Édit de création du Conseil souverain de la Nouvelle-France
Source: [1]
Louis par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et à venir, salut :
La propriété du pays de la Nouvelle-France, qui appartenait à une compagnie de nos sujets, laquelle s'était formée pour y établir des colonies, en vertu des concessions qui lui en auraient été accordées par le feu roi notre très honoré seigneur et père de glorieuse mémoire, par le traité passé le 29 avril, 1628 nous ayant été cédée par un contrat volontaire, que les intéressés en la dite compagnie en ont fait à notre profit le 24e février dernier ; nous avons estimé, en même temps, que pour rendre le dit pays florissant et faire ressentir à ceux qui l'habitent, le même repos et la même félicité dont nos autres sujets jouissent, depuis qu'il a plu à Dieu nous donner la paix, il fallait pourvoir à l'établissement de la justice, comme étant le principe et un préalable absolument nécessaire pour bien administrer les affaires et assurer le gouvernement, dont la solidité dépend autant de la manutention des lois et de nos ordonnances, que de la force de nos armes : et étant bien informés que la distance des lieux est trop grande pour pouvoir remédier d'ici à toutes choses, avec la diligence qui serait nécessaire, que l'état des dites affaires se trouvant ordinairement changé, lorsque nos ordres arrivent sur les lieux ; et que les conjonctures et les maux pressants ayant besoin de remèdes plus prompts que ceux que nous pouvons y apporter de si loin. Nous avons crû ne pouvoir prendre une meilleure résolution qu'en établissant une justice réglée et un conseil souverain dans le dit pays, pour y faire fleurir les lois, maintenir et appuyer les bons, châtier les méchants et contenir chacun dans son devoir, y faisant garder autant qu'il se pourra la même forme de justice qui s'exerce dans notre royaume, et de composer le dit conseil souverain d'un nombre d'officiers convenables pour la rendre :
Savoir, faisons que nous, pour ces causes et autres à ce nous mouvant, de l'avis de notre conseil, où étaient la reine notre très honorée dame et mère, notre très cher et très aimé frère unique le duc d'Orléans, notre très cher et très aimé cousin le prince de Condé, et plusieurs autres princes, grands et notables personnages de notre conseil; et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale; avons créé, érigé, ordonné et établi, et par ces présentes signées de notre main, créons, érigeons, ordonnons et établissons un conseil souverain, en notre dit pays de la Nouvelle-France, à nous cédé comme dit est, par le contrat de cession de la compagnie à laquelle la propriété en appartenait; pour être le dit conseil souverain séant en notre Ville de Québec. Nous réservant néanmoins la faculté de transférer le dit conseil souverain, en telles villes et autres lieux du dit pays que bon nous semblera, suivant les occasions et occurrences : lequel conseil souverain nous voulons être composé de nos chers et bien aimés les sieurs de Mézy, gouverneur, représentant notre personne, De Laval, évêque de Pétrée, ou du premier ecclésiastique qui y sera, et de cinq autres qu'ils nommeront et choisiront, conjointement et de concert; et d'un notre procureur au dit conseil souverain, et leur feront prêter le serment de fidélité en leurs mains ; lesquelles cinq personnes choisies pour faire la fonction de conseillers seront changées ou continuées tous les ans, selon qu'il sera estimé plus à propos et plus avantageux par les dits gouverneur, évêque, ou premier ecclésiastique, qui y sera : avons en outre au dit conseil souverain donné et attribué, donnons et attribuons le pouvoir de connaître de toutes causes civiles et criminelles, pour juger souverainement et en dernier ressort selon les lois et ordonnances de notre royaume, et y procéder autant qu'il se pourra en la forme et manière qui se pratique et se garde dans le ressort de notre cour de parlement de Paris, nous réservant néanmoins, selon notre pouvoir souverain, de changer, réformer et amplifier les dites lois et ordonnances, d'y déroger, de les abolir, d'en faire de nouvelles, ou tels règlements, statuts et constitutions que nous verront être plus utiles à notre service et au bien de nos sujets du dit pays. Voulons, entendons et nous plait, que dans le dit conseil il soit ordonné de la dépense des deniers publics, et disposé de la traite des pelleteries avec les sauvages, ensemble de tout le trafic que les habitants peuvent faire avec les marchands de ce royaume; même qu'il y soit réglé de toutes les affaires de police, publiques et particulières de tout le pays, au lieu, jour et heure qui seront désignés à cet effet : en outre donnons pouvoir au dit conseil de commettre à Québec, à Montréal, aux Trois-Rivières, et en tous autres lieux, autant et en la manière qu'ils jugeront nécessaire, des personnes qui jugent en première instance, sans chicane et longueur de procédures, des différents procès, qui y pourront survenir entre les particuliers ; de nommer tels greffiers, notaires et tabellions, sergents, autres officiers de justice qu'ils jugeront à propos, notre désir étant d'ôter autant qu'il se pourra toute chicane dans le dit pays de la Nouvelle-France, afin que prompte et brève justice y soit rendue.
Et d'autant que pour la conservation des minutes des arrêts, jugements et autres actes ou expéditions du dit conseil, il sera besoin d'un greffier ou secrétaire, voulons semblablement qu'il soit commis telle personne qui sera avisé bon être par les dits sieurs gouverneur, évêque, ou premier ecclésiastique qui y sera, pour faire la fonction de greffier ou secrétaire, laquelle sera pareillement changée ou continuée, selon qu'il sera estimé à propos par les dits sieurs susnommés. Voulons de plus que les cinq conseillers choisis par les dits gouverneur, évêque, ou premier ecclésiastique, soient commis pour terminer les procès et affaires de peu de conséquence, et pour avoir l'œil et tenir la main à l'exécution des choses jugées au dit conseil, afin que les dits commissaires prennent une connaissance plus particulière des affaires qui devront être proposées en icelui, y rapportant celles dont ils pourront être chargés par les syndics des habitations du dit pays ; habitants d'icelui, étrangers, passagers et autres auxquels nous voulons et entendons que prompte et brève justice soit rendue ; et pour jouir des dites charges par ceux qui en seront pourvus, aux honneurs, pouvoirs, autorités, prééminences, privilèges et libertés aux dites charges appartenant, et aux gages qui leur seront ordonnés par l'état que nous en ferons expédier, sans que les officiers du dit conseil souverain puissent exercer autres offices, avoir gages ni recevoir présents, ou pensions de qui que ce soit que ceux qui leur seront par nous ordonnés sans notre permission. Si donnons en mandement aux sieurs De Mezy, gouverneur, De Laval, évêque de Pétrée, ou premier prêtre qui sera sur les lieux, que notre présent édit ils aient à exécuter et faire exécuter, pour le choix par eux fait des dits conseillers, notre procureur et greffier, et iceux assemblés, le faire publier et enregistrer de point en point selon sa forme et teneur, et le contenu en icelui faire garder et observer, nonobstant tous empêchements, oppositions ou appellations quelconques, dont si aucuns interviennent nous nous en sommes réservés la connaissance, et icelle renvoyée et renvoyons au dit conseil de la Nouvelle-France, et à cet effet interdite et défendue à toutes nos autres cours et juges ; et parce que du dit présent édit l'on pourra avoir besoin en plusieurs et divers endroits du dit pays ; voulons qu'aux copies collationnées par le greffier du dit conseil souverain foi soit ajoutée comme à l'original, scellées néanmoins du cachet de nos armes, ainsi que toutes les autres expéditions qui seront décernées par le dit conseil. Mandons en outre à tous justiciers, officiers, habitants du dit pays, passagers et autres de déférer et obéir aux arrêts qui seront rendus par notre dit conseil souverain sans difficulté. Car tel est notre plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons au dit présent notre édit perpétuel et irrévocable fait mettre notre scel, sauf en autre chose notre droit et l'autrui en toutes.
Donné à Paris, au mois d'avril l'an de grâce 1663, et de notre règne le 20e.
Signé : LOUIS.
Et plus bas, par le roi, DELIONNE, et à côté visa SÉGUIER, pour servir aux lettres d'établissement d'un conseil souverain en la province de Canada ou Nouvelle-France. Et au-dessous, vu au conseil, COLBERT, et scellé en cire verte sur double lacs de soie rouge et verte, et contre scellé de même cire et lacs.
MEZY,
FRANÇOIS, évêque de Pétrée.
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