despotisme. En laissant ce monde ils nous ont légué un héritage, qu'ils ont travaillé à agrandir au prix de tous les sacrifices dictés par le patriotisme. À nous est confié la tâche de poursuivre leurs sublimes projets, et d'affranchir, de nos jours, notre bien aimée patrie de toute autorité humaine autre qu'une intrépide démocratie assise au milieu de son sein.

Avec une perspective aussi encourageante sous les yeux, avec une responsabilité aussi élevée que celle qui repose sur nous, il est de notre devoir impérieux de laisser de côté toutes les folles emportées de la jeunesse, et de nous livrer tout entier à la considération de la politique, des besoins et des ressources de notre pays; d'augmenter sa richesse en encourageant ses manufactures et ses produits; de lui conserver toute sa vigueur en discontinuant de consommer tous les articles importés de par-delà la mer; mais par-dessus tout de nous accoutumer à faire continuellement des sacrifices, et à tellement retrancher nos dépenses personnelles, en évitant l'excès et le superflu, qu'il nous soit donné d'amasser des moyens de nous supporter les uns les autres dans la lutte pour la vie et la liberté dans laquelle nous devons tôt ou tard nous trouver engagés, lorsque sera arrivé ce jour glorieux qui nous verra sortir d'un long et obscur esclavage pour jouir de l'éclat de la lumière et de la liberté.

En conséquence, nous, les officiers et membres du comité de l’association des Fils de la liberté dans Montréal, en notre propre nom, ainsi qu’au nom de ceux que nous représentons, nous nous engageons solennellement envers notre patrie maltraitée, et envers chacun de nous, à dévouer toute notre énergie, et à nous tenir prêts à agir, suivant que les circonstances le requerront, afin de procurer à cette province :

  • un système de gouvernement réformé, basé sur le principe d’élection;
  • un gouvernement exécutif responsable;
  • le contrôle par la branche représentative de la législature sur tous les revenus publics et de quelque source qu’ils proviennent;
  • le rappel de toutes les lois et chartes passées par une autorité étrangère, et qui pourrait empiéter sur les droits du peuple et de ses représentants et spécialement celles qui ont rapport à la propriété et à la tenure des terres appartenant soit au public soit aux individus;
  • un système amélioré pour la vente des terres publiques, aux fins que ceux qui désireraient s’y établir puissent le faire avec le moins de frais possible;
  • l’abolition du cumul des places et de l’irresponsabilité des officiers publics,
  • et une stricte égalité devant la loi pour toutes les classes sans distinction d’origine, de langage ou de religion.

Confiants dans la providence et forts de nos droits nous invitons par les présentes tous les jeunes gens de ces provinces à se former en associations dans leurs localités respectives, afin d’obtenir un gouvernement juste, peu dispendieux et responsable, et assurer la sécurité, la défense et l’extension de nos libertés communes.

André Ouimet, président
J.L. Baudry, Joseph Martel, vice-présidents
J.G. Beaudriau, trésorier
J.H.E Therrien, secrétaire des minutes
G. Boucherville, secrétaire correspondant
Frs. Tulloch, assistant secrétaire correspondant
J.S. Neysmith, Toussaint Demers, N. Lafrenière, Pierre Grenier, Louis Dumais, Joseph Letorre, L.P. Boisvin, R. Courselle, Casimir Arcourt, Amable Simard, J.B. Label, Jos. Gaudry, James Finey, Louis Lebeau, Thomas Barre, F. Tavernier, Joseph Dufaut, Joseph Leduc, Paul Martin, A.B. Papineau, J.B. Brien, P.G. Damour, André Lacroix, Henry Lacaille, Pierre Larceneur, N. Berthiaume, Narcisse Valois, H. Carron, H.A. Gauvin, L. C. Perreault, C. de Lorimier, Norbert Larochelle, André Giguère, Louis Barre, Simon Crevier, André Lapierre, R. Desrivières.

Montréal,
4 octobre 1837

Notes de l'éditeur

  1. 1. Il est intéressant de comparer l'introduction de l'adresse avec celle de la Déclaration unanime des treize États unis d’Amérique : « Lorsque dans le cours des événements humains, il devient nécessaire pour un peuple de dissoudre les liens politiques qui l'ont attaché à un autre et de prendre, parmi les puissances de la Terre, la place séparée et égale à laquelle les lois de la nature et du Dieu de la nature lui donnent droit, le respect dû à l'opinion de l'humanité oblige à déclarer les causes qui le déterminent à la séparation. » Le reste de l'adresse est également directement comparable à la déclaration des treize États unis, étant suivie d'un préambule décrivant une philosophie générale, un acte d'accusation énumérant les injustices commises, une dénonciation de l'incapacité du gouvernement anglais à redresser les torts, une conclusion où les objectifs du de l'Association des Fils de la liberté sont décrits et finalement les signatures des Fils de la liberté de Montréal.
  2. Voir Traité de Paris de 1763.
  3. Voir Acte de Québec de 1774.
  4. La Révolution américaine de 1776.
  5. La Révolution française de 1789.
  6. Voir Loi constitutionnelle de 1791.
  7. Voir la Guerre de 1812.
  8. Voir le Conseil exécutif du Bas-Canada.
  9. Voir Compagnie des terres de l'Amérique du Nord britannique.
  10. Voir Canada Tenures Act.
  11. Voir Canada Trade Act.
  12. Voir le Conseil législatif du Bas-Canada.
  13. Voir Les dix résolutions de John Russell de 1837.



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